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Lars von Trier s’explique

Rüdiger Sturm | spiegel.de  | 20 mai 2011

mercredi 25 mai 2011

Le cinéaste danois Lars Von Trier, déclaré la semaine dernière persona non grata au Festival de Cannes, revient en exclusivité pour le magazine allemand Der Spiegel sur ses propos qui ont fait scandale.

DER SPIEGEL Vous êtes désormais ce qu’on appelle une persona non grata au Festival de Cannes. Comment le vivez-vous ?
LARS VON TRIER J’en suis très fier. Je n’avais encore jamais été persona non grata de ma vie. Et je trouve cela très bien.

Dans quel sens ?
Je me sens extrêmement claustrophobe au Palais des festivals. C’est pourquoi je m’estime heureux de ne plus être obligé d’y aller. Et je suis aussi content de ne plus devoir mettre les pieds à Cannes. Ce que je voudrais, c’est rentrer chez moi ; d’un autre côté, je veux aussi faire la promotion de Melancholia [pour lequel Kirsten Dunst a obtenu le prix d’interprétation féminine].

On a l’impression que le festival qui vous a valu vos plus grands succès vous indiffère complètement.
Non, tout cela est choquant pour moi. J’ai beaucoup de respect pour le festival. On m’y a toujours soutenu. Et je suis très ami avec le directeur du festival, Gilles Jacob. Mais là, il était très remonté contre moi.

Pouvez-vous expliquer ce qui s’est passé pour que vous en arriviez à tenir ces propos équivoques en conférence de presse ?
Tout a commencé par des commentaires sur le romantisme allemand, dont le système de valeurs a été partiellement repris par le Troisième Reich. Les gens voulaient m’entendre dire qu’Albert Speer n’était pas un grand artiste. Et cela, je ne peux pas. C’était un connard, responsable de la mort de beaucoup de gens, mais c’était aussi un artiste qui a eu une influence énorme sur sa postérité. Il faut tracer une ligne de démarcation – comme entre le sport et la politique.

Le festival vous reproche surtout des phrases que vous avez prononcées, comme : "D’accord, je suis un nazi."
Permettez-moi d’abord de mettre une chose au clair : je porte un nom juif danois très célèbre. Mes enfants également. J’ai passé la moitié de mon existence à faire des recherches sur mes racines juives. Jusqu’à ce que j’apprenne que l’homme que je pensais être mon père ne l’était pas. En réalité, je suis d’ascendance allemande. Et, en argot danois, on appelle les Allemands par le terme "nazis", même si ce n’est pas amusant du tout, mais simplement stupide. Je n’étais donc pas juif, mais un nazi – en d’autres termes, un Allemand.

Les accusations d’antisémitisme tomberaient donc à plat ?
Je ne suis pas d’accord avec la politique d’Israël vis-à-vis de la Palestine. Mais je ne suis pas Mel Gibson. Certainement pas. Je suis l’inverse de lui. J’ai visité tous les camps de concentration, et je considère que l’Holocauste est le crime le plus atroce qui ait été commis dans l’histoire de l’humanité. Naturellement, j’ai été un peu naïf. En tant que Danois, je pensais que je pouvais aborder le sujet un peu plus ouvertement. Mais ce que j’ai dit était erroné et stupide, et je m’excuse pour le mal que j’ai fait à beaucoup de gens. Ceux qui veulent me casser la gueule sont les bienvenus. Mais je dois les prévenir : je risque fort d’aimer cela. Peut-être n’est-ce pas le meilleur moyen de me châtier.

La direction du Festival de Cannes ne semble pas loin de vouloir le faire. Comment expliquez-vous la violence de ces réactions ?
Manifestement, c’est un sujet très sensible, même ici. Parce que les Français se sont montrés particulièrement cruels à l’égard des Juifs au cours de leur histoire.

Pardonnez-moi, mais ce n’est pas avec ce genre de déclaration que vous allez redorer votre image aux yeux du festival.
Pour être franc, tout m’est égal, désormais. Je suis simplement fatigué, c’est tout. Avant de me mettre devant un parterre de journalistes, il faudrait m’enfermer dans une petite cage en me collant un truc sur la bouche. Même s’il y a des sujets de politique dont je discuterais volontiers. Par exemple, il est absolument stupide de bombarder Tripoli – même si je ne porte pas Kadhafi dans mon cœur. Les Nations unies n’ont pas été créées pour propager le libéralisme américain, mais pour éviter les guerres. Mais peut-être est-il préférable de nous en tenir simplement au film, maintenant.

traduction : courrierinternational.com


Voir en ligne : "Wer mir in die Fresse hauen will, ist willkommen"

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