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Faut-il libéraliser l’usage des drogues ?

AFP | alternatives-economiques.fr | mardi 4 janvier 2011

dimanche 9 janvier 2011

Un article de David Belliard dans le dernier numéro d’Alternatives économiques présente les avantages d’une politique de réduction de certains risques sanitaires liés à l’usage des drogues récréatives, face à ce qu’il appelle « les écueils opposés de la prohibition et de la libéralisation ». Cette question est importante, mais on voudrait ici présenter un point de vue plus large sur ce sujet peu débattu en France, en plaidant pour la libéralisation du commerce et de l’usage de toutes les drogues.

La France mène depuis longtemps une politique d’interdiction de la plupart des drogues récréatives, à l’exception de l’alcool. La principale loi en la matière date de 1970 et n’a pas été modifiée depuis. De manière surprenante, les enquêtes de l’EVS (European values study) établissent que la tolérance à l’égard de l’usage des produits stupéfiants (1) est très faible en France, (2) est à peu près aussi faible quelque soit l’âge et (3) n’augmente pas avec le temps. Même si un jeune sur deux a déjà fumé un joint, les bases d’un consensus prohibitionniste existent donc en France. Cette attitude est profondément déraisonnable.

Pendant longtemps, la légalisation a été défendue d’un point de vue surtout théorique, celui de la liberté de l’individu. Un débat s’engage alors, les prohibitionnistes opposant à l’argument de la liberté l’existence d’externalités négatives de l’usage des drogues, telles que la montée de la criminalité liée à la recherche de financements par les drogués. Ce débat est depuis longtemps dépassé par l’évolution du trafic. La légalisation s’impose aujourd’hui pour deux raisons pratiques : la prohibition a échoué et son coût est insupportable.

Un échec terriblement coûteux

L’interdiction du commerce et de la consommation des drogues dans la plupart des pays en application des décisions des Nations unies n’a entraîné aucune diminution de la consommation et du trafic. Il est évidemment difficile d’obtenir des statistiques fiables sur des activités illégales. Néanmoins, l’agence des Nations unies pour les drogues et la criminalité (UNODC) estime qu’environ 200 à 250 millions de personnes consomment des drogues illégales. Cette proportion ne manifeste aucune tendance à la diminution, malgré la « guerre contre la drogue » décrétée au niveau international. Ainsi, la production potentielle d’opium a doublé depuis 1995 et les saisies de drogues ont tendance à baisser, la production de cocaïne se maintient. Quant à la consommation, elle est estimée en légère baisse pour la cocaïne (la consommation des traders aurait-elle baissé du fait de la crise ?), stable pour l’héroïne, en légère hausse pour le cannabis et en hausse sensible pour les amphétamines et autres produits de synthèse.

Si les résultats de la « guerre contre la drogue » sont décevants, les conséquences négatives de l’interdiction des drogues sont catastrophiques et ces effets s’amplifient chaque année :

 Puissance de la criminalité organisée, qui prospère essentiellement grâce au trafic de drogues. Cette criminalité brasse des milliards d’euros, corrompt les administrations, tue et massacre, dans une escalade invraisemblable. La drogue entre aux Etats-Unis par avion ou par sous-marin, les trafiquants utilisent des mitrailleuses lourdes et des lance-roquettes.

 La violence liée à la drogue est proportionnelle aux enjeux financiers et à la puissance montante des cartels. Au Mexique, la lutte contre les trafiquants a fait plus de 10000 morts entre 2007 et 2010, dont un millier de policiers et militaires. Les personnels des forces anti-drogue n’opèrent plus qu’anonymement pour protéger leur famille, la corruption remonte au niveau des généraux et des gouverneurs. La guerre des gangs se traduit par la découverte de charniers ou de villages décimés, par la torture et l’assassinat de familles entières.

 Influence politique de la drogue, qui finance les Talibans en Afghanistan et entraîne l’émergence de « narco-Etats » en Amérique centrale, en Colombie, en Croatie. La responsabilité américaine dans cette situation est écrasante, les Etats-Unis ayant forgé à certaines époques des alliances avec les cartels de la drogue pour éradiquer les forces de gauche en Amérique centrale. Ces alliances ont favorisé le trafic, mais aussi l’armement lourd des cartels.

 Les politiques d’éradication par épandage ont affamé des milliers de paysans, la totalité des cultures, légales ou illégales, étant détruite par des raids aériens indiscriminés.

 La répression envoie des millions de personnes en prison, en particulier aux Etats-Unis, où 500000 personnes sont en prison pour des faits liés à la drogue. 1,5 million de personnes sont arrêtées dans ce cadre aux Etats-Unis chaque année, dix fois plus qu’en France, où les interpellations ont quasiment triplé en quinze ans.

La légalisation comme alternative

Les politiques de seringue propre ou le développement de produits de substitution facilitant le sevrage, pour utiles qu’elles soient, ne résolvent aucune de ces questions. La seule manière de couper l’herbe sous le pied des trafiquants (si l’on ose écrire) est de légaliser dans le monde entier la production, le commerce et la consommation, la seule limite étant l’interdiction de la vente aux mineurs et de la fumée dans les lieux fermés, comme pour le tabac et l’alcool.
Il n’y a pas de troisième voie.

A l’inverse du coût financier des politiques de lutte, la légalisation rapporterait de l’argent à l’Etat sous la forme de taxes. En effet, la légalisation entraîne évidemment un risque de hausse de la consommation qui n’est pas souhaitable. Des taxes plus ou moins élevées selon la dangerosité des produits, comme il en existe pour le tabac et l’alcool, sont nécessaires pour éviter l’effondrement des prix. Cet argent financerait les politiques de santé publique qui manquent tant à l’heure actuelle : aide au sevrage, contrôle sanitaire de la filière, information du public par des campagnes expliquant les dangers des drogues.

Il ne s’agit en effet pas du tout de supprimer les lois répressives et d’attendre que la raison l’emporte ou de faire confiance aux lois du marché, comme le prétend une caricature facile. L’hebdomadaire libéral The economist, qui plaide depuis des années pour la légalisation, insiste d’ailleurs sur la nécessité du traitement de la dépendance et de l’information sur les drogues. S’il n’est pas certain que cette stratégie réussisse, on peut remarquer qu’elle ne fonctionne pas si mal dans le cas du tabac, dont la consommation a nettement reculé dans la plupart des pays qui ont mis en place des politiques globales, jouant à la fois sur les prix, l’information et l’aide au sevrage.

L’ampleur de la catastrophe actuelle est telle que le risque de faire pire est très faible.

Cet article a été posté le Mardi, janvier 4th, 2011 à 12:40

© Arnaud Parienty pour Alternatives Economiques


Arnaud Parienty, 49 ans, est professeur agrégé de sciences économiques et sociales au lycée de Courbevoie (92). Auteur d’ouvrages sur la fiscalité (Le monde - Marabout), la productivité (Armand Colin) et la protection sociale (Gallimard - Le monde), il a participé à de nombreux manuels scolaires et universitaires aux éditions Nathan et collabore régulièrement à Alternatives Economiques. Il a également été membre, en tant que représentant de la FSU, du Conseil d’orientation des retraites et du groupe "prospective des métiers et des qualifications" du Conseil d’analyse stratégique.


Transmis par Emmanuel MAILLARD

Sun, 9 Jan 2011 16:51:03 -0800
Organisation : PAMF


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