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L’obscure et terrifiante clarté des ampoules basse consommation

Samuel Gontier | telerama.fr | mardi 31 janvier 2012

mardi 31 janvier 2012





De retour de Biarritz, je courus les bazars et drogueries ouverts le dimanche après-midi. Objectif : me constituer un monumental stock d’ampoules à incandescence. Les ampoules basse consommation, c’est fini. Plus question de risquer ma vie avec ces sinistres engins de mort.

Présenté en compétition au Fipa (Festival international des programmes audiovisuels), Bulb Fiction, documentaire de l’Autrichien Christoph Mayr bien plus effrayant que le film de Quentin Tarantino, met en lumière une sombre machination : depuis vingt-cinq ans, on nous fait prendre des vessies fluo-compactes pour des lanternes écologiques. Or, ces vicieuses vessies contiennent du mercure, au contraire des ampoules basse consommation.


J’étais au courant.
Je savais aussi que l’emploi de ces ampoules dans les pièces de passage ne présentait pas d’avantages en terme d’économie d’électricité ; j’avais aussi remarqué que leur durée de vie n’excédait pas celle des anciennes ampoules, malgré les 5 000, 8 000 ou 10 000 heures promises. Mais je m’étais laissé convaincre par l’argument écologique : des ampoules cinq fois plus économes, c’est cinq fois moins de CO2 émis dans l’atmosphère et/ou d’EPR à construire. Quel niais j’ai été ! Je n’avais pas compris ce qui se jouait… Heureusement, Bulb Fiction est arrivée. Cette enquête à charge éclaire d’un jour nouveau – et très cru – la décision européenne d’interdiction des ampoules à filament.


Escroquerie internationale, tyrannie des multinationales, déni du droit et de la démocratie, aberration écologique, scandale de santé publique… La liste des charges accumulées, longue et fort bien documentée, est source d’un effroi grandissant. Que les fabricants d’ampoules ne manquent pas de culot, c’est normal. Mais que les écologistes de Greenpeace enterrent un rapport qu’ils ont eux-mêmes commandé en 1990 parce qu’il était très critique sur les bénéfices et les risques des ampoules basse consommation paraît moins compréhensible.

« Les écolos se sont faits les idiots utiles des intérêts économiques », estime le seul député européen opposé à l’interdiction des ampoules à filament. Cette décision n’a d’ailleurs jamais été approuvée par le Parlement, elle est issue d’une commission ad hoc composée de manière discrétionnaire par la Commission européenne et réunissant notamment les représentants des deux derniers fabricants d’ampoules de l’Union (Osram et Philips), ainsi que ceux d’associations écologistes… comme Greenpeace – un article du Monde détaillait ce week-end les monstrueux conflits d’intérêts d’une autre commission constituée de la même façon par l’Autorité européenne de sécurité alimentaire. « Les fabricants de lampes font comme les banquiers, ils définissent eux-mêmes les règles qu’ils font approuver par les politiques », note un scientifique.


En un peu plus d’une heure trente,
Bulb Fiction éclaire toutes les zones d’ombre de cette ténébreuse affaire, non sans faire un utile détour par un passé guère brillant (la constitution d’un cartel de fabricants, dans les années 20, dont la principale décision fut de limiter à mille heures la durée de vie des ampoules). Il voyage d’Allemagne en Inde en passant par les Etats-Unis.

Le film détaille surtout les risques sanitaires auquel nous expose le merveilleux « agent lumineux » écolo-technologique. Outre le mercure, présent dans des quantités totalement incontrôlées mais potentiellement mortelles en cas de bris d’ampoule (surtout si elle est allumée), nos idiotes loupiotes présentent l’inconvénient de produire un puissant champ électrique (dix fois la norme autorisée pour un écran d’ordinateur) et de ne pas couvrir un spectre lumineux aussi complet que celui de l’ampoule à incandescence (assez proche de celui du soleil). Ce qui provoque, en plus d’une sérieuse gêne pour les personnes âgées dont le cristallin a jauni, des effets physiologiques inexplorés.


« Les hommes servent de cobayes »,
déplore encore un scientifique. Pas d’accord ! Non à l’Europe des lumières ! Je ne veux pas perdre mes cheveux puis la mémoire – ni empoisonner l’environnement. Ce matin, avant de remplacer mes ampoules tueuses, et pour parer à l’éventualité d’une casse malencontreuse au cours de cette opération périlleuse, je suis allé chercher l’indispensable kit à 130 euros pièce, comprenant un balai, une pelle, un masque, des gants et une combinaison de protection. En fait, j’en ai acheté tout un lot. Parce que l’ensemble du kit doit être jeté (où ça ?) dès qu’il a servi une fois. Or, maladroit et stressé comme je suis, je pourrais bien briser plusieurs ampoules.


Vous allez dire que je vois tout en en noir. Normal, j’ai aussi vu Une étrange cathédrale dans la graisse des ténèbres à Biarritz. « Nous sommes dans l’espace de la mort et personne ne veut le voir », tonne le poète Frankétienne, filmé par Charles Najman dans les ruines de la cathédrale de Port-au-Prince. Une magnifique et sombre élégie, parfait pendant du rationalisme de Bulb Fiction, inspirée d’une pièce incroyablement prémonitoire que le dramaturge jouait à Paris deux mois avant le tremblement de terre en Haïti. « Je parle pour les morts », gronde Frankétienne, furieux contre la « résilience », un euphémisme pour « résignation », m’entraînant dans les dédales effrayants d’un sinistre purgatoire où ne brille qu’une faible lueur d’espoir. « Nous sommes peut-être le rêve à l’envers d’un Dieu fou mais la folie seule peut nous sauver. »

En attendant un vent de folie salvateur, je loue TV5 Monde de diffuser bientôt ce film. Et souhaite ardemment sa programmation sur une chaîne accessible à tous, comme j’espère celle de Bulb Fiction (pour l’heure dépourvu de diffuseur). Afin que tous deux éclairent un maximum de vessies – pardon, de lanternes.






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