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Virage à droite au Guatemala

Sergio Ferrari | lecourrier.ch | samedi 10 septembre 2011

samedi 10 septembre 2011

ÉLECTIONS GÉNÉRALES • A la veille du scrutin, les problèmes sécuritaires font oublier la question sociale.

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Vingt-huit partis politiques et dix candidats à la présidentielle – dont trois femmes – se disputeront dimanche les voix de 7,3 millions d’électeurs guatémaltèques, sur une population totale de 14 millions d’habitants. Les sondages prédisent une victoire du candidat du Parti patriote (extrême droite), l’ex-général Otto Pérez Molina. Des menaces d’autoritarisme et d’une politique de la main de fer planent sur le futur de la plus peuplée des nations d’Amérique centrale, dont le thème de l’insécurité citoyenne occupe une place prépondérante. Au Guatemala, en effet, la violence sociale tue chaque jour entre quinze et vingt personnes.

Si l’électorat guatémaltèque avait repoussé par les urnes l’ancien dictateur Efraín Rios Montt (reconverti en pasteur fondamentaliste) lors de l’élection de novembre 2003, il pourrait cette fois ouvrir les portes institutionnelles à une option non moins militariste.

Ex-général favori
Cette fragile démocratie – issue des accords de paix entre le pouvoir et la guérilla de la URNG en décembre 1996 – risque ainsi de faire un pas en arrière dans sa lente consolidation, et nage à contre-courant dans une région qui – exception hondurienne mise à part – s’est éloignée durant le début du XXIe siècle des coups d’Etat et de la tentation d’extrême droite.
A l’ex-guérilla du Front Farabundo Marti (FMLN) qui gouverne le Salvador s’ajoute en effet le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) à la tête du Nicaragua. Les sondages prédisent d’ailleurs une victoire quasi assurée de Daniel Ortega lors des joutes électorales du 6 novembre prochain. Simultanément, au Honduras, les mobilisations sociales ont obtenu en mai dernier le retour au pays de l’ancien président, démontrant que, sans la participation de l’opposition pro-Zelaya, ce pays est politiquement ingérable.
Dimanche 11 septembre, en plus de l’exécutif, les citoyens désigneront 158 députés, 20 élus au parlement centraméricain, ainsi que 333 autorités municipales. Si les derniers sondages devaient se confirmer dimanche, l’ex-général Pérez Molina gagnerait haut la main. Le score attendu, entre 40% et 45%, ne lui permettrait cependant pas d’être couronné lors du premier tour. Mais le second, qui se déroulera le 6 novembre, devrait n’être qu’une formalité.

