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Chocolat : Un arrière-goût d’exploitation

evb.ch | 15 mars 2011

jeudi 31 mars 2011

Consommer est un acte politique. La Déclaration de Berne démarre une nouvelle série de fiche d’informations destinées aux consommateurs dans le but de les aider à effectuer des achats responsables. Les fêtes de Pâques approchant à grands pas, ils inaugurent cette série de publications en abordant les problématiques qui se cachent derrière la fabrication du chocolat.


Près de 70 pour cent de la production mondiale de cacao provient d’Afrique de l’Ouest. Dans les plantations de Côte d’Ivoire et du Ghana, le travail et l’esclavage des enfants sont monnaie courante. L’industrie chocolatière, qui est parfaitement au courant de ce scandale depuis de nombreuses années, porte une lourde part de responsabilité. Afin de garantir de meilleures conditions de travail, les grandes entreprises du secteur doivent garantir des prix décents aux producteurs et une plus grande transparence sur l’ensemble de leur filière d’approvisionnement.

Savez-vous que :

Un tiers du cacao mondial vient de Côte d’Ivoire ?

La majeure partie des entreprises chocolatières n’ont aucune idée d’où provient le cacao qu’elles transforment ?

Les suisses consomment près de 12 kilos de chocolat par année et par personne ?

La majorité des agriculteurs qui produisent des fèves de cacao vivent dans la pauvreté ?

Aperçu

Dans le monde, il y a environ 5,5 millions d’agriculteurs qui produisent du cacao. Un tiers de cette production vient de Côte d’Ivoire et 20 pour cent proviennent du Ghana. Le Nigeria, le Cameroun, l’Indonésie, le Brésil et l’Equateur fournissent le reste. Les petits producteurs vendent leurs fèves à des entreprises de transformation qui confectionnent les produits de bases pour la fabrication du chocolat. Le marché mondial des produits à base de cacao est dominé par un petit nombre de multinationales qui en retirent les principaux bénéfices. En effet, moins de 5 pour cent du prix d’une tablette revient dans les poches des producteurs de cacao.

Ces dernières années, les problèmes écologiques et sociaux liés à la production de cacao se sont aggravés. Les revenus des producteurs, qui étaient déjà très bas, ont fondus sous le coup de la baisse des prix de la matière première. Dans les régions de production, les mauvaises conditions d’existence et le travail des enfants sont monnaie courante, tout particulièrement en Afrique de l’Ouest. L’industrie du chocolat porte une lourde responsabilité dans les atteintes aux droits humains observées dans la filière du cacao, étant donné son influence prépondérante sur les prix du cacao au travers des politiques d’achats qu’elle cautionne. De plus, plutôt que de contrôler leurs filières et de s’attaquer aux problèmes sociaux et environnementaux, les entreprises profitent de la faiblesse des structures étatiques des pays producteurs pour augmenter leurs profits. Ils se rendent ainsi coupables, ou tout du moins complices, de graves violations des droits humains.

En 2001, l’industrie du cacao s’est engagée, dans le cadre du Protocole Harkin-Engel, à mettre un terme, d’ici à 2005, aux pires formes de travail des enfants, à la traite des enfants et au travail forcé des adultes dans les plantations de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana. Ce délai a été prolongé à plusieurs reprises et on est encore loin d’avoir atteint les objectifs fixés. Ce qui montre bien la portée limitée des engagements volontaires de l’industrie.


La situation en Côte d’Ivoire

Depuis les élections présidentielles de novembre 2010, Laurent Gbagbo, le candidat sortant, et Alassane Ouattara, reconnu comme président élu par la communauté internationale, se disputent le poste de président de la République de Côte d’Ivoire. Un gel des exportations de cacao a été décrété par Ouattara afin d’assécher les finances de son rival. Mais les perdants de cette décision sont les producteurs qui se retrouvent avec de grandes quantités de cacao sur les bras sans avoir les moyens de le stocker correctement. Le refus de l’industrie de s’engager pour une transparence complète des flux financiers et des matières premières avait déjà favorisé le financement des efforts de guerre des rebelles et des forces ivoiriennes lors de la guerre civile, entre 2002 et 2007. Cet élément joue à nouveau un rôle néfaste dans la crise actuelle.

Le travail des enfants

L’université états-unienne de Tulane, mandatée pour accompagner et documenter le processus de mise en oeuvre du Protocole Harkin-Engel, a produit un rapport en 2010 qui démontre que de nombreux dysfonctionnements continuent d’avoir cours dans le secteur du cacao. En 2009, près de 820 000 enfants travaillait dans les champs de cacao en Côte d’Ivoire, dont 260 000 qui étaient victimes des pires formes du travail des enfants au regard des conventions 138 et 182 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Au Ghana, la situation est similaire, même si le gouvernement s’est engagé à lutter contre l’exploitation des enfants. Le cas des enfants venus du Mali ou du Burkina Faso, vendus à des producteurs afin de travailler dans des exploitations de cacao est particulièrement préoccupant. La raison principale du recours au travail des enfants est la rémunération, celle des enfants n’équivalant qu’à la moitié des salaires des travailleurs adultes. Ce qui est mis en cause, c’est les revenus extrêmement faibles des agriculteurs du secteur. Pour combattre le travail des enfants, les petits producteurs ont non seulement besoin d’être sensibilisés aux conséquences néfastes de ce phénomène, mais ils ont aussi besoin de fonds leur permettant d’engager du personnel adulte ainsi que le paiement d’un prix plus élevé pour leurs fèves de cacao.

