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Un vieux texte : Pourquoi je renonce à m’abonner à Alternatives Internationales

Maxime VIVAS | viktor.dedaj.fr | 31 janvier 2005

dimanche 16 janvier 2011

Lettre ouverte à Yann Mens, Rédacteur en chef d’Alternatives Internationales

le 31 janvier 2005

Cher Yann Mens,

Vous m’avez envoyé un formulaire pour m’abonner à Alternatives Internationales, suivi d’un exemplaire de votre journal. J’ai été tenté.

Puis, j’ai vu comment vous parliez de Cuba et des amis m’ont informé d’un dialogue qu’ils avaient avec vous sur le sujet.

Par suite, vous avez perdu un lecteur et peut-être gagné un détracteur prolixe. En tout cas, vous m’avez inspiré ce qui suit :

Comment se positionner en faveur d’alternatives politiques qui rompraient avec un capitalisme aggravé (néolibéralisme) sans retourner à un modèle de communisme (qui s’est effondré) ? Sûrement pas en présupposant qu’il existe un mètre étalon de la démocratie déposé à Paris (avec copie conforme dans les salles de rédaction).

Ni en réfutant a priori d’autres systèmes, Constitutions, modes d’élections dont on nierait la validité par méconnaissance et par esprit de supériorité (avec un vague relent d’esprit colonial).

Il n’est bon bec que d’un Paris médiatique qui s’auto-persuade qu’à Cuba, le parti communiste présente (tout seul) des candidats, élus forcément à 98% des voix (à mains levées) et ensuite inamovibles. Les dirigeants tiendraient leur pouvoir du comité central (immuable).

Je suis prêt, si Alternatives Internationales m’ouvre ses colonnes, à écrire plus en détail là-dessus. Mais, rectifions l’essentiel : à Cuba, le parti communiste, en tant que tel, n’a pas le droit de présenter des candidats (c’est la population qui avance des noms), les élections se font pyramidalement à partir des quartiers, le nombre de candidats doit être compris entre deux et huit, le vote a lieu à bulletins secrets, il est ouvert dès l’âge de 16 ans, les élus sont révocables au bout de deux ans, il n’est pas un seul ministre (n’est-ce pas Villepin ?), un seul dirigeant qui n’ait pas d’abord été élu par son quartier (Fidel Castro y compris), sa ville, sa région.

Oui, mais le peuple tout entier n’a pas élu Castro objectez-vous. Parenthèse : quand 8 millions de Cubains se rendent en juin 2004 dans un des 129 500 bureaux ouverts dans l’île pour se prononcer sur un sujet où sont mis en jeu, non seulement la survie du gouvernement mais aussi celle du système, que fait la presse occidentale ? Elle ricane : « Par référendum, Castro inscrit le caractère socialiste de l’île dans la Constitution. » Elle oublie de faire un parallèle avec le référendum prévu chez nous et qui va inscrire le caractère capitaliste de l’Europe dans la Constitution si la réponse est oui et qui ne fera pas de la France un pays socialiste si la réponse est non. Au passage, elle cèle qu’il ne s’agissait pas vraiment à Cuba d’un référendum, mais d’une gigantesque collecte de signatures répondant à celles du projet Varela. Certes, objectera-t-on encore, mais c’est le gouvernement cubain qui, l’opinion du peuple lui étant confirmée, modifie ensuite la Constitution dans le sens qu’il souhaitait depuis le début. Vrai, comme en France où, après des campagnes médiatiques appropriées qui préparent l’opinion, le gouvernement peut modifier la Constitution en usant de deux procédés légaux : soit par référendum, soit par un vote des deux Chambres réunies en congrès à Versailles.

Les Cubains n’élisent pas un Président de la république au suffrage universel direct, donc ils sont privés de démocratie ? Depuis quand, cette déduction est-elle irréfutable ? Depuis que la France l’a décidé et que nos journalistes le font savoir. Ainsi donc, notre quatrième République était une dictature, Vincent Auriol un caudillo et René Coty un lider maximo. Ainsi, les mandats de nos maires, élus par les conseillers municipaux et de nos sénateurs, élus par les « grands électeurs » ne seraient pas légitimes. Le pouvoir des chefs de la plupart de nos partis politiques, de nos syndicats, de dizaines de milliers d’associations découlerait d’un système électoral non démocratique. L’Eglise est une dictature. Nos journaux (le « quatrième pouvoir ») dont les rédacteurs en chefs ne sont pas élus par les journalistes et encore moins par les abonnés sont des dictatures ? En effet, l’interdiction faite au lecteur de s’exprimer dans les colonnes de son journal autrement que par un courrier des lecteurs filtré, étriqué, est la négation du pluralisme d’idée. Ah mais ! c’est que les pages des journaux ne sont pas extensibles. L’obstacle à la libre expression est purement technique, nulle part ailleurs on n’en trouve de cette sorte et quiconque l’invoque dans certains contextes bien déterminés et pour des pays menacés de mort est un stalinien-goulagiste.

