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Héberger les sans abri pour mieux traquer les sans papiers

numerolambda | wordpress.com | 29 décembre 2010

jeudi 30 décembre 2010

La période de grand froid qui traverse le pays va sans doute améliorer l’efficacité des services de l’Immigration. Cet hiver est le premier à être placé sous le signe du SIAO — Service Intégré de l’Accueil et de l’Orientation, qui gère désormais, au niveau des départements, tous les aspects de l’hébergement social.

Très récemment, dans le Nord, Marie-Christine Staniec-Wavrant, conseillère municipale de Lille chargée de la lutte contre les exclusions, a évoqué les demandes de la préfecture quant à l’origine et la nationalité des personnes prises en charge. Le problème ne se pose pas qu’à Lille. C’est un dispositif national qui se met en place. Gros problème : la finalité du fichier — répartir au mieux les personnes démunies en fonction des places disponibles — ne justifie en aucun cas que la nationalité des personnes soit mentionnée ou même exploitée à Paris.

L’élue lilloise a d’abord mis l’accent sur les populations tsiganes qui seraient visées, mais en vérité ce fichage concerne toutes les personnes reçues et hébergées dans tous types de centres d’accueil d’urgence ou d’insertion. Selon un article du bulletin Actualités sociales hebdomadaires (ASH, 24/12), ça grogne aussi en Haute-Garonne :

Alors qu’en Haute-Garonne, le groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS) formé pour porter le SIAO est prêt à fonctionner, “il y a un blocage en raison de l’outil informatique, témoigne Bruno Garcia, responsable de la coordination de la veille sociale du département. Le préfet de région veut imposer le logiciel élaboré par l’Etat, le GCSMS refuse de l’utiliser”.

C’est une simple circulaire de juillet 2010 — pondue par la direction de la Cohésion sociale du ministère du Travail, et sa « sous-direction de l’inclusion sociale, de l’insertion et la lutte contre la pauvreté, bureau de l’urgence sociale et de l’hébergement » (sic) — qui grave dans le marbre ce nouvel outil informatique.

Si l’aide sociale est en grande partie gérée par les Conseils généraux (une assemblée d’élu-e-s), en revanche lorsqu’il s’agit de sans domicile fixe, c’est l’Etat qui prend le relais. C’est pourquoi le fichier des SIAO est géré au niveau national par la DGCS, la « direction de la cohésion sociale ». Normal aussi qu’au niveau local le relais soit Monsieur le préfet, nommé (et défait) par le fait du Prince. Des préfets qui restent les premiers soldats de la guerre aux sans papiers.

SIAO : contrôle social à tous les étages

Le SIAO va cataloguer tout le contenu de la situation sociale ou médico-sociale d’une personne dès qu’elle fait appel à un hébergement « d’urgence » ou de « réinsertion ». En gros cela concerne les établissements suivants :

 * centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS ou CIAS),
 * services sociaux polyvalents de secteur
 * prisons
 * hôpitaux
 * centres 115
 * accueils de jour
 * services d’accueil et d’orientation (SAO)
 * équipes mobiles et l’hébergement d’urgence.

Selon une analyse de ce texte par un travailleur social membre du mouvement Antidélation, « pour une personne accueillie dans une structure en urgence qui n’aurait pas été fichée au préalable comme demandeur (ex : femme battue), il est prévu qu’elle soit fichée SIAO avec ses enfants, à son arrivée dans le centre d’accueil d’urgence ». Or, l’enregistrement des données sera faite… par les travailleurs sociaux. Bien entendu, comme depuis la loi de mars 2007 qui invente le « secret partagé », un partage des informations est très largement prévu, en associant les maires par leur CCAS (centres d’action sociales).

Les items à cocher, que l’on trouve dans une grille « proposée » en annexe de la circulaire, sont entre autres :

 * Nationalité [3 choix] : F / U.E. / Hors UE [dans ce dernier cas : le pays d’origine doit être renseigné] (demandeur et conjoint)
 * Fiche-type du SIAO (extrait 2)
 * durée de validité et nature du titre de séjour ;
 * Nom, prénoms, sexe, date naissance, situation (autorité parentale) des enfants ;
 * Logement ou hébergement actuel : « structure médico-sociale » … « structure judiciaire » ;
 * Motif de la demande d’hébergement : « fin d’hospitalisation »… « sortie de prison »… « arrive en france »… « violences familiales »… »fin de prise en charge ASE »…
 * Une plage de « commentaires » libres est prévue pour « l’argumentaire parcours-besoin » et « la proposition de la personne ayant effectué l’entretien ».
 * « Situation professionnelle » complète ; « situation de la famille », « endettement de la famille »…
 * Pour leurs enfants, est demandé : nom, prénom, sexe, date de naissance, situation.

