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Año cero, kilómetro cero

Colectivo editor | diagonalperiodico.ne | Jueves 26 de mayo de 2011

mardi 31 mai 2011

DÉROULEMENT DU MOUVEMENT

DÉROULEMENT DU MOUVEMENT

DES CAMPEMENTS EN ESPAGNE DU 15 AU 22 MAI

Traduit pour Diagonal par Marina Almeida et révisé par Antoine Durand

 

Texte d'introduction du collectif d'édition du journal espagnol Diagonal aux 7 pages consacrées au mouvement 15M dans le numéro 150-151 — paru le 26 mai 2011 — sur  l'hebdomadaire et le site web :

http://www.diagonalperiodico.net/


Le 15 mai 2011 des milliers de personnes sont sorties dans la rue pour réclamer une Démocratie Réelle dans de nombreuses villes d'Espagne. Le soir, environ 300 personnes ont décidé de poursuivre les mobilisations en campant à la Puerta del Sol de Madrid.

L'évacuation des manifestants par la police déclenche de nouveaux campements dans plus de 30 villes ainsi qu'une augmentation du nombre de personnes indignées se rendant sur la Plaza del Sol. À chaque menace d'évacuation policière, la foule grandit de façon exponentielle. On peut ainsi lire sur l'une des pancartes faisant référence à l'expression De Madrid, jusqu'au ciel : du campement de la Plaza del Sol ... jusqu'au ciel.

En pleine période de campagne électorale des rassemblements et des assemblées publiques de plus en plus massives ont fait irruption; ils ont réuni un public hétérogène et intergénérationnel et ont relégué les partis politiques au deuxième plan. La #spanish revolution  a explosé et s'est répandue partout.

 

Débordement

L'agenda électoral a été noyé sous un foisonnement de revendications gravitant autour du concept de démocratie participative, de démocratie “réelle”, non assujettie aux marchés; le jeu institutionnel a été submergé par des citoyens — “ceux d'en bas”, “le peuple”, comme ils s'autodéfinissent dans les consignes et les manifestes — autoconvoqués par le biais d'Internet. Ils se révoltent contre les partis et les syndicats majoritaires et désavouent l'élite culturelle au cri de Ils ne nous représentent pas!.

Ce n'est que quand la presse internationale s'est faite écho du mouvement que les médias traditionnels et les habitués des réunions “intellectuelles” ont transformé leur silence en disqualification, en désarroi, allant même jusqu'à pousser de timides Il était temps.

La force engendrée par les événements a retourné non seulement la classe dominante mais également les organisateurs des manifestations et les participants. Démocratie Réelle Maintenant, organisatrice des marches du 15 mai, soutien les campements sans les convoquer et ceux-ci se détachent de l'élan initial.

Les campements, bien que coordonnés entre eux, sont indépendants les uns des autres et, au fil des jours, ils se fragmentent en commissions et sous-commissions. «On est dépassé — dit Gonzalo, du campement de Plaza del Sol — on prend une décision sur quelque chose au sein de la commission et lorsqu'on s'apprête à la divulguer, on se rend compte qu'il y a quelqu'un qui est déjà en train de la mettre en œuvre».

Les mouvements sociaux traditionnels, eux non plus, ne savent pas avec exactitude ce qui se passe. Ils sont abasourdis et, en même temps, reprennent espoir. Ils s'organisent en assemblées et participent à une mobilisation qui a fait siennes plusieurs de leurs consignes —  comme par exemple, Ils appellent ça démocratie mais ce n'en est pas une.

Le journal Diagonal ne constitue pas une exception, il n'a pas les moyens de rendre compte des campements sur la totalité du territoire et de toutes leurs revendications. Se posent alors de nombreuses questions : comment participer au mieux au processus? Faut-il se rendre à la Plaza del Sol ou bien privilégier l'actualisation du contenu du site? Comment relater un événement en évolution permanente? Les dépêches rédigées à la hâte — émanant du flux continu d'informations recueillies sur la Plaza del Sol — s'entassent; elles témoignent de ce débordement phénoménal.

