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Mexique : le retour de la dictature est pour ce dimanche
Stephane Trano | marianne2.fr/ | samedi 30 Juin 2012
samedi 30 juin 2012
Mexique : le retour de la dictature est pour ce dimanche (mis à jour samedi 30 Juin 2012 20H45)
Stephane Trano | marianne2.fr/ | samedi 30 Juin 2012
70 000 morts et disparus en 6 ans. Corruption généralisée, guerre des cartels de la drogue, l’effondrement de la société mexicaine se produit à l’ombre d’un mur immense derrière lequel les Etats-Unis défendent leurs seuls intérêts. A la veille du retour probable d’une dictature vieille de 100 ans, le Mexique est trop lucratif pour que ses "amis" se préoccupent d’une population à genoux. Mais la jeunesse du pays, à l’instar du mouvement YoSoy132, se révolte et espère donner naissance à un "Eté mexicain".
Points de Repères :
Chef de l’État et du gouvernement (sortant) : Felipe Calderón Hinojosa - Elu pour 6 ans - Mandat non renouvelable
Peine de mort : abolie
Population : 110,6 millions
Espérance de vie : 76,7 ans
Mortalité des moins de cinq ans (M/F) : 22 / 18 ‰
Taux d’alphabétisation des adultes : 92,9 %
Le Mexique a combattu aux côtés des pays alliés durant la Seconde guerre mondiale, participé à l’action militaire contre le Japon et au débarquement du 6 Juin 1944 en Normandie, batti une société laïc et rayonné culturellement dans le monde entier. Pourtant, et ce n’est pas la moindre des anomalies qui frappent ce pays telle une malédiction, il figure parmi les pays du monde sur lesquels règne une omerta sinistre. Le motif en est simple : il est la 11ème puissance mondiale et ses cinq premiers pays investisseurs sont les Etats-Unis, l’Espagne, le Canada, les Pays-Bas et la Suisse. Un mot-clé : le pétrole. De quoi faire taire bon nombre de ses amis sur une situation politique et sociale trop embarrassante. Vu des Etats-Unis, la situation tourne à une forme d’absurdité digne des meilleurs épisodes de la guerre froide. Car depuis de nombreuses années, Washinton et Mexico marchent main dans la main, sur un cimetière à ciel ouvert.
La violence pour spectacle quotidien
La presse américaine, dont une bonne partie est hispanophone, relate quotidiennement les massacres qui ensanglantent quotidiennement le Mexique. Hier, le grand quotidien populaire USA Today rapportait le meurtre en plein aéroport international de Mexico de trois policiers de la brigade anti-drogue. Avant hier, Fox News diffusait un reportage sur la découverte de 30 corps dans différentes partie de la capitale tandis que NBC diffusait les images de 14 corps retrouvés mutilés. Pendaisons par dizaines sous des ponts, lynchages, mitraillages en plein jour, enfants abattus, foules hystériques enfermant des hommes suspects d’enlèvement dans leur voiture et les brûlant vifs, figurent parmi les derniers épisodes d’une guerre terrible qui voit s’affronter des milliers de gangs et de cartels au milieu de la population.
Indifférence
Pourtant, pour une grande majorité d’Américains non hispaniques, le Mexique est synonyme d’immigration clandestine ou de séjours balnéaires à bas coûts. Washington, officiellement, ne se soucie pas des affaires intérieures d’un pays « ami » dans lequel ses agents agissent pourtant par centaines au nom de la lutte anti-drogue, employant des pratiques douteuses comme le montre le scandale actuel lié aux investigations concernant l’Opération Fast and Furious.
Il faut dire que pour les Etats-Unis, l’alternance de dimanche sera sans grand effet. A l’instar du Los Angeles Times qui titre que cette élection "a peu de chances de modifier la guerre anti-drogues", c’est sur un ton neutre que la plupart des quotidiens abordent la question, soulevant rarement 20 ans de politiques dont le cynisme n’a aucune limite de la part des voisins du Mexique, catastrophiques pour sa population et se contentant de décrire le chaos légué à son successeur par le président comme un héritage dramatique, sur fond d’images de Mexicains manifestant dans les rues. Une situation surréaliste.
Des élections pour rien ?