La mention de la nationalité (cf image de une) — et du pays d’origine si la personne vient « Hors UE » — est ouvertement scandaleuse dans ce cas d’école. Surtout lorsque l’on a affaire à un fichier national…

Comme le rappelle la FNARS (Fédération nationale des associations d’acceuil et de réinsertion sociale), dans une note intitulée L’accueil inconditionnel des étrangers, comment le faire appliquer ? et publiée fin novembre :

Aucune condition quant à la régularité du séjour des personnes n’est exigée par les textes. Les étrangers sans domicile, quelle que soit leur situation administrative doivent ainsi pouvoir être accueillis. (…) Les Services Intégrés d’Accueil et d’Orientation (SIAO) doivent prendre en compte les étrangers lorsqu’ils font une demande d’hébergement. L’exclusion des étrangers en situation irrégulière d’un accueil et d’une orientation via les SIAO est contraire au code de l’action sociale et des familles.

Rappelons qu’un fichier doit correspondre à une seule finalité, et chacun de ses champs doit correspondre à cette finalité — sinon c’est tout simplement interdit, c’est en tous cas le principe martelé par la Commission informatique et libertés (CNIL) depuis sa création il y a plus de 30 ans.

Dans une précédente circulaire (8 avril 2010), le secrétaire d’Etat au Logement Benoist Apparu donne les grandes lignes du dispositif : « replacer la personne au coeur du système ». C’est beau comme un conte de Noël :

« Cette stratégie repose sur l’organisation d’un véritable service public de l’hébergement et de l’accès au logement, basé sur trois principes fondamentaux :

 * la continuité de la prise en charge des personnes ;
 * l’égalité face au service rendu ;
 * l’adaptabilité des prestations aux besoins des personnes. »

A notre tour de poser 3 questions fondamentales :

 en quoi la mention de l’origine géographique est nécessaire légitime pour les nobles objectifs du ministère ?
 pourquoi doit-on renseigner le nom exact du pays d’origine s’il ne s’agit pas d’un pays de l’UE ?
 Comment parler d’« égalité face au service rendu » s’il faut différencier les gens démunis en fonction de leur carte d’identité ? -Pourquoi une telle discrimination dans un fichier d’aide d’urgence ?

Interrogée par Nord Eclair, la préfecture du Nord botte en touche :

« Cette mesure n’est que l’extension à tous les types d’accueil des dispositions jusqu’alors en vigueur dans les seuls centres d’hébergement et de réinsertion sociale. Elle vise à faciliter le suivi social et l’accès au logement, conformément aux instructions ministérielles ».

« Ces dispositions ont fait l’objet d’une déclaration à la CNIL qui en a accusé réception le 12 octobre dernier sans formuler à ce jour de remarque. (…) Aucune information ayant trait à la date d’entrée sur le territoire et au droit au séjour n’est sollicitée ».

On notera l’énorme hypocrisie de cette bafouille préfectorale : pas de « date d’entrée en France » demandée, mais en revanche tout ce qui peut aider à repérer une personne en situation irrégulière. Et un mensonge au passage : un item « droit au séjour » est bel et bien présent dans le fichier SIAO. M. le Préfet devrait relire les circulaires avant de donner des leçons.

La CNIL et le champs « nationalité » dans un fichier national, un vieux passif…

Maintenant, concernant la manière dont la CNIL a géré le dossier, c’est un peu plus nébuleux. Passons sur le fait que la polémique a éclaté dans le département du Nord, fief du président de la CNIL, le toujours sénateur Alex Türk — c’est aussi la région d’origine de son « petit scarabée », le député UMP Sébastien Huygue, par ailleurs conseiller municipal à Lille, donc au coeur de ladite polémique.

Difficile en l’état de connaître les remarques de la CNIL sur ce fichier SIAO. La préfecture affirme donc que la Commission n’a formulé « aucune remarque » sur le contenu du fichier, nationalité comprise. Or, les associations lilloies qui l’ont consulté ont entendu un autre son de cloche (toujours via Nord Eclair) :

Eric Delhaye, le président de la CMAO (Association Coordination Mobile Accueil Orientation), et la FNARS, ont d’ailleurs saisi la CNIL dès le mois de novembre [qui] leur a répondu que « conformément à l’article 6-3° de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée le 6 août 2004, la nationalité des personnes concernées constitue une donnée excessive au regard des finalités susmentionnées, et ne saurait donc faire l’objet d’une transmission ».