Les principaux acteurs

Dans l’industrie du chocolat, il faut faire la distinction entre les entreprises qui transforment le cacao afin de fabriquer des produits intermédiaires et celles qui produisent les marques de chocolat que l’on retrouve dans le commerce de détail. Les premières sont des firmes peu connues du public, comme le suisse Barry Callebaut, le géant étatsunien Cargill, ADM, Petra Foods, et Blommer. Les principales entreprises vendant des produits finis sont Kraft Foods, Nestlé, Mars, Hershey’s et Ferrero. Ces dix entreprises dominent tellement le marché du cacao et du chocolat que l’on peut parler d’oligopole. Elles pourraient donc avoir une grande influence pour imposer et faire respecter les droits humains dans la filière. Les ventes mondiales de chocolat et autres friandises à base de cacao atteignaient environ 107 milliards de francs en 2009 (dont 1,7 milliards rien que pour la Suisse). Les cinq plus grandes entreprises se partagent près de 52,3 pour cent de ce montant.


Exemple de cas : Nestlé

En 2010, Nestlé achetait environ 380 000 tonnes de cacao, soit plus de 10 pour cent de la production mondiale. Pour plus de 90 pour cent de ce cacao, l’entreprise ne donne aucune indication sur l’origine des fèves, soit parce qu’elle s’y refuse, soit parce qu’elle ne le peut tout simplement pas. Il est donc fort probable que cette dernière se procure de la matière première dont la production est marquée par des infractions aux droits humains.

Avec le lancement du Plan Cacao de Nestlé en 2009, la compagnie donne l’impression de prendre à coeur ses responsabilités sociales et promet une amélioration significative des conditions d’existence de familles de producteurs de cacao. Mais ce plan ne concerne que 1,5 pour cent du cacao utilisé par l’entreprise et est critiquable sur bien des points. Alors que cela fait plus de 80 ans que Nestlé utilise du cacao, la multinationale prend en compte les mauvaises conditions d’existence des producteurs que depuis deux ans. En réalité, au travers de sa politique de prix, Nestlé est en partie responsable de la misère qui sévit chez les petits producteurs, et en a profité pour augmenter ses profits. Aujourd’hui, son « Plan Cacao » n’est rien d’autre qu’un outil marketing, avec lequel la multinationale entend exploiter une deuxième fois la pauvreté des communautés de producteurs. Elle en profite également pour mettre en place une nouvelle relation de dépendance avec ces dernières. En effet, elle leur offre des plants de cacaoyer afin de relancer la production et de faire baisser les prix, baisse qui se répercutera durement chez les petits exploitants, qui actuellement déjà reçoivent un prix insuffisant pour couvrir leurs frais de production. Il serait nettement plus cohérent de sa part de s’engager à régler les problèmes structurels, plutôt que de se concentrer uniquement sur une baisse des prix. Pour une amélioration de la situation, il est urgent de mettre en oeuvre des relations transparentes avec les producteurs afin d’obtenir une traçabilité pour tous les produits, et de garantir le paiement d’un prix minimum qui prenne en considération les conditions dans lesquelles vivent les producteurs, afin d’obtenir une filière d’approvisionnement débarrassée des violations des droits humains qui la caractérisent actuellement.

Initiatives durables

Le contexte du marché du cacao montre bien les limites des initiatives volontaires des entreprises en termes de responsabilité sociale et environnementale. Beaucoup d’initiatives issues de l’industrie dans ce domaine se contentent de travailler à une augmentation de la productivité et des rendements agricoles, en partant du principe qu’une fois ces objectifs atteints les problèmes sociaux et environnementaux se règleront d’eux-mêmes. D’autres ne font que dénoncer le travail des enfants et appeler à son bannissement sans accepter de reconnaitre leur propre responsabilité dans le problème, notamment le fait de payer des prix trop bas, de ne pas s’engager sur la longue durée avec les producteurs ou de refuser de préfinancer les récoltes. Ces deux dernières années, différentes entreprises suisses ont lancé des projets pour une production de cacao durable, mais il est toutefois encore trop tôt pour se prononcer sur les résultats obtenus.

Dans le même temps, le nombre de labels de certification promettant un chocolat durable, a fortement augmenté ces dernières années. Pour la Suisse les plus importantes sont : Max Havelaar (commerce équitable), Rainforest Alliance, Utz Certified et le label Bio. Toutefois, dans le monde seul 3 pour cent de la production de cacao est certifiée. De plus, seul Max Havelaar s’engage sur certains points primordiaux comme l’imposition d’un prix minimum et le soutien aux petits producteurs. Cette certification ne concerne malheureusement que 0,5 pour cent du chocolat vendu en Suisse.

