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"La force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers", bouquin de Didier Fassin

Gilles Bastin | lemonde.fr | jeudi 27 octobre 2011

dimanche 30 octobre 2011

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Il y a plusieurs polices. Peut-être y en a-t-il même autant que de policiers. Les uns attirent parfois le regard, comme les flics "ripoux" et les serviteurs trop zélés du pouvoir exécutif qui défraient la chronique ces jours-ci. D’autres restent le plus souvent dans l’ombre.

Les policiers de terrain, auxquels incombe le maintien de l’ordre, sont de ceux-là. Leur travail, fait de patrouilles et d’interpellations, paraît souvent trop banal pour mériter que l’on s’y arrête. Le jeu du chat policier et de la souris délinquante n’est-il pas, après tout, l’un des plus vieux au monde ? Il est malheureusement aussi un des plus protégés du regard des chercheurs. "Circulez, y’a rien à voir !" : depuis plusieurs années, la police a fait de ce mot d’ordre sa politique à l’égard des sciences sociales. Elle oppose dorénavant un refus systématique aux demandes d’enquêtes sur son travail.

L’anthropologue Didier Fassin a pourtant réussi à surmonter les réticences des policiers et à se faire "accepter dans un commissariat de la banlieue parisienne. Entre 2005 et 2007, il a pu suivre le quotidien des équipages de la brigade anticriminalité (BAC). Créée en 1971 pour faire du "flagrant délit", cette police en civil est devenue, depuis les années 1990, l’instrument principal de la "police des quartiers" et le bras armé de la politique sécuritaire qui associe immigration, banlieue et délinquance.

S’inscrivant dans une longue lignée de travaux anglo-saxons visant à "prendre">prendre au sérieux l’autonomie politique et morale dont jouit le policier du coin de la rue, et à la suite de Dominique Monjardet, qui fut en France le pionnier de cette approche de la police "par le bas", Didier Fassin décrit patiemment le travail des policiers de la BAC.

Loin des clichés, celui-ci est essentiellement marqué par l’inaction et la frustration. "Les policiers, note-t-il, attendent de rares appels qui s’avèrent presque toujours vains, soit parce qu’il s’agit d’erreurs ou de plaisanteries, soit parce que les équipages arrivent trop tard ou font échouer leur affaire par leur maladresse, soit enfin parce qu’il n’y a pas matière à interpellation."

L’anthropologue s’attache dès lors à décrire le fonctionnement du groupe des "baqueux", cet "Etat dans l’Etat policier" fonctionnant par cooptation et doté d’une large autonomie par rapport à la hiérarchie policière. Les brigadiers qui le composent, souvent des "immigrés de l’intérieur" - enfants de paysans ou de commerçants des petites agglomérations -, sont formés dans la crainte de la "jungle" dans laquelle ils sont appelés à travailler, des "zones urbaines sensibles" pour l’essentiel. Ils n’y habitent pas et les insignes brodés sur leurs blousons la représentent comme des alignements de barres d’immeubles saisis dans le viseur d’une arme...

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Ces policiers, plus inspirés par l’idéologie du Front national et les faits d’armes de Vick Mackey, le flic corrompu de la série "The Shield", que par le service d’une communauté et le respect de la loi, se sont fabriqué, en guise d’idéal, une morale de substitution : "Faire régner l’ordre en rappelant qu’ils peuvent user de leur pouvoir à leur gré, telle est la mission que se donnent, par défaut, les membres de la BAC, dès lors qu’ils se rendent bien compte qu’ils n’arrêtent pas, comme ils l’avaient imaginé en choisissant leur unité, "des voleurs et des voyous"."

Puisqu’il faut bien "donner">donner un sens à ces inutiles courses-poursuites contre les jeunes des quartiers, aux interpellations sans gloire d’étrangers et de "shiteux" pour "satisfaire">satisfaire le besoin de chiffres de la hiérarchie, les policiers de la BAC se sont bricolé une morale faite avant tout de discriminations raciales, de vengeances organisées et du recours systématique à la violence psychologique contre ceux qu’ils interpellent. Une morale qu’un brigadier résume ainsi face à Didier Fassin : "Y nous aiment pas, les bâtards. Nous on les aime pas non plus."

Au final, c’est un théâtre absurde et tragique qui émerge des notes prises par le chercheur dans ces véhicules banalisés lancés à la poursuite d’on ne sait finalement trop qui ou quoi. La police est par excellence le lieu de ce que les sciences sociales appellent les "prophéties auto-réalisatrices". Il suffit en effet d’augmenter le nombre de policiers dans les quartiers pour y multiplier les interpellations, donc les faits de délinquance enregistrés. La police est, en somme, elle-même sa propre justification.

Mais l’anthropologue comme le citoyen peuvent-ils se satisfaire d’un tel vide de sens ? Un jour, un policier confie à Didier Fassin qu’il ne comprend pas pourquoi les jeunes des quartiers se mettent toujours à courir quand ils le voient arriver. Le chercheur, lui, a appris de ces mêmes jeunes la façon dont un corps peut mémoriser les humiliations passées et instinctivement s’en protéger. Aussi a-t-il la charité de ne pas rétorquer ceci : le fait que le policier, à son tour, se mette à courir, voilà un mystère encore bien plus épais à percer...


LA FORCE DE L’ORDRE. UNE ANTHROPOLOGIE DE LA POLICE DES QUARTIERS de Didier Fassin. Seuil, 393 p., 21 €.

 


Gilles Bastin


quelques blasons trouvé sur jy.mulot.free.fr

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Transmis par Anne & Ahmid
Sun, 30 Oct 2011 13:32:37 -0700


PAMF


Voir en ligne : "La force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers", de Didier Fassin : mais que fait la police ?

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