Si la CNIL refuse la « transmission » de cette donnée sensible, elle ne recommande pas pour autant sa suppression d’un tel fichier.

Faut-il rappeler que la même Commission a mis des années avant d’enjoindre le ministère de l’Education nationale de retirer les mentions « nationalité / date d’arrivée en France / langue d’origine… » de son fichier des écoles primaires (Base élèves 1er degré). Au passage, ce même champs « nationalité » figure toujours comme item obligatoire dans le fichier des collèges-lycées, Sconet… Alors pour nettoyer les fichiers de l’aide sociale d’urgence, faut pas se presser !

Bref : qui faut-il croire : M. le Préfet ou M. Türk ? Le dispositif SIAO proposé par le gouvernement contient la nationalité, mais la CNIL n’aurait donc formulé aucune « remarque » ? Dommage : pas moyen de consulter son avis sur son site internet…, alors que son président clame sans cesse que la Commission possède au moins « le pouvoir de publier ses avis et délibérations ».

Aucune trace non plus de son avis sur un autre fichier, développé de son côté par la FNARS. Car le ministère précise dans la circulaire que « les porteurs de SIAO qui disposent de leurs propres outils, peuvent continuer à les utiliser », même si « les outils de ces porteurs devront (…) présenter des fonctionnalités similaires (…). »

La FNARS a donc développé sa propre application, dépourvue des champs litigieux, nous apprend l’article des ASH :

Les associations reprochent à l’Etat d’avoir développé a minima cet outil, qu’elles jugent insuffisant pour répondre à l’objectif des SIAO de bien évaluer les besoins des personnes pour mieux les orienter. Alors que, selon l’administration, il est destiné à évoluer et qu’« il n’y a pas eu de consigne pour l’imposer », elles avancent aussi, et surtout, des préoccupations d’ordre éthique.

Pour répondre aux besoins du SIAO, la FNARS a développé son propre logiciel à partir de celui déjà conçu pour l’Observatoire national du 115. Elle a déposé, pour cet outil, une demande d’autorisation auprès de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), qui a émis un avis favorable le 16 novembre dernier.

“L’Etat a, pour son logiciel, seulement effectué une déclaration auprès de la CNIL”, précise Matthieu Angotti, directeur général adjoint de la FNARS. La différence est importante, puisque l’autorisation “apporte des garanties plus fortes en termes d’anonymisation et de sécurisation des données”.

C’est dans un courrier adressé aux associations du Nord que la CNIL se dit opposée à la mention de la nationalité. Dommage que les préfets n’en savent rien ! Les ASH citent des extraits de cette lettre :

 * « Le traitement des données collectées par les structures d’hébergement ne doit permettre une gestion des données relatives aux demandeurs d’hébergement sous format nominatif qu’aux travailleurs sociaux, aux gestionnaires d’hébergement et de logement et aux gestionnaires du 115. » Autrement dit, les services de l’Etat n’ont pas à y avoir accès.
 * La CNIL ajoute que le SIAO « doit transmettre ces données anonymisées aux services déconcentrés de l’Etat, à l’exclusion de tout numéro identifiant ou de toute observation sur les personnes concernées ».
 * Elle rappelle également que ces données doivent être pertinentes au regard de la finalité d’observation et d’évaluation, et que la nationalité ne peut en faire partie.

Interrogée par ASH, la directrice de la Cohésion sociale affirme enfin : « Nous avons respecté toutes les procédures de la CNIL, avec laquelle une réunion est prévue prochainement ». Comme avec le ministère de l’Education sur le dossier Base élèves, une partie de poker menteur s’engage donc avec le gouvernement.

Le fichage SIAO a aussi toutes les chances d’être recoupé et partagé avec d’autres registres administratifs comme celui du RSA. Le fameux projet de loi Warsmann, qui pour les besoins de la « simplification du droit » autorise à tout vent ce partage d’information comme du temps du projet SAFARI, va y contribuer. Par exemple, les items demandés dans le SIAO — déclaration de ressources et niveau d’endettement — rappellent fortement celui du RSA mis en place en 2009.


Transmis par Jet - collectifs locaux anti-délation

Wed, 29 Dec 2010 16:59:32 +0100


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