A ce stade de la discussion, les journalistes avisés concèderont qu’on ne peut à la fois prôner l’émergences d’autres mondes et soutenir qu’un modèle (le nôtre) est supérieur aux autres et adapté à toutes les situations sous toutes les latitudes. Dommage, car c’est le meilleur. Et depuis quand ? Depuis qu’on l’a adopté (car il correspondait alors à des nécessités internes). Et jusqu’au moment où l’on en changera (par suite d’évolutions politico-sociologiques qui l’auront rendu obsolète). Dans certains milieux parisiens, la conception du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes rappelle celle de ce fabricant de voitures noires qui disait (je cite de mémoire) : « Nos usines peuvent sortir des voitures de la couleur qu’elles veulent à condition qu’elles soient noires. »

Je vis loin de Paris et je sais que les paysans ne laissent pas entrer le libre renard dans leur poulailler libre. Cette frilosité « dictatoriale » leur permet d’avoir toujours des poules et des œufs. Mieux, quand on leur dit que le portillon de bois est une atteinte à la liberté, ils persiflent : dès que les poules seront pourvues de dents acérées, ou dès que les prédateurs auront des griffes de velours, Goupil sera le bienvenu. Si l’on fait remarquer à ces ploucs que leur réponse est dilatoire, ils proposent de raser l’enclos dès que vous monterez la garde avec des fourches tout autour de la ferme, jour et nuit.

Est-ce qu’Alternatives Internationales monte la garde ? Non.

Est-ce que ses cris vont éloigner la bête ? Non. Alternatives désapprouve, dans le même mouvement, Goupil et la volaille (en attendant de déplorer avec vigueur le carnage dans le poulailler ouvert sur injonction du Club mondial des renards) Elle agit comme un garde-champêtre qui bat le tambour pour alerter la population sur l’emprisonnement des poules et qui la prépare à applaudir à l’ouverture du portillon pour le renard.

Mais le pluralisme de la presse, direz-vous ?

Il n’est fine plume que du Paris médiatique qui se persuade, par des lectures croisées des confrères (d’une crasse ignorance), qu’il existe à Cuba un seul journal (Granma) et une chaîne de télé (qui éructe des slogans révolutionnaires en boucles).

Je suis prêt (bis repetita placent), si Alternatives Internationales m’ouvre ses colonnes, à écrire plus en détail là-dessus. Mais livrons quelques courts éléments d’information (que tout journaliste peut découvrir sur place s’il ne va pas uniquement à Cuba pour vérifier le discours martelé à Paris sur la pensée unique cubaine). J’autorise chacun à faire passer aux autochtones ces tuyaux permettant de s’informer complètement à Cuba. Se procurer Granma (pas impossible malgré la pénurie de papier. Le même exemplaire circule de mains en mains. Le touriste aura du mal à l’acheter, mais pas à se le faire offrir), les journaux pour la jeunesse, journaux des syndicats, journaux de quartiers, journaux catholiques (L’Eglise possède une quinzaine de revues dont le contenu n’est soumis à aucune censure préalable, le total du tirage des journaux des paroisses atteint 50 000 exemplaires dans un pays cinq fois, moins peuplé que la France). Ecouter la radio, y compris la radio anti-cubaine (« Radio Marti » qui émet depuis Miami au mépris des lois internationales) regarder la télévision anti-cubaine diffusée depuis un avion militaire US (même remarque), regarder une des chaînes de télévision cubaine ouvertes sur le monde, sur le savoir et sur la culture, acheter la presse occidentale dans les hôtels et aéroports, entrer librement dans une des multiples agences de presse étrangères. Participer à une des foires du livre où des éditeurs du monde entier débarquent avec leurs livres et leurs auteurs (de leur choix) et qui rassemblent plus de monde que le salon du livre de ...Paris. Discuter avec les dizaines de milliers de coopérants Cubains qui rentrent (tiens, ils rentrent ?) de l’étranger (enseignants, médecins...), parler librement à quelques-uns des deux millions de touristes qui visitent l’île (demander à chacun des Français de venir avec un numéro d’Alternatives Internationales. Voyez, je me préoccupe tout de même de votre tirage, même si, moi, je renonce à vous lire), discuter avec le cousin de Miami venu passer ses vacances dans l’île.