 

Démocratie ici et maintenant

L'après-midi du dimanche 22 mai, jour des élections municipales et régionales, des milliers de personnes assistent, trois heures durant, à une assemblée à la Plaza del Sol. Les groupes de travail et les commissions y présentent leurs propositions, allant des questions d'ordre pratique (la gestion des sandwiches …) jusqu'à d'éminentes questions politiques (l'annulation de la dette externe ou la réforme de la Constitution …).

Personne ne semble se souvenir qu'à quelques mètres de là, au bureau du Partido Popular [de droite] on se prépare pour célébrer la victoire électorale. Selon Europe Press cette célébration a rassemblé 1.500 personnes, un chiffre dérisoire par rapport à la multitude qui grouille sur la Plaza del Sol.

Lorsque l'on quitte la Plaza del Sol et qu'on se remet à lire un quotidien ou à regarder le journal télévisé, on est assailli par un sentiment étrange de rupture entre deux mondes : entre le monde véhiculé par les médias et celui qui nous parvient à travers les réseaux sociaux; entre le système parlementaire et la démocratie en cours sur les places occupées dans tout le pays; en définitive, d'une rupture entre ce qui a été défini dans l'un des groupes de travail comme la disjonction entre le pouvoir constitué (la classe politique, les médias, les marchés) et le pouvoir constituant composé par cette multitude qui a fait honneur à la “jornada de reflexión” [journée de réflexion précédant le jour des élections] de l'agenda électoral, pour la première fois depuis très longtemps.

 

Intelligence collective

La place fonctionne comme une feuille blanche sur laquelle, petit à petit, on esquisse un dessein collectif en fonction des désirs et des nécessités. Au cours des échanges entre les groupes présents les premiers jours on a préparé une réflexion organisée qui a eu lieu pendant le week-end des élections. Les commissions et les sous-commissions s'élargissent, les groupes de travail se multiplient.

On discute économie, art, tâches ménagères et soins, écologie, politique à court et à long terme,  communication; différentes approches en matière d'éducation et de santé sont mises en commun. Les groupes de discussion ne tiennent plus dans l'enceinte de la Plaza del Sol. D'autres Places sont investies, comme celle du Carmen, celle de Benavente, la rue Montera ou celle des Descalzas. 

Tous les jours ces groupes font part aux assemblées générales des décisions prises en commun, assistés d'interprètes (y compris dans la langue des signes). La commission Respeto y distribue de la crème solaire, pour ne pas griller sur la Place du Soleil. L'intelligence collective est au beau fixe et l'entraide  donne le ton. Un membre de la commission de communication s'interroge : «Pourquoi les gens ne se comportent-ils pas comme ça d'habitude?». La créativité bat son plein sur les Places mais comment en tirer profit?

 

Une solidarité contagieuse

Marie Fernanda, utilisatrice de twitter, illustre bien l'ambiance qui règne sur le campement de la Plaza del Sol : «Les madrilènes nous sourient et demandent même la permission lorsqu'ils traversent la foule. Puis, si par mégarde ils nous bousculent, alors ils présentent leurs excuses. Ce miracle s'appelle #15M».

Au fur et à mesure que les jours passent, des gens de toutes les générations se rendent sur la Place pour entendre les propositions de chacun. On peut y entendre résonner des Il était temps!, des Enfin!, des En quoi puis-je vous aider? Il y a de plus en plus des gens de tous milieux qui viennent offrir leur soutien. Les campeurs refusent tout don d'argent mais acceptent les autres types de dons : un mobile qui retransmet Internet, des tonnes de nourriture, un jambon serrano, des fruits, de l'eau. Ces dons sont alors partagés sur la place avec les gens qui assistent à l'assemblée.

Un voisin anonyme offre des plaques solaires pour venir à bout des problèmes énergétiques. Un collectif met à disposition ses générateurs et accumulateurs. On a jugé “non nécessaires” quelques générateurs offerts par la société Inditex (Zara). On a annoncé également le rejet d'une offre faite par Pepsi, qui, en échange de quelques canettes, veut sa part dans la #spanish revolution.

 

La ville Soleil

Impensable! En seulement une semaine la Puerta del Sol, symbole de la gentrification à la madrilène, est réinvestie par des milliers de personnes.

