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Des zones libres de mines au Pérou ?

Béatrice Héraud | novethic.fr | 06/01/2011

vendredi 7 janvier 2011

Alors que l’exploitation minière est en plein boom au Pérou, les conflits sociaux initiés par les mouvements indigènes ou paysans se multiplient. Pour protéger leur environnement de plus en plus fragilisé, des associations demandent aujourd’hui à ce que des parties du territoire soient classées comme « zones libres d’exploitation minière ».

Depuis son ouverture aux investisseurs étrangers dans les années 90, le secteur minier est en pleine explosion au Pérou, un pays qui occupe désormais la troisième place mondiale en termes de capitaux étrangers –notamment européens- dans le secteur. Tant et si bien que les concessions minières occupent désormais près de 19,6 millions d’hectares soit environ 15 % du territoire national. Et 48,6 % de la forêt amazonienne si l’on rajoute l’exploitation pétrolière. Une part qui pourrait même grimper jusqu’à 72% selon les accords de l’évaluation technique et des demandes de concessions (1). Déjà, dans certaines zones, elles comptent pour plus de la moitié du territoire comme dans la province de Chumbivilcas, où 85 % du département est occupé par des concessions minières…

Cette expansion territoriale engendre aujourd’hui des conflits sociaux de plus en plus nombreux, « le plus souvent avec les communautés paysannes », explique José de Echave Caceres, un spécialiste péruvien des impacts socio-environnementaux de l’industrie minière et membre de l’association CooperAccion qui milite pour un développement solidaire et respectueux de l’environnement. Car « les communautés concernées estiment aujourd’hui que le développement du secteur ne leur a pas profité ; qu’il diminue au contraire leurs droits économiques, sociaux et culturels et que le cadre légal est contraire à leurs intérêts. Aujourd’hui, ils demandent notamment à ce que leur soit reconnu leur droit de consultation préalable », expliquait-t-il lors d’une conférence sur le sujet à Paris, en décembre dernier. Yanacocha par exemple abrite la plus grande mine aurifère d’Amérique latine, mais la région de Cajamarca dont elle fait partie reste la seconde région la plus pauvre du pays. Résultat, selon les chiffres de la « Defensoria del pueblo » (une institution de médiation de conflits), la moitié des conflits sont d’origine socio-environnementale et parmi ceux-ci, près de 70% sont dus aux activités extractives minières et 10 % au pétrole. Le cas le plus médiatisé et le plus violent étant les émeutes de Bagua, qui ont éclaté en juin 2009 suite à des manifestations indigènes contre l’exploitation pétrolière, et qui ont provoqué la mort de 34 personnes (dont 23 policiers) et des dizaines de blessés. (Voir article lié)

Une campagne internationale pour promouvoir des zones sans exploitation minière

Mais un autre cas, moins connu, a donné lieu à une initiative originale. L’affaire remonte à 2003 quand l’Etat, en validant les études environnementales, donne le feu vert à l’exploitation d’un district minier de cuivre dans les provinces de Ayabaca, Huancabamba, San Ignacio et Jaén. Des provinces situées dans le nord du Pérou qui sont essentielles à l’approvisionnement en eau du pays et qui comptent des écosystèmes fragiles comme les páramos (hauts plateaux humides) et les forêts humides, riches en biodiversité. Seulement, comme le reconnaîtra en 2006 la Defensoria del pueblo puis, deux ans plus tard, la Commission des peuples andins, amazoniens et afro péruviens, les communautés paysannes de Yanya et Segunda y Cajas, propriétaires des terres données en concessions, n’ont pas été préalablement consultées en violation de la convention 169 de l’OIT pourtant ratifiée par l’Etat. Ce qui, selon ces institutions, rend la présence de l’entreprise « illégale ». D’où la création d’un conflit social entre l’Etat péruvien, la Compagnie Rio Blanco Copper (2) et les habitants. En 2005, après une marche de protestation paysanne, on dénombrera ainsi 1 mort et 28 personnes torturées. Malgré des excuses de sa filiale en septembre 2006 dans un journal local, Monterrico Metals plc, est aujourd’hui accusé de séquestration et torture par 31 manifestants et devrait être jugé en juin 2011 par la Haute Cour de Londres. Accusations que l’entreprise d’origine britannique « conteste vigoureusement ». Parallèlement, plus de 300 personnes qui luttent contre l’exploitation de la zone (écologistes, représentants des communautés paysannes, etc) sont sous le coup de plaintes, dont 35 pour terrorisme, de la part d’une association « le Front d’unité de la communauté de Segunda y Cajas ». Concernant l’avenir du projet, il reste incertain. Le 16 septembre 2007, lors d’une consultation sur les districts de Pacaipamp, Ayacaba et Carmen de la Frontera, les populations se sont prononcées à 95% contre celui-ci. Mais si le début de la production, au départ annoncé pour 2011, est pour l’instant suspendu pour différentes raisons, ces consultations ne sont pas suffisantes pour bloquer un projet…