Les élections générales verront les mexicains en âge de voter, soit la moitié des 112 millions des citoyens, se rendre aux urnes ce dimanche 1er Juillet 2012. Ils sont appelés à désigner leur nouveau président, la Constitution empêchant Felipe Calderon de briguer un second mandat, mais également pas moins de 128 sénateurs, 500 députés, les gouverneurs de 31 états ainsi que les maires. La victoire amplement attendue d’Enrique Peña Nieto, une sorte de Barack Obama version Mexicaine qui a su séduire les foules bien qu’il représente le sinistre Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) qui a fait durant des décennies le lit de la misère de la plus grande partie de la population, n’annonce rien de bon pour un peuple à genoux.
YoSoy132, des jeunes en alerte
Dans ce contexte ou le parti au pouvoir, le Parti d’action nationale (PAN) n’est plus qu’une coquille vide dont les animateurs s’apprêtent à prendre officiellement une retraite dorée, le spectre du retour du Parti révolutionnaire institutionnel provoque une inquiétude sans précédent dans la jeunesse mexicaine. Dès le début de la campagne électorale, le candidat du PRI a donné le ton en qualifiant les étudiants protestataires d’une université de Mexico voyous. La pétition lancée par 131 de ces étudiants, réclamant le droit de poser des questions au candidat sans se faire insulter, est devenu rapidement un mouvement, « yo soy el 132 » (je suis le 132ème), rejoints depuis par des milliers pour organiser la « protesta ». Depuis, YS-132, qui suit une ligne non-partisane, se retrouve dans la ligne de mire du parti au pouvoir et de celui qui arrive. Le fait qu’un tiers des électeurs soit composé de jeunes de moins de 30 ans créé une tension particulière dans les partis de droite qui redoute une journée d’élections perturbée. Le PRI est en effet traditionnellement un grand habitué de l’achat des votes et de l’intimidation sous toutes ses formes, mais aussi du bourrage des urnes et de la transformation des résultats. A l’instar du mouvement YoSoy132, dont nous diffusons ici le manifeste sous-titré en Français, ils sont des dizaines de milliers à manifester à travers le pays, et à alerter les médias dans le reste du monde, sur la catastrophe que constitue pour le Mexique le retour annoncé d’un parti dont le nom et l’histoire ne signifient qu’authoritarisme, corruption et mensonge. Une situation qui ressemble, en bien des points, à celle de la Russie de Poutine.
Terreur et Argent
Le quotidien des Mexicains est celui d’un pays pillé, à feu et à sang, exploité, pris en otage par les trafiquants les plus sanguinaires de la planète, avec la complicité des élites du pays, toujours plus riches et plus puissantes, qui non seulement maintiennent la population dans un état de pauvreté parfois effroyable, restent impassible face aux carnages quotidiens qui terrifient la population, mais également s’assurent du silence des nations occidentales voire, même, de leur active contribution à la déliquescence de toute un peuple, à commencer par les Etats-Unis. L’un des exemples typiques de cette situation est le milliardaire Carlos Slim, un homme que l’on ne fâche pour rien au monde.
Carlos Slim, l’Homme le plus riche du monde, second actionnaire du New York Times

Le 22 mars dernier, l’hebdomadaire Courrier International consacrait un portrait à l’homme le plus riche de la planète, le magnat mexicain des télécoms Carlos Slim. A 72 ans, ce fils d’immigrés libanais qui a épousé, en 1966, la nièce de l’ancien président libanais Amine Gemayel (morte en 1999), est à la tête d’une fortune de près de 55 milliards de dollars, devant Bill gates, Warren Buffet ou Georges Soros. Un homme secret mais surtout un homme influent, accueilli comme un pape lorsqu’il débarque aux Etats-Unis. Il est, entre autres, le deuxième actionnaire du New York Times. Son irrésistible ascension, il la doit pour beaucoup au PRI, au moins autant qu’aux flux d’argent colossaux dont il bénéficie de la part du Liban et des pays arabes, mais également de la Russie ou de la Chine. Courrier International note avec l’ironie qu’il convient : « Avec tout son argent, il pourrait rembourser deux fois la dette extérieure du Liban [dont sa famille est originaire]. Quant à ses dons à la recherche médicale, il pourrait tous les financer avec ce qu’il gagne en trois semaines. L’argent qu’il a donné à Bill Clinton, il a mis une semaine à le générer. Le don que Shakira a reçu avec le sourire ne lui a même pas coûté une journée entière de son temps. » Carlos Slim achète en effet tout : la sympathie du peuple, en payant les cautions de détenus mexicains pauvres, les présidents, pas seulement Clinton mais également Bush puis Obama ainsi que leurs adversaires respectifs. Il s’insinue dans le débat public américain avec son chéquier à la main, prenant des participations majeures dans les domaines des télécoms, subventionnant des programmes pour les étudiants mexicains, jouant d’une panoplie de congressistes comme d’une armée de poupées.
