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Les yourtes audoises menacées par Loppsi 2

J.-L. D.-C. | ladepeche.fr | 10/01/2011

lundi 10 janvier 2011

habitat choisi

Dans sa yourte de Cubières-sur-Cinoble, Louise a mis 10 ans avant de concrétiser son projet d’éco-hameau. / Photo DDM, Didier Donnat.

La Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2) renforce le contrôle social et menace de destruction les habitats alternatifs tels que yourtes, cabanes, tipis, zomes ou caravanes. Un « habitat choisi » particulièrement présent dans l’Aude. Reportage.

C’est un petit chapiteau, dressé dans le jardin de Gérard Escoffier, à La Serpent. Du conduit traversant le puits de jour central s’échappe une rassurante petite fumée. Ce petit chapiteau est une yourte, l’habitat traditionnel mongol. Le boulanger de La Serpent a construit son fournil et vend ses pains bio sur les marchés. Il vit dans une maison en dur, mais dort depuis 4 ans avec sa femme sous cette tente qu’on classe dans la catégorie « habitat choisi ». « 5 m de diamètre, 20 m2 de superficie, donc pas de nécessité de déposer un permis de construire, une demi-journée pour l’installer. Un habitat écologique, reliée aux éléments naturels, chauffé rapidement… Et c’est une des solutions à la crise du logement » Cette authentique yourte importée de Mongolie pour 3 200 €, Gérard l’a construite lui-même.

Les habitats nomades ou alternatifs sont plutôt nombreux dans l’Aude. Notamment dans la Haute-Vallée. Cabanes et caravanes du côté d’Antugnac ou de Festes, zome (maison écologique en forme de losange ou approchant) à Luc-sur-Aude… mais les yourtes constituent sans doute les plus courues.

Notamment bien accueillies à Cubières-sur-Cinoble où Sylvie Romieu, maire de ce village d’une centaine d’habitants a soutenu l’installation de huit yourtes, en juillet dernier, par l’association Vivre ensemble qui y développe un projet pilote d’éco-hameau. Pas un « village de yourtes » à proprement parler, explique Valérie. Et surtout pas une communauté de marginaux : Vivre ensemble participe à la vie de Cubières et a désamorcé les peurs et fantasmes à force de journées yourtes ouvertes.

Vie collective à Cubières

Dans ce pré, cinq yourtes collectives dont la plus vaste sert aux réunions et aux activités, une biblio-yourte et une yourte cuisine, trois tentes individuelles, dont deux pour les voyageurs de passage… La vie collective s’organise autour d’un projet de création de centre de formation au jardinage.

Ici, on prône une vie saine : ni alcool, ni tabac, pas plus que de télé. Mais des toilettes sèches, des produits bio et le doux bruit du Cinoble qui coule, si pur, en contrebas du champ. On milite pour l’idée de la non-propriété, on défend un statut « terre de vie » pour ces expériences de vie collective, expliquent Valérie, Louise, Vivien ou Vincent.

Car quoi, après tout ? Serions-nous condamnés à vivre en lotissements ou cages à lapin de béton, à subir Drucker à la télé et le diktat de la consommation ? Pas question, ont répondu dès 1977 Jean-Pierre et Katharina Burri. Pépiniéristes, ils ne vivent pas dans une yourte mais dans une maison construite de leurs mains dans la forêt qui domine Brenac, en bois et torchis terre-paille, sur un plan octogonal, rez-de-chaussée et deux étages chauffés par un génial poêle de masse en terre et briques réfractaires. « Un mode vie », dit ce couple qui opéra un retour à la terre dans les années soixante-dix. Elle était infirmière, lui tapissier-décorateur. « On a compris qu’on ne pouvait plus fonctionner dans la société telle qu’elle était ».

Leur maison, toujours pas achevée, est totalement autonome énergétiquement grâce à une source d’eau, des panneaux photovoltaïques, le solaire alimentant les maigres besoins en électricité. Un habitat qu’on ne peut qualifier de précaire. Mais choisi, ça, oui !


Films et débat au Colisée

En collaboration avec Nature & Progrès de l’Aude, le cinéma Colisée propose une projection-débat autour de l’habitat choisi et des menaces que la loi LOPPSI 2 fait planer sur lui, ce soir, lundi 10 janvier, à 20 h 30 : Carapa, éco-site des Cévennes, chronique d’une démarche écologique et de vie plus sobre, et Une yourte dans la Drôme, portrait de Michel Marchand ancien dessinateur de lotissements, un documentaire proposant une réflexion critique sur le mode de vie moderne et ses aberrations. Tarif unique : 6 €, renseignements au 08 92 68 69 10.


« L’habitat choisi est menacé »

Éole Bonneault est animateur de Nature & Progrès, qui coorganise la projection-débat de ce soir avec le Colisée.

Combien y a-t-il d’habitats choisis dans l’Aude ?

Nous n’avons pas cherché à les dénombrer… On dépasse facilement les quelques centaines sur le département, dans la Haute-Vallée mais pas seulement. Le phénomène de « cabanisation » touche aussi beaucoup l’Ariège et les PO, département où le préfet mène une lutte sans merci contre ces habitations. Compte tenu de l’augmentation des inégalités et de la précarité en France, ce type d’habitat pourrait être appelé à se développer. Vous pouvez mettre les pauvres et les précaires en dehors de leur maison parce qu’ils ne paient pas leur loyer, vous pouvez détruire leur habitat parce qu’il n’est pas conforme, vous pouvez leur interdire les bidonvilles, mais fatalement, il faut bien qu’ils soient quelque part.

Derrière la précarité de ces habitats, il y a souvent une démarche écologique…

Le lien n’est pas forcément induit, mais on observe sur le département une forte relation entre le désir de vivre en bonne harmonie avec l’environnement et l’habitat choisi, que l’on qualifie souvent à tort de précaire. Beaucoup souhaitent un cadre de vie clairement naturel, et donc loin des lotissements, agglomérations, voire même villages. Pour des raisons qui leur sont propres et que nous ne devrions pas avoir à juger, ils veulent un contact plus fort avec la nature, comme vivre au milieu des bois ou en bord de rivière. Autre argument de poids : le coût du logement. Il est par exemple possible de se construire une maison bois/paille pour moins de 10 000€.

En quoi la loi LOPPSI 2 menace-t-elle l’habitat choisi ?

Tous les habitats « non conformes » - yourtes, tipis, bidonvilles, campements de SDF, caravanes, mobile homes, maisons construites sans permis, bref tous les mal lotis sont concernés par cette loi. Elle prévoit pour leurs habitants et/ou propriétaires l’expulsion dans les 48 heures qui suivent la mise en demeure préfectorale, le paiement de 3 750 € d’amende en cas d’obstruction (ou de non-dénonciation), et jusqu’à la destruction de l’habitat concerné, le tout sans qu’à aucun moment un juge ne soit intervenu dans la prise de décision. Et cela sans tenir compte de la « trêve hivernale » qui protégeait jusqu’à présent toute personne d’expulsion en hiver. Cette loi ouvre la porte à une répression forcenée de l’habitat choisi qui aurait eu le malheur de ne pas rentrer complètement dans les règles et les normes. Règles et normes qui, si elles ne font rien pour luter contre une urbanisation à outrance, détruisent les richesses locales des territoires (agriculture, paysages, architectures anciennes) et les liens sociaux.


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