En faire un enjeu électoral au Pérou

A l’occasion des trois ans de cette consultation, les associations anti-mines des quatre provinces concernées et dont 25 % du territoire a déjà été donné en concession à des entreprises minières, ont déclaré leur territoire interdit à l’activité minière - « zonas libres de mineria »-. « Pour l’instant, il s’agit d’une simple déclaration mais nous attendons que les nouveaux maires (3) des provinces confirment celle-ci par des ordonnances municipales. Déjà, le district d’El Carmen de la Frontera/Huancabamba/Piura est en train de mettre en place un outil de zonage pour établir les endroits où il peut y avoir des mines et ceux où il ne doit pas y en avoir », rapporte José de Echave. Pour les soutenir, plusieurs associations telles que le Front pour le développement durable de la frontière nord du Pérou (représentants des administrations locales, de l’Eglise catholique, de mouvements paysans et environnementaux opposé au projet Rio Blanco), le réseau Muqui (dont fait partie CooperAccion) et l’organisation belge Catapa ont lancé la Campagne internationale « ¿ Minería en el paraíso ? » et une pétition, aujourd’hui signée par près de 3500 personnes. Celle-ci demande notamment que l’exploitation minière ne se fasse pas n’importe où – « le pétrole et le gaz commencent à envahir les zones protégées », affirme en effet José de Echave- et que l’on tienne compte des propositions de la population locale pour réaliser un développement économique et durable (voir document lié). En novembre et décembre, plusieurs représentants de la campagne, dont José de Echave, ont ainsi fait un tour d’Europe avec une conférence internationale à Bruxelles, pour sensibiliser les Européens sur la question, et notamment les députés de la Communauté. Au Pérou, ils espèrent porter ce thème à l’occasion des campagnes présidentielle et législative qui ont lieu cette année et au-delà, à travers l’Amérique latine, où plusieurs pays réfléchissent à cette question (voir ci-dessous).

Selon le quotidien péruvien -plutôt conservateur- El Comercio, la proposition est toutefois critiquée par certains économistes et entreprises qui estiment « qu’elle limite les opportunités de développement de ces communautés ». Ainsi, José Miguel Morales, l’ex-président de la Société nationale des mines, considère que « le plus grand dommage environnemental est causé par la pauvreté, situation dans laquelle se trouve la zone de Piura » et « qu’il existe désormais des technologies pour développer les projets miniers sans affecter les forêts humides », rapporte le journal. Pour l’instant en tous cas, l’exploitation minière du pays ne semble pas sur le point de se ralentir. Bien au contraire. En octobre, la Société nationale des mines, du pétrole et de l’énergie annonçait, en plus des projets déjà programmés, une dizaine de mégaprojets d’un montant de 25 milliards de dollars (19 milliards d’euros) sur 5 ans. Ils pourraient être décidés dans les prochains mois, ce qui permettrait de tripler la production de cuivre du pays à horizon 2020…


Un débat qui parcourt toute l’Amérique latine

La réflexion sur l’interdiction de l’exploitation minière de certains territoires fait son chemin dans toute l’Amérique latine, même si cela se fait parfois dans la douleur. Une loi interdisant les mines de métaux est actuellement en discussion au Salvador. En Equateur, le projet Yasuni qui doit laisser en terre le pétrole de gisements prometteurs grâce à une contribution des pays développés est toujours d’actualité, même si peu de donateurs se sont encore engagés (voir article lié). Après une longue bataille entamée en 2005, le Congrès du Costa Rica a déclaré le « pays libre de mines à ciel ouvert », en novembre 2010. Malgré un premier veto de la Présidente de la République, l’Argentine a finalement adopté en septembre dernier une loi de protection des glaciers qui, pour protéger les réserves en eau douce du pays dont sont gourmandes les industries extractives, a décidé d’interdire les activités minières et pétrolières sur une zone d’environ 5000km² sur la Cordillère des Andes. Cette loi qui impose également des évaluations environnementales et des amendes pour les entreprises en cas de pollution compte cependant de nombreux détracteurs, parmi lesquels les compagnies mais aussi les provinces minières et les syndicats ouvriers. Déjà, en novembre, à la demande des syndicats patronaux et ouvriers miniers, un juge a fait reconnaitre l’inconstitutionnalité des principaux articles de la loi, dont l’application est désormais suspendue dans la province de San Juan où se trouve le plus gros projet aurifère mondial porté par Barrick Gold corp…


 (1) http://servindi.org/pdf/
 (2) la compagnie Rio Blanco Cooper SA s’appelait préalablement Minera Majaz SA. Elle était jusqu’en 2007, une filiale du groupe anglais Monterrico Metals Plc racheté depuis par le groupe chinois Zijin.
 (3) Des élections ont eu lieu en octobre 2010, les nouveaux maires ont pris leurs fonctions en janvier 2011.

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Novethic, filiale de la Caisse des Dépôts, est à la fois un média sur le développement durable et un centre de recherche sur l’Investissement Socialement Responsable (ISR) et la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE).


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Messages

  • Sombres perspectives pour les pays andins en ce sens.

    Cela rappelle la parcellisation quasi-totale de sa cordillière montagneuse par la Colombie, vente préludant à une exploitation sauvage et hyper-polluante de ces territoires très riches de minerais, et accessoirement foisonnant de vie.

    Cela se fera au détriment de leurs habitants légitimes et de leur environnement, cela va de soi, mais pour notre plus grand confort de consommateurs soucieux de leur pouvoir d’achat.

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