 Certes, dit le journaliste parisien que ces vérités agacent, mais vous oubliez une chose essentielle.

 Laquelle ? questionne le pro-cubain (forcément obtus, fanatique, crypto-dictateur en herbe). Le déficit d’informations du fait que Bush refuse de laisser déferler sur l’île les deux millions de touristes états-uniens ? Voisins pacifiques que Cuba invite à se mêler à la population, à parcourir l’île en tout sens, à manger et dormir chez l’habitant, à l’éclairer sur le paradis US ?

 Non ! le pluralisme ! La nécessaire multiplication des titres de journaux privés.

 Ah, privés ! Comme ces milliers de journaux libres US qui ont fait croire à leur opinion publique que Saddam Hussein était mêlé de près à la destruction du World Trade Center (note à afficher dans les salles de rédaction : toujours donner le nom de ce quartier en Anglais : en Français, ça inquiète le populo et ça alimente le discours d’Attac) ? Comme ces centaines de télévisions du monde entier qui nous ont montré les images des usines irakiennes fabriquant des armes de destructions massives et Colin Powell brandissant un flacon mortel made in Bagdad ? Comme ces journaux français qui (à de rarissimes exceptions) publient depuis des lustres des informations sur le tiers-monde marquées par deux caractéristiques : Cuba y occupe autant de place que l’ensemble des autres pays pauvres réunis (tiens, pourquoi ?) et tout ce qui se passe dans cette île est négatif ? Ainsi, Cuba est le seul pays du monde qui a survécu 45 ans à 100% d’échecs ininterrompus, sans que la police et l’armée n’aient jamais eu à se tourner contre le peuple, lequel subit pourtant des restrictions telles qu’il est même privé de l’odeur des grenades lacrymogènes.

Comme l’a dit (librement) l’évêque de Santiago : « C’était mieux sous Batista »

Reste la question du pluralisme politique. Si le pouvoir cubain était sûr de son audience, il laisserait s’organiser des partis politiques, dites-vous. Comme aux USA où la population majoritairement hostile à la guerre en Irak a dû choisir entre un Bush, milliardaire blanc issu de Yale et artisan de l’invasion et un Kerry, milliardaire blanc issu de Yale qui préconisait d’accroître les effectifs militaires dans le Golfe ?

 Non, allez, soyons sérieux, là.

 Le problème est que le pays qui s’active le plus pour ce pluralisme, celui qui y investit des sommes colossales, ce pays là ne veut pas la démocratie à Cuba : il veut Cuba. Et d’autres pays en suivant. Qui était derrière le coup d’Etat au Venezuela ? Les USA. Or, Chavez vient de remporter sa neuvième victoire électorale consécutive (dans un pays où les médias lui sont majoritairement hostiles et où elles appellent à un nouveau « golpe »). Qui a fomenté le coup d’Etat chilien ? Etc.

Fable : le chef des rapaces décréta le blocus du poulailler. Les poules avaient faim. Dans le ciel, volaient des vautours chargés de besaces de blé. Le paysan se résolut à les laisser entrer. Les sauveurs vidèrent leurs sacs et organisèrent des « élections libres » (un milliard de dollars investis, c’est dire leur amour de la liberté). Leurs partisans furent néanmoins battus. Mais ils repartirent content. La cible était enfin fractionnée. L’armée ferait le reste, faisant succéder à la guerre économique et médiatique de haute intensité la puissance des bombes à uranium appauvri larguées sur un pays où une partie de la population aurait gobé le discours des Saint Jean Bouche D’or sans scrupules, comme les populations du monde entier ont gobé la fable du charnier de Timisoara et celle des armes de destructions massives, comme les Français, dont la presse est libre, ont fulminé contre les pédophiles d’Outreau ou le bagagiste arabe et terroriste d’Orly, etc.