Empêchée de se présenter par la Cour constitutionnelle, Sandra Torres, l’épouse du président sortant Alvaro Colom, a laissé le centre-gauche orphelien. Du coup, derrière le militaire n’apparaissent que des candidats situés à droite de l’échiquier politique, comme Manuel Baldizon (crédité de 20%) et Eduardo Suger (10%). 
Quant à Rigoberta Menchu, Prix Nobel de la paix, soutenue par l’ancienne guérilla et le parti indigène Winaq, elle obtiendrait moins de 3% des voix. Dans un pays où environ la moitié de la population est d’origine indigène, la majorité de celle-ci ne se sent pas représentée par les organisations autochtones ayant des aspirations électorales.
Bien que la problématique de la violence sociale soit effectivement un thème important, l’extrême droite l’agite et l’instrumentalise à des fins politiques. « Mon gouvernement aura une main de fer ; je vais combattre le crime organisé et la violence avec l’armée... Seront utilisées des stratégies militaires pour éradiquer la violence à la racine », souligne M. Pérez Molina dans ses discours. Appelant même à rétablir les fuerzas de tarea (groupes paramilitaires), une tactique employée par l’armée contre la guérilla, tant au Guatemala que dans une bonne partie de l’Amérique latine durant les années 1970 à 1990, lorsque dominait la doctrine de la sécurité d’Etat.
« Beaucoup de nos partenaires guatémaltèques nous disent leur grande préoccupation devant ce discours, ainsi que la perspective d’une augmentation de la violence institutionnelle et d’une nouvelle vague répressive, qui toucherait principalement les défenseurs des droits humains et le mouvement social dans sa totalité », avertit Kart Heuberger, responsable de l’EPER pour l’Amérique centrale, Pour lui, le thème de la violence cache deux autres thématiques très présentes dans les préoccupations des Guatémaltèques : la sécurité alimentaire et la persécution des défenseurs des droits humains.
Le 26 août dernier, cinq organisations et réseaux mondiaux de renom, dont la Via Campesina et FIAN (organisation internationale pour le droit à l’alimentation), ont fait entendre leur voix au Guatemala même. Elles ont publié un rapport élaboré par une mission internationale, exprimant leur énorme préoccupation pour « la crise alimentaire prolongée qui continue à provoquer des ravages au Guatemala », ainsi que pour « le climat de criminalisation et de persécution des défenseurs des droits humains », spécialement celles et ceux qui défendent les droits économiques, sociaux, culturels, ainsi que ceux des femmes (lire ci-dessous).
« Nous sommes très préoccupés par la question de la souveraineté alimentaire. Nous ne voyons pas d’actions cohérentes, ni de la part des autorités, ni de la part de la communauté internationale », souligne Kart Heuberger. La tragédie est qu’avec ses richesses naturelles le Guatemala pourrait alimenter l’ensemble de l’Amérique centrale, alors qu’il vit aujourd’hui une pénurie alimentaire croissante qui menace même de se convertir en famine, explique-t-il.

Derrière cette contradiction se cache le modèle économique hégémonique actuel : « de grandes extensions de terres cultivables ont été remises de manière indiscriminée à des transnationales minières ou d’agrocarburants » qui attentent à la production indigène-paysanne locale et condamnent ces secteurs chaque jour un peu plus à la marginalité.
« Les gouvernements – principalement les gouvernements européens – les institutions internationales et les ONG de développement ont aujourd’hui une grande responsabilité envers le Guatemala et l’Amérique centrale », explique le responsable de l’EPER, dans ce qui ressemble à un cri d’alarme. « Ils doivent réfléchir à la nécessité d’une alliance réelle avec les mouvements sociaux et les peuples indigènes qui continuent à travailler et à se mobiliser, en renforçant leurs actions et en reconnaissant leurs revendications. Leur travail doit être mieux coordonné. Des ressources financières sont investies, mais pas toujours avec la meilleure logique. Il s’agit de réfléchir aux raisons qui font qu’un pays riche se retrouve confronté à la faim et à une crise alimentaire », souligne-t-il. I

Le droit à l’alimentation au-dessus de tout
La mission internationale des cinq grands réseaux d’ONG qui a visité récemment le pays demande à la communauté internationale d’interpeller le nouveau gouvernement du Guatemala sur « le rôle fondamental que joue la garantie du droit à l’alimentation et à la protection des défenseurs des droits humains par le fonctionnement de la démocratie, ainsi que celui de stratégies de développement adaptées ». Le rapport signé par Via Campesina, FIAN, l’Agence catholique de développement (CIDSE), l’Initiative de Copenhague pour l’Amérique centrale et le Mexique (CIFCA) et l’APRODEV (groupe lié au Conseil mondial des Eglises) soumet quinze recommandations qui vont de mesures pour assurer le développement rural et social du pays à l’assainissement de la police nationale, en passant par le renforcement des droits du travail, particulièrement dans les campagnes.

Les ONG insistent sur le fait que le Guatemala doit respecter la Déclaration des droits des peuples indigènes de l’ONU, ainsi que la Convention 169 de l’OIT. Elles invitent donc à renoncer aux politiques d’encouragement des investissements en matière d’agrocarburants, d’exploitation minière et de production d’énergie, afin de prévenir notamment les violations du droit à l’alimentation, à la terre et à l’eau. SFI

Traduction : Mathieu Glayre


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