Pays riche, population anéantie, ami lucratif
60 millions de Mexicains vivent actuellement sous le seuil de pauvreté (avec un revenu inférieur à 180 dollars par mois) et 12 millions dans la plus extrême précarité (en dessous de 83 dollars par mois). Un quart de la population ne mange pas à sa faim quotidiennement. Le salaire horaire minimum est de 10 dollars de l’heure. L’argent des 20 à 30 millions de travailleurs mexicains aux Etats-Unis aide une partie substantielle de la population à pourvoir à ses frais de santé ou d’alimentation. Les conditions de travail ne tiennent quasiment aucun compte des lois sensées les encadrer. Dans ce pays plus que dans bien d’autres, le patron est omnipuissant, le juge - l’affaire Florence Cassez en témoigne - assis sur la Constitution et les élites intolérantes vis à vis de toute critique. Il ne fait pas bon rappeler à de nobreuses figures influentes du pays que leur pays n’est pas une démocratie libre.
Ce pays est pourtant le 14ème au rang mondial pour sa superficie et le 11ème pour sa population, avec un PIB par habitant de quelques 9 600 dollars (source : OCDE). C’est le 5ème producteur mondial de pétrole, 9ème exportateur, et avant la crise de 2008, sa dette avait été réduite à 8% de son PIB. Derrière cette performance, il est de coutûme pour les Etats-Unis et le Canada de vanter les mérites de l’ALEA, l’accord de libre échange qui, en janvier 1994, avait vu la naissance de la plus vaste zone de libre échange au monde. Mais le « deal » avait un prix, qui ne dérangeait pas le pouvoir de Bill Clinton ni celui des Canadiens : une association avec le président carlos Salina de Gortari, du fameux PRI, puis avec ses successeurs du PAN aujourdhui en pleine déconfiture. En clair, de véritables empereurs de la corruption qui ont redressé le pays économiquement pour le bien d’une élite totalement indifférente aux affres du reste de la population, et qui se sont associés avec les Etats-Unis pour une guerre sans merci contre les cartels de la drogue, trop puissants pour le pouvoir, malgré les exemples catastrophiques produits par cette politique dans les pays d’Amérique latine.
Le résultat est connu : plus de 50 000 morts et 20 000 disparus depuis 6 ans. Un temps financés par les Etats-Unis pour s’assurer leurs services contre les contras en lutte contre leur pouvoir allié des sandinistes au Nicaragua, les cartels mexicains avaient mêmes été rapprochés par la CIA des cartels colombiens afin d’avoir plus d’efficacité sur le terrain. Puis, Bill Clinton avec son homologue Ernesto Zedillo en 1999, George W. Bush avec Vincente Fox en 2007 et enfin Barack Obama avec Felipe Calderon, ont chacun renforcé la guerre contre les cartels mexicains. Le résultat a été constant : une explosion de la corruption à tous les niveaux de l’Etat comme forme de contre-attaque des cartels puis, à partir de 2008, le basculement dans l’ultra-violence, avec pour cette seule année 5031 morts. 45 000 ont suivi depuis. Le 13 mai dernier, une tuerie de masse à eu lieu à Cadereyta Jiménez, où ot été découverts 49 cadavres décapités, mains et pieds sectionnés, au bord d’une route à une trentaine de kilomètres à l’est de Monterrey. Quatre jours plus tôt, on avait découvert 18 cadavres dans deux automobiles abandonnés sur une route proche de Guadalajara, dans l’ouest du pays. Loin d’être contenue aux seuls membres de gangs, cette violence engloutit toutes les parties de la population, femmes et enfants compris, massacrés ici pour leur résistance, là pour les besoins en terrains ou en ressources, ailleurs pour donner l’exemple et impressionner les autorités.
