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Un remède nommé cannabis

Par Sylvie Arsever - dimanche 8 août 2010

dimanche 8 août 2010

Un remède nommé cannabis

Marijuana sous la loupe. Plusieurs Etats américains autorisent l’usage de cannabis à des fins médicales. (AFP)

Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les stupéfiants l’an prochain, l’usage médical du cannabis deviendra possible. Selon quelles modalités ? C’est tout l’enjeu des ordonnances d’application, actuellement à l’étude à l’Office fédéral de la santé publique

« Je suis polytraumatisé et j’ai des douleurs chroniques. Lorsque j’ai quitté l’hôpital après mon accident, on m’a donné de la morphine pendant cinq mois et j’ai plongé dans la dépression. Après, on m’a mis sous Ponstan ; au bout de deux ans, j’ai développé un ulcère. Au­jourd’hui, ça fait cinq ans que je me soigne avec du cannabis et ça va bien. »

Antoine* vit en zone grise : l’association Alternative Verte, dont il est l’un des animateurs, réunit à Genève quelque 70 personnes qui utilisent du chanvre pour lutter contre divers symptômes : douleurs, crampes, nausées, angoisses… Elle distribue à ses membres des plantons et des conseils pour les faire prospérer et les transformer en préparations : beurre, gâteaux, etc. Lui-même fume son chanvre mais estime que c’est une pratique qu’il ne peut recommander à personne.

Beaucoup de ces usagers agissent avec l’accord plus ou moins enthousiaste de leur médecin traitant, auquel ils demandent un « certificat » attestant du fait qu’ils utilisent le chanvre pour combattre un symptôme rebelle. Dénué de valeur légale, ce document a toutefois permis à quelques membres d’échapper en tout ou en partie aux foudres de la loi, assure Antoine. Ce que Patrick Puhl, porte-parole de la police genevoise, ne confirme pas : « Nous n’avons jamais vu de tels certificats », assure-t-il. Zone grise…

La situation pourrait se clarifier prochainement. La nouvelle loi fédérale sur les stupéfiants, qui devrait entrer en vigueur l’an prochain, entrouvre la porte à une utilisation médicale du cannabis. Les ordonnances d’application devraient être mises en circulation cet automne. Elles détermineront lesquels des usagers de cannabis médical auront la chance de se retrouver du bon côté de la loi et lesquels resteront dans une semi-clandestinité.

Le projet, élaboré par un groupe d’experts, prévoit, selon Mona Neidhart, porte-parole de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), la possibilité de faire homologuer des traitements à base de cannabis, synthétique ou naturel, auprès de Swissmedic. Ce qui implique, pour les demandeurs, de démontrer que le médicament proposé est efficace et qu’il apporte une plus-value par rapport aux traitements existants.

Certaines pratiques ont à première vue plus de chances de réussir ce test que d’autres. L’usage de THC (tétrahydrocannabinol, le prin­cipal principe actif du cannabis) est déjà possible aujourd’hui, sur autorisation spéciale, dans le traitement des nausées liées aux chimiothérapies du cancer, de la perte d’appétit qui accompagne, notamment, le sida et des crampes douloureuses que subissent les personnes souffrant de sclérose en plaques ou d’atteintes de la moelle épinière. Actuellement, une septantaine d’autorisations sont en cours, un chiffre qui n’a guère varié ces dernières années.

« Pour tous ces patients, le traitement au THC n’est envisagé qu’en dernier recours, lorsque d’autres médications ne marchent pas ou ne suffisent pas à supprimer le symptôme, relève Barbara Broers, médecin adjoint au service de premier recours des Hôpitaux universitaires genevois. Beaucoup n’en ont absolument pas besoin, mais pour certains, il apporte une aide précieuse. »

Précieuse mais chère : la seule préparation disponible en Suisse, le Dronabinol, est vendue en flacon à 200 francs qui dure entre une et quatre semaines. Non remboursé par l’assurance de base. De nombreux usagers sont donc tentés de se tourner vers la plante – d’autant plus, estime Barbara Broers, que cette dernière présente sans doute des avantages thérapeutiques.

