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Le mécénat d’entreprise déserte la culture

Marie-Aude Roux | lemonde.fr | 24.03.11

samedi 26 mars 2011

Les chiffres sont passés inaperçus, pourtant ils sont terribles : selon une enquête réalisée par l’institut CSA pour l’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial), le mécénat de la culture est passé de 975 millions d’euros à 380 millions d’euros de 2008 à 2010, accusant une perte de 595 millions d’euros, soit 63 %.

Certes, le mécénat lui-même a baissé de 2,5 milliards d’euros à 2 milliards d’euros (moins 20 %) lors même que le nombre d’entreprises mécènes augmentait de 17 %. Mais la culture ne représente plus que 19 % du budget global et se situe désormais en troisième position derrière le trio "social, éducation, santé" (36 % du budget, soit 720 millions d’euros) et le sport, lequel, en progressant de 26 %, prend la seconde place en termes d’engagement.

Pour le président de l’Admical, Olivier Tcherniak, les dés en sont jetés : "Le mécénat culturel est en train de mourir, ou du moins, de se transformer radicalement." La crise ? Elle ne serait que la partie immergée d’un iceberg en train de fondre. Le mécénat, en effet, à l’image de notre société avide de profits à court terme, a progressivement dérivé vers la communication. Laquelle s’est ralliée naturellement aux grandes institutions culturelles. "Plutôt que de financer quinze petites structures, on préfère investir dans un grand projet plus visible", constate Olivier Tcherniak.

Aider les gros, donc, ou alors les très faibles, qui n’ont aucun accès à la culture. C’est là l’autre facteur important : le glissement du mécénat vers la responsabilité sociale est désormais un fait établi. "Les grands patrons doivent rendre des comptes à leurs actionnaires et à leurs salariés, affirme Olivier Tcherniak. Faire du social, de l’humanitaire ou de l’environnemental est devenu plus facile."

La faute à la fameuse RSE (responsabilité sociale des entreprises, code de bonne conduite à base d’éthique responsable et d’utilité publique), qui, en rapport avec les compétences et l’objet social de l’entreprise, exclut a priori la culture. Cette obligation favorise ce que l’on a nommé le "mécénat croisé" : un programme culturel ne sera soutenu que s’il appuie lui-même des actions sociales (insertion, actions éducatives, accessibilité des publics).

"Le discours auquel sont sensibles les entreprises aujourd’hui ne passe plus par la beauté de l’art mais par la culture comme facteur d’équilibre de la société", note Christophe Monin, responsable du département de fundraising au Musée du Louvre. Jean-Yves Kaced, directeur du développement à l’Opéra de Paris, confirme : "Il est plus facile de trouver des fonds pour notre programme pédagogique "Dix mois d’école et d’opéra" que pour une création." Quant au Centre Pompidou, c’est son responsable RSE qui a attiré le mécénat de compétence de Logica au prétexte qu’offrant la plus belle collection d’art contemporain à des personnes économiquement faibles, il remplissait une mission de service public ? "Ce n’est pourtant pas aux entreprises de faire la politique culturelle d’un pays !", s’emporte Martine Tridde-Mazloum, directrice de la Fondation BNP Paribas.

Pointé par tous, le désengagement de l’Etat pèse lourd. "Le mécénat est très clairement lié à l’affirmation d’une politique culturelle forte, renchérit Mme Tridde-Mazloum. Or le désengagement des pouvoirs publics et le manque de grands projets culturels découragent les entreprises."

Le président du Château de Versailles, Jean-Jacques Aillagon, insiste : "Bien que le mécénat (20 millions d’euros) constitue un sixièmede notre budget, je le considère comme un plus dédié aux opérations exceptionnelles." Et d’affirmer posément que sans les fonds du Qatar Museums Authority, il se serait "passé de l’exposition Murakami".

Tandis que les grosses structures voyaient leur mécénat se stabiliser, voire augmenter, la situation est devenue plus critique pour les plus fragiles, notamment le spectacle vivant. Le Festival d’Avignon a perdu son principal soutien, Dexia, qu’il est finalement parvenu à remplacer (Fondation Crédit coopératif). Le Festival d’automne ne doit ses bons résultats qu’à l’engagement massif de la Fondation Bergé-Saint Laurent. Quant au Théâtre de l’Athénée, entre 2009 et 2010, le nombre de spectacles soutenus est passé de 1 à 0...

La concurrence n’a jamais été aussi rude : ces dix dernières années ont vu les banques et compagnies d’assurances fusionner, réduisant d’autant les guichets, alors même que la recherche et l’enseignement supérieur partaient à leur tour en croisade. "Depuis trois, quatre ans, le nombre de demandes a explosé de 30 %, confie Martine Tridde-Mazloum. Nous recevons en moyenne 4 000 dossiers par an, dont deux ou trois seulement sont affectés."

A la Fondation Orange, la chargée des projets culturels, Marie-Sophie Calot de Lardemelle, prévient : "Il faut que la culture réfléchisse. Le mécénat est en train de muter. On fait moins de projets mais à plus long terme. Du coup, on demande aux artistes une implication dans l’entreprise qui dépasse la contrepartie du logo et des places de concerts. Nous ne sommes plus de simples bailleurs de fonds."

Quelques facteurs encourageants demeurent. Interrogées, 70 % des entreprises déclarent vouloir maintenir sinon développer leur mécénat. Les PME et PMI s’impliquent dans le mécénat de proximité. Et le mécénat individuel émerge. Le directeur général du Festival d’Aix-en-Provence, Bernard Foccroulle, constate qu’il "est passé de 200 000 à 500 000 euros entre 2006 et 2011". Au Louvre, Les Trois Grâces de Cranach ont affolé le mécène de la rue : "Sur le 1,5 million d’euros de souscriptions, 1,2 million est venu de donateurs individuels", s’enthousiasme Christophe Monin.

Faible consolation. Entre la raréfaction des flux financiers et les exigences accrues des entreprises, la situation se dégrade. L’humour noir de Martine Tridde-Mazloum pourrait bien devenir réalité : "Je dis parfois aux artistes que la chance qu’ils vont avoir à devenir des précaires, c’est qu’on va bientôt pouvoir les aider au titre de la solidarité !"

Marie-Aude Roux


Transmis par Valy


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