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Des militaires pour former les profs stagiaires

Julie_prof | rue89.com | 15/12/2010

vendredi 17 décembre 2010

Un soldat en plastique (Taber Andrew Bain/Flickr).

Jusqu’à l’an dernier, les professeurs stagiaires travaillaient à mi-temps, ce qui leur permettait de suivre une formation en alternance à l’IUFM. Aujourd’hui, ils se retrouvent devant leur classe sans aucune préparation mais avec la promesse de bénéficier de quelques sessions de formation en cours d’année. Le 3 décembre, l’une de celles-ci se tenait à Bordeaux. Julie -son prénom a été changé- y était. Elle raconte ce qui ressemble à « une mauvaise blague ».

Lors de la réunion de « formation » du vendredi 3 décembre, qui s’est tenue au lycée Gustave Eiffel à Bordeaux, les professeurs stagiaires ont été conviés à suivre un cours magistral de 9h30 à 12h30.

Les professeurs ne sont pas une profession libérale

Les interventions successives n’ont répondu en rien à nos demandes les plus pressantes et à nos inquiétudes. Alors même qu’aucun d’entre nous n’a commencé sa formation disciplinaire ce qui, de l’avis de tous, est une urgence bien réelle.

A la fin de la troisième intervention détaillant les droits et devoirs du fonctionnaire, un responsable des ressources humaines nous a rappelé que nous « devions » 35 heures par semaine à l’Etat et que nous n’étions pas une profession libérale et que nous dépendions d’une hiérarchie structurée.

Un collègue a posé la question suivante :

« Tout ce que vous nous dites est certes intéressant et je suis d’accord qu’en tant que fonctionnaire, nous nous devons de connaître le fonctionnement de notre institution mais qu’en est-il de notre droit à la formation disciplinaire ? Nous n’avons encore eu à ce jour aucune formation ! »

A cette invective fortement applaudie par tous, une inspectrice a pris la parole et a répondu : « Il faut savoir qu’il est du devoir de tout enseignant de s’autoformer et les tuteurs sont aussi là pour vous aider… »

Orienter nos élèves en difficulté vers des carrières militaires

A notre grande surprise, à 14 heures, lorsque la réunion a repris, nous avons vu se succéder à la tribune deux militaires, un major et un colonel (si je me souviens bien) accompagné d’un IPR [inspecteur pédagogique régional, ndlr] d’histoire-géographie et d’un professeur agrégé d’histoire, commandant de réserve.

Les thèmes abordés ont été alors plus exotiques les uns que les autres : « l’enseignement de la défense », « la défense aujourd’hui : nouvelles menaces, nouvelles configurations, les enjeux », « un exemple de partenariat Défense-lycée », « le recensement et la JAPD », etc.

Tous ces thèmes ont été servis avec une sauce idéologique particulièrement intéressante : « Grâce à Dieu, grâce à Dieu, grâce à Dieu nous connaissons la paix en Europe depuis plus de soixante ans », « La paix a été préservée grâce à la bombe nucléaire », etc…

Nous avons aussi été incités à orienter nos élèves en difficulté vers des carrières militaires ! Tout ça avec, en arrière-plan, des images de jeunes militaires avec des armes à la main en exercice de tirs, etc…

Nous avons été plusieurs à nous demander si ce n’était pas une mauvaise blague avec une caméra cachée.

« Mademoiselle, vous êtes payée pour suivre ces formations »

Evidemment, beaucoup de nos collègues furieux que l’on se moque de leurs préoccupations quotidiennes (apprendre à construire des séquences de cours ou évaluer les élèves par exemple) ont déjà commencé à quitter massivement les lieux…

L’IPR, irrité, lâche alors quelques remarques injurieuses allant jusqu’à remettre en doute notre posture professionnelle. Peut-être aurait-il dû se féliciter d’avoir devant lui des enseignants avec un esprit critique !

La fin de la séance est épique, l’IPR nous interpellant : « Bon, nous sommes en retard mais… à qui la faute ? »…

Il apostrophe ensuite une professeure stagiaire qui était en train de se diriger vers la sortie et lui dit :

« Mademoiselle, vous n’avez pas le droit de quitter la salle, vous êtes payée pour suivre ces formations »…

A la professeure stagiaire de lui rétorquer courageusement :

« J’ai un train à prendre, il est 16h31 et je ne suis payée que jusqu’à 16h30. »

« Des conversations d’intellectuels qui ne servent à rien »

Face à l’hostilité généralisée et réciproque, beaucoup ont quitté la salle. Le commandant de réserve, visiblement en colère, se permet une comparaison hasardeuse :

« En salle des profs, on entend des conversations d’intellectuels qui ne servent à rien alors que nous, dans l’armée, on est dans l’action pour la nation. »

Un autre gradé de l’armée prend la suite en affirmant de manière décomplexée qu’il n’y a pas de déontologie dans l’éducation nationale !

Pour conclure, nous nous sommes tous sentis insultés tant par le choix des thèmes abordés, qui témoignent d’une ignorance totale de nos problèmes quotidiens, que par des propos inacceptables à notre égard et sur l’ensemble de la profession que, quelque part, nous représentions ce jour-là.


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