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Julian Assange : “Je n’ai pas le choix. Publier ou périr”

David Le Bailly | parismatch.com | Dimanche 26 Décembre 2010

lundi 27 décembre 2010

En exclusivité le fondateur de WikiLeaks qui a mis le feu à la planète diplomatique nous a accordé une interview dans le Suffolk en attendant son procès.

Un entretien en Angleterre avec David Le Bailly - Paris Match


Dans un grand salon sombre, le fondateur de WikiLeaks nous rejoint. Poignée de main ferme. Il est grand, l’air juvénile, la démarche un peu raide, presque comi­que. Veste de tweed et petit pull en V, il passerait pour le propriétaire des lieux sans sa coupe de cheveux de rockeur. « “Rolling Stone Italie” m’a décerné le titre de rock star de l’année ! ” », nous dit-il avec malice, les yeux plissés comme ceux d’un enfant. Ça le fait rire, comme d’une blague, un potache. Mais quand il répond aux questions, il se métamorphose en penseur : visage grave, concentré, débit très lent, mots pesés et réfléchis.

Paris Match. Ces neuf jours de prison, en cellule d’isolement, ont-ils changé votre détermination ?

Julian Assange. Pendant ma détention, je me suis posé cette question : “Ce que je fais en vaut-il la peine ?” Je me suis demandé : “Ai-je commis des erreurs ? Mes idéaux sont-ils en adéquation avec le monde réel ?” Mais, au bout du compte, ma conviction s’en est trouvée renforcée. J’ai compris que j’étais sur le bon chemin. Même si les obstacles sur ce chemin sont “inconfortables”.

Y a-t-il néanmoins des moments où vous vous êtes dit : “Je devrais être plus prudent. Je suis allé trop loin” ?

Non. Le jour où j’ai entendu le juge annoncer mon emprisonnement, j’ai eu envie d’exploser. Mais ensuite j’ai pensé que le monde comprendrait que quelque chose n’allait pas dans la manière dont mon cas était traité. Et que cela amènerait beaucoup de personnes à se rallier à notre organisation, à protéger mon travail. Et c’est exactement ce qui s’est passé.

Vous êtes assigné à résidence jusqu’au 7 février, date du procès qui doit décider de votre extradition. Vous portez un bracelet électronique à la cheville. Vous sentez-vous un homme libre ?

Porter un bracelet est beaucoup plus perturbant que d’être en prison. C’est comme... une ceinture de chasteté. Quelque chose qui porte atteinte à votre intégrité physique. Même si je commence à me le représenter comme une sorte de... bijou électronique !

En France, une question revient souvent : qui est Julian Assange ? Pour quelle cause se bat-il ?

Je trouve cette question dérangeante. Comme si nos adversaires voulaient jeter le doute sur notre action. Nous avons dit quelle était notre cause, ce pour quoi nous nous battions : aider à construire un monde plus civilisé.

Après la publication des premières dépêches diplomatiques, un ministre français a eu cette phrase : “Une société transparente est une société totalitaire.”

C’est un ancien communiste ? Les Allemands ont une façon différente de répondre, plus nuancée, à cause de leur passé. Leur réponse est : “Un gouvernement transparent, pas des individus transparents.” La transparence doit être proportionnelle au pouvoir que l’on a. Plus on a de pouvoir, plus les dangers générés par ce pouvoir sont importants, et plus il y a besoin de transparence. Inversement, plus on est faible et plus il y a de dangers à être transparent.

Vous appelez à la transparence mais nous savons très peu de chose sur WikiLeaks.

Et que sait-on de News Corporation, la société de Rupert Murdoch ? Des actifs qu’il a cachés dans les paradis fiscaux ? Que sait-on sur la plupart des multinationales ? Absolument rien. Je n’ai pas à m’excuser. Oui, les noms et les adresses de nos collaborateurs ne sont pas communiqués. Deux de nos collaborateurs ont été assassinés au Kenya, nous avons aussi été attaqués au Luxembourg. Nous sommes confrontés à des enjeux de sécurité. Nos financements étaient publics et, à cause de cela, ils ont été gelés, saisis. Pour nous protéger, protéger nos sources, nous avons besoin du secret. Nous ne faisons pas la promotion de la transparence. Seulement de la transparence des organisations les plus puissantes.

WikiLeaks est devenu une organisation puissante.

C’est absurde ! Nous sommes une toute petite entité, en perte de ressources financières. Et nous sommes attaqués par les États-Unis et leurs alliés. Nous ne sommes pas une superpuissance !

Pourtant, vous avez acquis un véritable pouvoir. Tout le monde aujourd’hui connaît WikiLeaks.

Tout le monde connaît WikiLeaks. Mais la réalité, c’est que j’étais à l’isolement et qu’aujourd’hui je suis assigné à résidence. Alors que les personnes dans l’administration américaine qui ont organisé des meurtres par milliers, des crimes de guerre, la torture, sont en liberté. Nous sommes une organisation certes courageuse, mais pas puissante.

Lorsque vous avez créé WikiLeaks il y a quatre ans, auriez-vous imaginé qu’il prendrait cette importance ?

Je pensais que nous aurions cette importance deux ans plus tôt. Nous sommes en retard. Nous en sommes à un cinquantième de notre mission.

Etes-vous surpris par la violence des réactions américaines, des appels à vous assassiner qui ont été lancés par des sénateurs ?

Leurs réactions sont intéressantes. C’est comme entrer dans une chambre noire et flasher. Et nous voyons alors que Visa, MasterCard, PayPal ou Bank of America sont des instruments de contrôle au service de la Maison-Blanche. Le système américain se rapproche du système soviétique. En dehors de toute procédure judiciaire, de grandes compagnies font de la censure économique sur ordre de Washington.