Vouloir imposer à Cuba, minuscule pays pratiquement accolé à la plus formidable puissance guerrière que la terre ait jamais connue (et qui a inscrit Cuba dans sa liste des « pays ennemis, pays terroristes et cible potentielle ») un système électoral à la Française, c’est aller cracher sur la tombe de Salvador Allende, creuser celle de Chavez et se résoudre à voir débuter une guerre dont les Cubains avertissent qu’elle « durera cent ans et fera un million de morts. »

Quant aux formidables succès que Cuba connaît malgré le blocus et le harcèlement, les attentats, les sabotages, ils sont tabous dans nos journaux. Si l’un d’eux se laisse à y faire référence, c’est en passant, au détour d’une phrase orpheline dans un pensum hostile. Combien de fois ai-je lu : « Certes le blocus est inadmissible mais il n’explique pas tout. » ? Suivent des pages entières d’instruction à charge contre Cuba. Mais la question : « Qu’explique le blocus ? » n’est pas traitée.

Le jour où la presse se regardera avec la même rigueur qu’elle observe Cuba, le jour où la communauté internationale offrira à Cuba (mais avec quels moyens, grand Dieu ?) la levée du blocus et la garantie de ne pas être envahie par son puissant voisin, la survivance d’une crispation politique sera superfétatoire dans l’île. Faites-moi signe pour regretter avec vous son éventuel maintien. Mais dire aujourd’hui qu’elle est consubstantielle au système, c’est participer à cet interminable procès où une nuée de procureurs s’abat sur un prévenu maigre dont l’avocat est privé de micro.

Alors, de grâce ! n’allez pas répétant que le projet Varela a conduit ses signatures (près de quinze mille avec noms et adresses) en prison, que « certains des 75 dissidents » étaient journalistes. L’un d’eux avait sa carte et vivait (comme les autres) des subsides du chargé d’Affaires US à La Havane. Notre presse (dont on fait de plus en plus le choix de la lire gratuitement sur Internet) a écrit qu’il était emprisonné dans des conditions abominables, qu’il avait maigri de 20 kilos (30 selon sa femme), que sa santé s’était dégradée, martyr qui avait simplement osé émettre des critiques. Ses amis nous le décrivaient très vieilli, sa vue s’était dégradée et son état préoccupant. Or, voilà qu’à la grande confusion des propagandistes, il sort prématurément de prison. L’œil vif, gros et gras, il raconte l’horreur carcérale : un grillon (castriste ?) troublait son sommeil et il a lu (sans les yeux ?) le tout dernier livre de Gabriel Garcia Marquez (tout chaud, pas encore traduit chez nous). Et voilà qu’il donne à La Havane, une conférence de presse mondiale pour critiquer le gouvernement, prouvant ainsi que tout ce qui a été colporté sur lui était mensonger, que ce n’est pas la critique qui est sanctionnée, mais la connivence stipendiée avec une puissance ennemie. Et maintenant, sans transition, devant la Maison Blanche, une conférence de presse d’un ex-prisonnier de Guantanamo, gros et gras (je plaisante, on peut être pro-cubain et aimer rire, non ?).

Quant à RSF, condamnée deux fois par les tribunaux français, exclue une année par l’ONU de la liste des ONG en raison de son acharnement contre Cuba, RSF qui dénonce les meurtres de journalistes en Colombie mais qui, dans son classement de la liberté de la presse, place ce pays en meilleure position que Cuba (où pas un n’a été assassiné depuis la Révolution), qui trouve le moyen, par un artifice, de bien classer les USA, pourtant en tête pour les assassinats de journalistes (Yougoslavie, Afghanistan, Irak, en attendant d’occire les journalistes Cubains qui n’émargent pas), RSF dont le budget colossal comporte bien des mystères, RSF dont les contorsions pour absoudre en toute occasion les USA ou pour minimiser leurs responsabilités crèvent les yeux de qui regarde, RSF qui inscrit en tête de ses campagnes les plus virulentes les pays qui sont dans le collimateur de Bush, RSF qui tape hardiment sur la presse des pays pauvres et ne dit mot sur celle des pays riches, surtout si elle est propriété des marchands d’armes, RSF se comporte comme un agent de propagande avançant sous le masque d’une organisation humanitaire (vous trouverez ci-joint un article que j’ai diffusé récemment sur Internet sous le titre « Otages, RSF, US Army »).

Comment conclure en faisant court ?

Ah oui :

 Cuba si ! Yankee no ! Et même : Castro si ! Ménard no !

Bien à vous :

Maxime Vivas,

écrivain, militant altermondialiste.


Voir en ligne : Pourquoi je renonce àm’abonner à Alternatives Internationales

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