En 2006, George W. Bush met en chantier la construction d’un mur de séparation haut de 4,50 à 6 mètres de haut, éclairé par des miradors et balayé par des caméras électroniques, qui couvre désormais un tiers de cette frontière et continue de se développer. Dans ce décor à la fois lunaire et futuriste où se dressent 1800 tours de surveillance et où patrouillent nuit et jour 18 000 agents de protection des frontières, le bilan est effroyable : plus de 5000 morts recensées officiellement, probablement le double, dans ce qui est souvent le plus vaste terrain légal du monde pour la chasse à l’homme. Les lois des Etats du sud des Etats-Unis autorisent les patrouilles de milices surarmées dont les méfaits sont inombrables et n’épargnent ni les adultes ni les enfants. A l’ombre de ce mur, on traque, on tire, on frappe, on étrangle, on noie, on viole, et les sanctions sont rares.
Néanmoins, Barack Obama peut se prévaloir d’un bilan jamais atteint dans la lutte contre l’immigration illégale en provenance du mexique puisque celle-ci est désormais officiellement tombée sous le chiffre de 0 : non seulement l’immigration mexicaine aux Etats-Unis est stoppée mais de plus en plus de Mexicains repartent vers l’enfer. Le Pew Hispanic Center note au sujet de cette immigration zéro : « Le statu quo semble être le résultat de nombreux facteurs, parmi lesquels la pénurie de travail sur le marché américain de la construction de logements, la police des frontières accrue, une augmentation des expulsions, les dangers croissants associés aux passages illégaux de la frontière... ». Mais on peut douter du sérieux de ses travaux quand il ajoute parmi les critères du retour l’amélioration de la situation économique au Mexique.
Les étudiants interpellent les deux futurs présidents du Mexique et des Etats-Unis

Pour eux, le souvenir d’Atenco (voir paragraphe ci-dessous) est aussi révoltant que les révélations sulfureuses qui ont été livrées par les médias au sujet de l’Opération Fast and Furious, au coeur de laquelle Barack Obama reste impassible dans sa défense de son administration. « Un retournement de situation catastrophique qui montre toute la difficulté qu’ont les deux pays à s’accorder sur la stratégie à suivre pour endiguer la violence et le pouvoir immense des cartels de la drogue opérant des deux côtés de la frontière, expliquent-ils. Quel que soit le candidat élu dans les deux pays, un dialogue est urgent pour mettre fin au carnage qui se déroule sur les états frontaliers au Mexique et sur les régions côtières de « passage » de la drogue. Il faudra mettre sur la table le trafic de drogue et d’armes, la consommation des drogues, et la politique migratoire. »
Peuvent-ils être entendus ? Leur cause, en tous les cas, se répand vite à travers les réseaux sociaux, et c’est de bon augure.
8 assassinats par jour à Mexico City, Obama et Calderon main dans la main
Comment la police mexicaine veut rétablir l’ordre
Enrique Peña Nieto (PRI), le favoris des élections
Mais comme l’écrit Politic365.com à son sujet : « Le porte-étendard du Parti Révolutionnaire Institutionnel est ce que George W. Bush a été en 2000, pour la politique mexicaine. (...) Nieto espère ramener son parti au pouvoir après deux présidences du PAN. (...) Nieto est un homme politique qui fait une gaffe à la minute, est né si privilégié qu’il semble contrarié d’avoir à briguer l’élection présidentielle, mais qui se réjouit d’obtenir le job. Il est né dans la richesse et l’influence politique, et a passé sa jeunesse dans un comportement imprudent et irresponsable. »
La répression de San Salvador Atenco, aux origines du soulèvement
Avertissement : contenu violent
Pour en savoir plus
http://mexico.cnn.com/nacional/2012/06/25/simpatizantes-de-yosoy132-protestan-en-el-museo-de-arte-moderno-de-paris
http://www.nytimes.com/2011/10/16/world/excerpts-from-an-interview-with-president-felipe-calderon.html?_r=1
http://www.guardian.co.uk/world/2012/apr/23/illegal-immigrants-mexico-us-economy
http://www.cfr.org/mexico/us-mexico-relations-1810-present/p19092
http://www.npr.org/2012/06/19/155337892/u-s-border-states-have-stake-in-mexicos-presidential-election
#YoSoy 132 Paris
#JeSuis132Paris
Pour aller plus loin : la situation du Mexique vue par Amnesty International (Rapport 2011)
Contexte
- Police et forces de sécurité
Les Invisibles (1)
Les Invisibles (2)
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Transmis par Marina
Sat, 30 Jun 2012 18:29:35 +0200
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