Pendant quelques jours — qui sait?, peut-être pour toujours — la Plaza del Sol cessera d'être «l'archétype des places inhospitalières : des endroits dépourvus de véritable vie communautaire, de logement, imperméables à l'humanité la plus élémentaire», selon Andrés Devesa, du Groupe Surréaliste de Madrid.

La joie a investi cet espace hostile, ce non-lieu dans lequel, jusqu'au 15 mai, les manifestations s'effaçaient dans le trafic de passants pressés, des touristes, des consommateurs et du personnel des entreprises se rendant au travail. À présent, elle s'est transformée en un espace accueillant, en une sorte de ville dans la ville, qui fonctionne selon ses propres règles.

Les “habitants” de la ville Plaza del Sol ne se contentent plus de passer ou d'être des spectateurs pendant les discussions et les réunions : tout le monde veut participer, intervenir et donner son opinion. Lorsque  quelqu'un a la voix qui tremble en parlant devant des milliers des personnes, les gens se mettent à l'applaudir afin de l'encourager à continuer.

Parmi ses habitants les plus assidus prévaut le sentiment que la vie est suspendue, que tout le reste peut attendre. Le temps se dilate et devient beaucoup plus intense, on oublie qu'il faut se nourrir et on accumule les heures sans sommeil. La dose d'adrénaline générée par la participation à un effort collectif rend difficile tout départ de la Place. Impossible d'aller se reposer. Impossible de s'arrêter.

 

Et maintenant, que faire?

Les médias exigent des propositions claires, un manifeste, un programme avec ses différents points. Ces impératifs s'opposent à la nécessité du calme essentiel aux débats et à la recherche de consensus au sein d'un mouvement en construction. «Les assemblées des campements sont jugées de façon erronée. Ils n'ont pas besoin de programme; il s'agit de citoyens qui échangent et réfléchissent ensemble», remarque le chercheur José Luis de Vicente.

Les élections passées, sur la Plaza del Sol et sur les autres Places occupées du pays, un défi s'installe : comment donner une continuité au mouvement? Comment donner corps à ses multiples propositions? Faudrait-il s'accorder sur un nombre limité de revendications bénéficiant d'un large support, et les proclamer aux quatre vents, ou bien, élaborer un programme étendu et prolixe? Faudrait-il déplacer les assemblées dans les quartiers ou bien, continuer de miser sur des évènements massifs? Combien de temps, encore, faudrait-il poursuivre les campements? Tout est sujet à discussion dans la Ville Soleil et sur les autres campements.

 

Pédagogie du langage

Quelques voix soulèvent : «Ce qui est important, c'est ce que nous désirons et non pas ce que nous sommes»; tandis que les médias, eux, s'obstinent à mettre des étiquettes. Dans Google, il y a jusqu'à 8.000 occurrences de la devise Nous ne sommes pas antisystème, c'est le système qui est contre nous. Alors que l'on met le langage sens dessus-dessous, on redonne leur sens à des termes tombés en désuétude, tels que “révolution” ou “peuple” dans un discours sans sujet prédéfini, qui revendique sa non appartenance à un parti et refuse les sigles. Dans cette démarcation du politique il ne faut pas confondre être “apartiste” et être “apolitique”.

 

Il est indispensable de bien choisir les mots pour nommer les revendications. Dans l'espace dédié à l'échange, on explique maintes fois les différentes manières de participer aux débats, pour qu'il n'y ait pas d'interruptions, et on préconise un langage inclusif. Malgré ces précautions, de temps à autre, des applaudissements, des protestations, des sifflements, et quelques commentaires sexistes viennent interrompre les débats. Il est fondamental de faire preuve de pédagogie puisque les insultes et les malentendus peuvent être «à l'origine d'un grand débat politique», d'après la réflexion de l'écrivaine Bethléem Gopegui à propos du retrait d'une pancarte féministe qui a suscité la création d'un atelier sur le machisme.



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Transmis par Marina
Date : Tue, 31 May 2011 17:59:50 +0000


Voir en ligne : Año cero, kilómetro cero

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