La situation en Suisse

Les suisses, avec 12 kilos par personne et par année, sont les plus gros mangeurs de chocolat de la planète. Le pays est connu mondialement pour la qualité de son chocolat, et abrite avec Barry Callebaut, Lindt et Nestlé trois des entreprises chocolatières les plus influentes au monde. Et même si la plus grande part de la production de ces trois firmes est vouée à l’exportation, les décisions stratégiques sont prises en Suisse. L’industrie chocolatière suisse n’a accepté de se montrer plus transparente sur ses filières d’approvisionnement et sur ses politiques d’achat que dans les deux dernières années. Ces industriels montrent aujourd’hui un intérêt grandissant à établir des relations directes avec les communautés de producteurs. Mais les projets mis en place ne représentent à l’heure actuelle qu’une goutte d’eau dans l’océan. Il n’y a pas encore eu de changement notable. Les industriels ignorent toujours l’origine de la plus grande partie de leurs fèves de cacao. En particulier, le beurre de cacao pose de graves problèmes. De jolies brochures et des sites Internet enjôleurs sont censés donner l’impression aux consommateurs que les industriels prennent leurs responsabilités. En réalité, sur le terrain, le quotidien des communautés de producteurs n’a pas évolué. Les enseignements tirés de la situation actuelle en Côte d’Ivoire doivent aussi pousser les entreprises chocolatières suisses à se montrer plus transparentes en ce qui concerne leurs filières d’approvisionnement et leurs flux financiers, afin de ne pas laisser perdurer un système qui favorise le maintien de régimes corrompus. Mais malgré les prix élevés du cacao sur le marché international et différents épisodes de crises sur les bourses du cacao, le chiffre d’affaire global de l’industrie chocolatière suisse a augmenté de près de 2,4 pour cent, pour s’élever à 1,743 milliards de francs suisses.

Comment agir ?

 • Lors de vos achats privilégiez le chocolat issu de l’agriculture biologique et
du commerce équitable.

 • Si vous ne connaissez pas l’origine du cacao et les conditions de fabrication
de votre chocolat préféré, demandez à son fabricant s’il peut garantir que le cacao utilisé a été récolté ou travaillé sans recours au travail des enfants.

 • Evitez la surconsommation et rappelez-vous que le chocolat est un produit complexe à élaborer.

 • . . . mais continuez à manger du chocolat, de manière à ce que les producteurs des pays du Sud puissent, un jour, profiter pleinement des fruits de leur travail.


Voir en ligne : Chocolat : Un arrière-goût d’exploitation

Messages

  • Bonsoir, je viens de voir un reportage absolument édifiant , revoltant sur Arte, qui montre l’exploitation d’enfants malien vendus a la cote d’ivoire pour travailler comme esclaves dans les plantations de cacao.
    Je n’étais absolument pas au courant de ce trafic !
    J’adore le chocolat, mais je peux vous assurer qu’a compter de ce jour, je vais être extremement vigilante et je n’acheterai plus que du chocolat dont je serai certaine de la provenance et dont il sera certain qu’elle ne sera pas issue de l’exploitation d’enfants !!!!

  • Moi aussi je viens de voir le reportage sur la filière d’exploitation des enfants pour la récolte du chocolat en cote d’ivoire, je suis affligé par la réponse ou plutôt la non réponse de la firme Nestlé.
    En fait la firme n’est qu’une banque qui n’as pas de morale et ne vie que pour faire du profit à n’importe quel prix.
    Ce que ne dit pas directement le reportage c’est que le paysan ivoirien est lui aussi esclave de Nestle ....le capitalisme sauvage dans toute sa splendeur.
    Les croisades n’ont pas finit, le nazisme et les barbaries existent toujours et a la vue de tous en toute impunité.... dans des bureaux des yachts et des salles de marchés.
    C’est quoi la vie d’un enfant !

  • Merci pour cet article détaillé. J’ai aussi regardé le reportage d’Arte qui m’a carrément écoeurée. Comment agir ? Vous n’apportez pas beaucoup de solutions, la fatalité ça suffit ! l’esclavage des enfants (et des êtres humains en général) ne doit pas être acceptée sous aucun prétexte !
    Pour ma part je vais boycotter les grandes marques, en espérant que la prise de conscience des consommateurs prenne de plus en plus d’ampleur ......

  • j’ai aussi vu le reportage d’Arte, notamment le passage quand le journaliste projette les images des enfants esclave devant les portes du siège de Nestle et que celle-ci appelle la police.

  • c’est tout juste malheureux. c’est ça le néo-esclavage qu’on nous force à appeler mondialisation. tous les producteurs africains sont simplement des esclaves des grandes firmes mondiales. ça pousse les âmes sensibles à couler des larmes.

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