« Le THC n’est qu’un des principes actifs du chanvre qui contient une soixantaine de cannabinoïdes au moins. Et plusieurs travaux donnent à penser que les autres ont aussi une utilité. Le cannabidiol, par exemple, semble contrecarrer l’effet psychotrope du THC. Pour de nombreux patients, qui sont incommodés par cet effet, c’est un atout. »

Claude Vaney, médecin responsable du secteur de réadaptation et de neurologie à la Clinique Bernoise Montana, a mené l’une des études qui ont permis de mettre en évidence l’effet du cannabis, administré dans ce cas par capsule contenant de l’herbe broyée, dans le traitement des symptômes de la sclérose en plaques, particulièrement les crampes douloureuses qui sont parmi les plus lourds.

« Le chanvre a un effet de relaxation musculaire et il diminue la perception de la douleur. Son action psychotrope contribue sans doute à produire le sentiment de bien-être que notent les patients. Mais ce n’est pas cet effet qui est recherché : au contraire, il peut être gênant – à partir d’une certaine dose, les gens se sentent affaiblis, ont de la peine à se concentrer. Pour cette raison, la plupart prennent plutôt du cannabis le soir. »

Si certains bénéficient de prescriptions de Dronabinol, la plupart préfèrent recourir à la plante, malgré des difficultés croissantes depuis qu’a cessé de souffler le vent de libéralisme des années 1990. Claude Vaney les estime à une centaine et inscrit leur choix dans une tendance plus générale : « Comme beaucoup de patients atteints de maladies chroniques, les gens qui souffrent de sclérose en plaques ont tendance à se tourner vers des médecines alternatives, qui souvent leur apportent un soulagement réel. Cela va dans le sens, que nous encourageons, d’une prise en charge de la maladie par le patient lui-même, avec notre collaboration. »

C’est l’un des premiers enjeux de la réforme en cours. Elle devrait, estime Claude Vaney, permettre l’usage aussi bien du chanvre naturel que du THC synthétique. C’est également, assure-t-il, le point de vue du groupe d’experts, dont il fait partie. « Il faut que les gens puissent aller dans une pharmacie avec une ordonnance et obtenir du cannabis élaboré dans des conditions médicales acceptables. Les Néerlandais y arrivent, on devrait y arriver aussi. » (Voir l’encadré ci-dessous.)

Le second enjeu est plus délicat. Si les patients du docteur Vaney ont de bonnes chances d’avoir accès au cannabis médical, ce n’est pas le cas de nombreuses personnes qui trouvent dans la consommation de cannabis un soulagement compréhensible au regard de certaines hypothèses formulées par les chercheurs, mais résolument extérieur aux indications admises. Antoine en fait sans doute partie.

Barbara Broers en voit d’autres dans sa consultation : « Certaines personnes atteintes de dépression parviennent à un meilleur équilibre avec du cannabis qu’avec un traitement psychotrope conventionnel. On voit aussi des patients qui ont un long passé de toxicomanie et d’alcoolisme et ont réussi à tout arrêter. Sauf le chanvre, qu’ils consomment à des doses qui n’altèrent pas leur perception et qui leur permet de trouver un équilibre. »

Ni elle ni aucun médecin à ce stade ne recommanderait ce type de traitement. Au contraire, les liens, apparemment complexes, entre schizophrénie et cannabis suscitent une méfiance croissante. Mais dans la mesure où ils constatent qu’un patient y trouve un bénéfice réel, certains seraient disposés à l’accompagner.

Pour le moment, la loi fait écran. Cela risque bien d’être encore le cas demain. Avec, peut-être, quelques dérogations : le projet des experts prévoit également, selon l’OFSP, des autorisations exceptionnelles délivrées au cas par cas à titre compassionnel. Dans ce domaine comme dans celui des indications et de la diversité des préparations accessibles, beaucoup dépendra du débat politique à venir.

* Prénom fictif.

Sylvie Arsever
dimanche8 août 2010


Les liens

* Tout ce que le chanvre pourrait guérir un jour
* De nombreuses préparations différentes


Voir en ligne : Un remède nommé cannabis

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