Quelles sont les conséquences financières pour WikiLeaks du gel de vos comptes bancaires ?

Soixante-dix mille euros qui devaient passer par PayPal ont été bloqués. Les avocats de notre fondation sont en train de prendre l’affaire en main. Nous récupérerons cet argent, c’est une question de temps. Nous créons constamment de nouveaux systèmes de financement. Mais l’interdiction mise en place par Visa et MasterCard a été difficile à supporter. Après les premières publications des dépêches américaines, nous avons perdu près de 80 000 euros par jour à cause d’eux, et 15 000 euros par jour à cause de PayPal.

Vous sentez-vous traité comme un terroriste ?

Sarah Palin a dit que je devrais être pourchassé comme Oussama Ben Laden. Je lui réponds : “Très bien, cela vous prendra donc au moins dix ans !”

Que craignez-vous le plus aujourd’hui, pour vous et pour WikiLeaks ?

Il y a un projet de mise en accusation contre moi aux Etats-Unis pour espionnage. Joe Biden – le vice-président américain – l’a confirmé. C’est quelque chose que je prends très au sérieux. Je suis protégé, jusqu’à un certain point, par ma célébrité. Mais je suis devenu la cible principale, car des organisations aussi puissantes ne peuvent pas perdre la face. Pour cela, elles doivent abattre le personnage central, c’est-à-dire moi.

C’est aussi vous qui avez choisi de vous mettre en avant.

Oui, car c’est un bouclier pour notre équipe.

N’y a-t-il pas néanmoins une ivresse à défier les leaders de ce monde ?

Une euphorie ? Non. Nous faisons juste notre travail, comme nous avions promis de le faire.

Selon le “New York Times”, vous auriez déclaré être “l’âme et le cœur de WikiLeaks”.

C’est vrai. Mais WikiLeaks est en train de grandir et une part de mon cœur et de mon âme ont été transmises à d’autres personnes, qui sont assez fortes pour continuer la mission sans moi. En tant que fondateur, je peux prendre les devants de façon plus déterminée, plus risquée. Mais nos membres sont intelligents et courageux. De tous les continents, sauf de l’Antarctique !

Des Français ?

Oui, beaucoup. Nous avons plusieurs serveurs basés en France. Des sociétés comme la Quadrature du Net. Les Français nous soutiennent beaucoup.

Pourtant, il n’y a pas beaucoup de fuites sur la France.

C’est parce que nous sommes entièrement mobilisés par les fuites des ambassades américaines. Nous n’avons pas le choix : publier ou périr. Nous devons sortir tout ce matériel, il est presque létal.

Venons-en à vos démêlés judiciaires en Suède. Deux femmes vous accusent de les avoir agressées sexuellement. Vous démentez. Avez-vous essayé depuis d’entrer en contact avec elles ?

Malheureusement, je n’ai pas le droit de les appeler. A cause de la procédure. Nous avons la déclaration d’un ami de ces deux femmes qui affirme qu’elles ont été incitées par la police à porter plainte contre moi. Et une information selon laquelle une des deux ne veut plus être associée à tout cela. Quant à l’autre, elle a été poussée, je dirais même acculée à porter plainte.

N’aurait-il pas été plus simple de vous rendre à la police suédoise ?

Mais j’ai répondu aux questions de la police !

Vous ne vous êtes pas rendu à un deuxième interrogatoire.

J’avais des choses à faire à Londres. Il faut bien comprendre la situation : il y a eu des abus incroyables dans cette procédure. Les poursuites avaient été abandonnées dans un premier temps mais, à cause de pressions politiques, l’affaire a été relancée. Des informations confidentielles ont été communiquées aux médias de manière illégale, mon nom jeté en pâture. Pourquoi ? Qui a fait ça ? Encore la semaine dernière, la veille de l’audience qui devait décider de ma libération condi­tionnelle, des parties du dossier, censées être secrètes, ont été données à la presse. Pourquoi, si ce n’est pour influencer le juge ? Et ce n’est qu’un exemple parmi tous les abus que contient cette affaire.

Vous croyez à une machination ?

Je ne comprends pas et cela me perturbe. Je ne suis pas accusé. Alors pourquoi tout cet argent dépensé dans cette affaire, pourquoi ces communiqués de presse, ces fuites savamment orchestrées ? Pourquoi tout cela arrive-t-il maintenant ? Quelque chose se trame en dessous de ça.

Si les Etats-Unis lancent une procédure d’extradition contre vous, avez-vous l’intention de vous rendre ou de fuir ?

De plus en plus d’Américains sont en colère contre ces appels à m’assassiner, à m’extrader. Tout dépend du peuple américain : s’il décide qu’il n’est pas tolérable d’extrader un journaliste pour espionnage, alors il n’y aura pas d’extradition.

Et si cela arrive ?

L’extradition pour espionnage est une mesure politique classique. C’est au pays hôte de décider ou non de suivre la demande d’extradition. C’est une affaire purement politique.

Qui est Julian Assange quand il n’est pas derrière un ordinateur ?

Ce n’est pas à moi de répondre à cette question ! Disons qu’un de mes livres de chevet est le “Le pavillon des cancéreux” d’Alexandre Soljenitsyne. J’aime me promener avec des chiens, pêcher, chasser, monter à cheval. Vous savez, j’ai grandi comme Tom Sawyer, dans des fermes. J’aime vivre dehors, à la campagne, comme ici. Donc j’aime beaucoup l’endroit où je me trouve aujour­d’hui, même si je ne peux pas vraiment me balader.


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