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L’OMS crève un abcès en publiant le nom de ses experts

Stéphane Bussard - jeudi12 août 2010

samedi 14 août 2010

Pandémie de grippe A(h1n1)

L’Organisation mondiale de la santé a longtemps tenu la liste secrète pour protéger ses spécialistes de pressions extérieures qui auraient pu influencer l’objectivité de leur expertise

Après la polémique sur les liens trop étroits qu’entretiendrait l’Organisation mondiale de la santé avec l’industrie pharmaceutique, l’OMS a crevé l’abcès. Mercredi, elle a publié la liste très attendue des 15 experts du Comité d’urgence formé pour conseiller l’organisation dans la gestion de la pandémie de grippe A(H1N1). Les médias ont soupçonné l’institution spécialisée de l’ONU d’avoir surréagi à la pandémie quand il s’avéra que le virus était moins virulent que prévu. Ils se sont aussi étonné des énormes quantités de vaccins que les Etats se sont sentis contraints de commander pour faire face à la propagation de la contamination virale. Certains ont enquêté pendant des mois pour tenter de savoir qui siégeait au sein de ce Comité d’urgence. Des noms parfois fantaisistes sont apparus au public. Le Conseil de l’Europe a lui aussi cherché à savoir si l’OMS était sous influence des entreprises pharmaceutiques qui ont tiré d’importants profits de cette crise sanitaire mondiale.

L’acte de transparence commis par l’OMS peut être interprété comme une volonté de l’enceinte onusienne de tirer les leçons d’une polémique qui lui a causé des dégâts d’image. Porte-parole du Département d’alerte et d’action en cas d’épidémie et de pandémie de l’OMS, Gregory Hartl donne pourtant les raisons qui sous-tendent la publication de la liste d’experts : « Nous avions déjà annoncé que nous allions donner l’identité des experts à la fin de la pandémie qui a été annoncée mardi 10 août. » Gregory Hartl ne cache pas que son organisation est prête à apprendre des expériences passées. C’est la première fois, rappelle-t-il, qu’un tel Comité d’urgence fut mis sur pied. « A l’époque du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), le nom d’experts qui avaient conseillé l’OMS avait été publié et ces derniers avaient subi une très forte pression, notamment de l’industrie aéronautique qui craignait des pertes économiques importantes en raison de l’annulation de nombreux vols. Cette fois, nous avons voulu éviter de telles pressions qui auraient pu influencer l’objectivité des conseils prodigués par ces spécialistes. »

Relations incestueuses, conflits d’intérêt. Les qualificatifs n’ont pas manqué dans les médias pour qualifier le rapport opaque de l’OMS au lobby pharmaceutique. Face à de telles pressions, l’organisation onusienne n’a-t-elle jamais songé anticiper la publication de la liste d’experts ? Elle admet qu’elle fut confrontée à un dilemme et que l’identification des experts de l’OMS aurait produit un gain d’image en termes de transparence. Mais forte de l’expérience liée au SRAS, elle a préféré maintenir le même cap jusqu’à la fin de la pandémie.

Parmi les quinze experts du Comité d’urgence, quatre ont eu des liens personnels ou institutionnels avec les milieux pharmaceutiques. C’est le cas de la professeure Maria Zambon, responsable d’une unité au sein du Département de référence virale de la Health Protection Agency au Royaume-Uni. Mais aussi du docteur John Wood, qui travaille dans une autre unité de la même agence. Les unités des deux professeurs ont été en partie financées par Sanofi, Novartis, CSL, Baxter, IFPMA, Powdermed et GSK pour des travaux de recherche. Contactée par Le Temps, l’agence, qui fait partie du service public britannique, précise que « ni le professeur Maria Zambon […], ni le docteur John Wood […] ne tirent un profit financier personnel de la collaboration de la Health Protection Agency avec des entreprises pharmaceutiques. »

Le cas d’Arnold Monto est différent. Professeur au Département d’épidémiologie de l’Université du Michigan, il a conseillé GSK, Novartis, Roche, Baxter et Sanofi en matière de pandémies et de grippes saisonnières. Il a à chaque fois touché une rémunération inférieure à 10 000 dollars. Son unité académique a bénéficié d’une bourse de Sanofi Pasteur pour des tests cliniques relatifs à des vaccins. Scientifique à l’OMS, le docteur Charles R. Penn reconnaît que les intérêts d’un universitaire peuvent être plus personnels. Mais, précise-t-il, l’OMS a examiné le travail du professeur Monto dans la durée. « Nous avons aussi analysé la nature de sa relation avec l’industrie pharmaceutique. Le professeur Monto a créé sa réputation attestée par de nombreuses publications. Ce n’est pas la pharma qui va influencer son travail. »

Charles R. Penn ajoute que l’OMS n’aurait pas fait son travail si elle n’avait pas consulté de telles pointures également sollicitées par l’industrie. « Sur 15 experts, une poignée a eu des contacts avec l’industrie. Difficile d’imaginer que cela ait pu influencer le comité dans son ensemble. D’autant que lors de chaque réunion du Comité d’urgence, nous examinons l’indépendance des experts et limitons leur participation si nécessaire. »

Membre de l’Académie nationale de médecine de France, Marc Gentilini ne commente pas l’acte de transparence de l’OMS. Mais il fustige l’organisation, estimant que « ses hyperspécialistes de la grippe se sont trop enfermés dans leur bulle et ont oublié la réalité du terrain. L’OMS a trompé le monde entier. Je suis généralement favorable à la vaccination. Mais là, la décision de vacciner à tout va, sans l’adhésion des communautés concernées, a été mauvaise ».


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