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De bruit et de fureur

Juliette Volcler | article11.info | lundi 30 janvier 2012

lundi 30 janvier 2012

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Ne garder d’une explosion que son bruit ? Ne garder d’un bruit que son effet de souffle ? Scientifiques et militaires ont songé à tout pour construire de nouvelles armes, létales ou « non létales ». Avec un succès mitigé, mais pas totalement nul. Bienvenue dans le monde merveilleux des canons à vortex ou à vent, des bouchons d’air et des canons à détonations.

Cette chronique est parue dans le numéro 3 de la version papier d’Article111.

Peu avant la reddition nazie, une commission états-unienne est envoyée en Allemagne afin de mener une mission d’enquête sur le programme d’armes expérimentales du IIIème Reich. Le général Leslie E. Simon en publie les observations en 1947 sous le titre German Research in World War II2. Il y mentionne notamment que sous l’autorité d’Albert Speer, alors ministre des Armements, un pôle de recherche situé près de Lofer en Autriche a fabriqué un « canon à vortex » visant à « reproduire en miniature les effets des tornades » afin de « casser les ailes des avions ». Le vortex, un phénomène naturel, est un tourbillon où les particules d’air ou d’eau s’enroulent en spirale autour d’une zone de basse pression. « Un effet vortex considérable fut atteint », selon Simon, mais on n’entendit plus parler de l’arme. Un autre prototype est développé au centre d’essai d’Hillersleben : un « canon à vent » visant à envoyer des « bouchons d’air », toujours sur les avions. Son emploi dans la protection aérienne d’un pont sur l’Elbe est un échec.

Les armes à vortex et autres « générateurs de vent » ont fait l’objet d’une recherche importante au XXème siècle, non seulement en Allemagne mais en Russie soviétique ou aux États-Unis notamment. En 1997 ces derniers lancent, dans le cadre du développement des armes « non létales », un programme dédié, le « Vortex Ring Gun program » : « les applications devront inclure la possibilité de marquer un individu ou un objet avec un colorant fluorescent à distance ; d’expulser des agents incapacitants à distance ; d’expulser un aérosol à distance (…) ; de faire apparaître temporairement un écran de fumée ou un agent opacifiant. »3 Un point d’arrêt est cependant mis au programme dès 1998 en raison de « l’imprévisibilité des vortex et leur limitation en terme de portée »4. En 2006, quoique la recherche soit officiellement interrompue, le site de la société SARA vante toujours les mérites de son « lanceur de vortex » : « le vortex d’air supersonique frappe la cible à environ la moitié de la vitesse du son, avec une force suffisante pour faire tomber la cible. Le vortex donne l’impression de recevoir un seau d’eau glacée dans la poitrine. » Malgré ces qualités éminentes, l’arme ne semble pas avoir été employée et a depuis disparu du site du constructeur.

Il existe néanmoins un dispositif visuellement proche du « lanceur de vortex » et à l’effet comparable, quoique son principe de fonctionnement diffère : le canon à détonations, qui génère non pas un vortex, mais une explosion sans éclats, au moyen de gaz détonnants. L’arme a d’abord été développée pour contrôler les animaux : les « canons effaroucheurs » et autres « épouvantails automatiques » sont ainsi utilisés dans de nombreux pays pour éloigner les oiseaux et les petits rongeurs. On compte notamment, parmi les fabriquants, la société israélienne PDT Agro, qui a eu l’idée à la fin des années 2000 de transformer son « Thunder generator » (générateur de tonnerre) pour oiseaux en « Shockwave cannon » (canon à ondes de choc) pour humains5 C’est une autre société, Armytec, non agricole mais engagée dans la recherche et développement militaire, que le Ministère de la défense israélien a chargée d’en commercialiser les versions militaires et paramilitaires6.

Dans un article de la presse militaire états-unienne daté de janvier 2010, il est indiqué que « les détonations ont (...) une action doublement répulsive sur les émeutiers et les intrus potentiels, grâce à la pression atmosphérique très élevée et à l’effet de bang supersonique qui sont générés ». Les données disponibles se réduisent à celles fournies par le fabriquant, et sont donc à prendre avec une certaine précaution. La portée de l’arme serait donc de 50 mètres, et selon le président de PDT Agro, « toute personne se situant entre 30 et 50 mètres du canon aura l’impression de se tenir devant un peloton d’exécution ». À moins de 10 mètres, l’arme pourrait causer des blessures irréversibles ou être létale. La possibilité de tuer avec une onde de choc est réelle, mais nécessite une amplitude acoustique assez improbable. L’intensité du « Shockwave cannon » n’est pas mentionnée par le fabriquant, qui indique simplement qu’il est « adapté pour des opérations impliquant des populations ennemies ou amies. » Une arme très démocratique en somme.


1 Et elle a fait partie du travail préparatoire de l’essai Le Son comme arme, les usages policiers et militaires du son (La Découverte, 2011).

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2 Leslie E. Simon, Secret Weapons of the Third Reich – German Research in World War II (réédition de WE, Inc. en 1971)

3 JNLWD, « 1997 - A Year in Review, Joint Non Lethal Weapons Program » (Rapport annuel, 1998)

4 Neil Davison, Non lethal weapons (Palgrave Macmillan, 2009)

5 Les deux produits sont visibles sur le site d’Armytec : armytec.net.

6 Barbara Opall-Rome, « A Cannon ’Stun Gun’ » (Defense News, 11 janvier 2010)




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