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l’État se donne les moyens de commercialiser les informations nominatives du fichier des cartes grises

ldh-toulon.net | mercredi 15 décembre 2010

mercredi 15 décembre 2010

Aujourd’hui, l’État envisage de vendre des données nominatives des propriétaires de véhicules, à des tiers qui pourront les utiliser à des fins d’enquêtes et de prospections commerciales, sans en avertir les personnes concernées.

Quelles garanties l’État peut-il donner pour convaincre les parents et les enseignants que les informations nominatives enregistrées dans Base élèves 1er degré ou dans Sconet ne seront pas, demain, commercialisées à des éditeurs ou à des officines de cours particuliers ?


Questions sur une cession de documents privés

par Élisabeth Fleury, Le Parisien, 14 décembre 2010

Des informations personnelles sur les citoyens peuvent être achetées, notamment par les constructeurs automobiles, à des fins techniques et scientifiques mais également commerciales et marketing. Et sans aucune garantie pour les usagers.

Depuis quand l’Etat peut-il vendre des fichiers ?
 En avril 2009, les sénateurs Gérard Longuet et Gérard Cornu proposent de permettre aux constructeurs automobiles d’accéder aux données personnelles que réclame, pour chaque demande de carte grise, le service d’immatriculation des véhicules.
 Il s’agit, expliquent-ils, de « faire bénéficier des tiers, notamment les professionnels de l’automobile » de ces informations. Leur amendement débattu dans la plus grande discrétion ne suscite aucune polémique. Philippe Marini, rapporteur général de la séance, accorde à leur proposition un avis favorable. Au nom du gouvernement, le ministre du Travail Eric Woerth fait de même. L’amendement des sénateurs, est donc adopté et introduit dans la loi du 29 avril 2009 sous l’article 29.

Quelles informations peuvent être vendues ?
 Le service d’immatriculation des véhicules constitue, pour le ministère de l’Intérieur, une gigantesque base de données personnelles. En effet, l’ancienne carte grise comporte plusieurs renseignements intéressants : le nom, la date de naissance et l’adresse de son titulaire. Ainsi que le type de véhicule, la date de sa première mise en circulation et la puissance de sa cylindrée. Des informations précieuses pour cibler d’éventuels clients dans le cadre de campagnes marketing.

Qui peut acheter ces données et pour faire quoi ?
 En priorité, les constructeurs automobiles. La loi autorise plus généralement l’Etat à vendre ces fichiers « à toute personne qui le souhaite à d’autres fins que celles de la mission de service public » pour laquelle les documents ont été fournis. La loi prévoit « trois principaux usages ». Il s’agit de permettre aux constructeurs de procéder à des rappels de véhicules, dans le cadre de « campagnes de sécurité et de campagnes de mise au point ». Autre usage : « l’utilisation à des fins statistiques, scientifiques ou historiques » de ces données. Enfin, et c’est là que le bât blesse le plus, « l’utilisation des données à des fins d’enquêtes ou de prospections commerciales sera possible ».

Quel est le prix de ces informations ?
 C’est à l’administration de fixer le montant des « redevances ». Le prix « tient compte des coûts de mise à disposition des informations, notamment, le cas échéant, du coût d’un traitement permettant de les rendre anonymes ». Il intègre également les « coûts de collecte et de production des informations ». Le prix imposé est relativement encadré. En clair, l’administration doit fixer un tarif « raisonnable » c’est-à-dire ne pas faire payer plus que la gestion de ces fichiers ne lui a coûté. Mais aucun tarif précis n’est avancé.

Quelles sont les garanties fournies aux usagers ?
 Les garanties pour le citoyen figurant dans la base de données du service des immatriculations sont quasi inexistantes. L’usager ne sera pas informé de l’utilisation faite de ses données personnelles, et il ne pourra que s’opposer à leur cession s’il en fait expressément la demande. Seule précaution : avant de vendre les données contenues dans le système d’immatriculation des véhicules, « l’administration doit s’assurer que les données transmises ne seront pas utilisées à des fins contraires à l’ordre public ». A cette fin, l’article 30 ter de la Loppsi 2 l’autorise à mener des « enquêtes administratives » sur les demandeurs. C’est cette disposition qui doit être débattue par les députés demain.


Avril 2009 : un amendement donne une base légale à la transmission d’informations nominatives à des tiers

En avril 2009, la commission mixte paritaire acceptait une nouvelle rédaction de l’article 12 ter du projet de loi de finances rectificative pour 2009, en y intégrant l’amendement déposé le 31 mars 2009 par les sénateurs Gérard Cornu et Gérard Longuet. Voici en effet un extrait du compte-rendu des débats au Sénat, lors de la séance du 9 avril 2009 [1] :

La commission mixte paritaire a accepté la nouvelle rédaction [...] de l’article 12 ter issu d’un amendement de notre collègue Gérard Longuet et tendant à donner une base légale à la transmission à des tiers des informations recueillies lors de la mise en circulation des véhicules.

Cet article 12 ter, devenu l’article 29 de la loi n° 2009-431 du 20 avril 2009 de finances rectificative pour 2009, a apporté des modifications aux articles L330-2 à L330-5 du code de la route [2]. En voici la rédaction actuelle :

 Article L330-1 du code de la route

Il est procédé, dans les services de l’Etat et sous l’autorité et le contrôle du ministre de l’intérieur, à l’enregistrement de toutes informations concernant les pièces administratives exigées pour la circulation des véhicules ou affectant la disponibilité de ceux-ci.

Ces informations peuvent faire l’objet de traitements automatisés, soumis aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

 Article L330-2 du code de la route

I.-Ces informations, à l’exception de celles relatives aux gages constitués sur les véhicules à moteur et aux oppositions au transfert du certificat d’immatriculation, sont communiquées sur leur demande :
[...]
13° Aux constructeurs de véhicules ou à leurs mandataires pour les besoins des rappels de sécurité et des rappels de mise au point des véhicules.

 Article L330-5 du code de la route

[...] Ces informations nominatives sont également communicables à des tiers préalablement agréés par l’autorité administrative afin d’être réutilisées dans les conditions prévues au chapitre II du titre Ier de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal :
- à des fins statistiques, ou à des fins de recherche scientifique ou historique, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord préalable des personnes concernées mais sous réserve que les études réalisées ne fassent apparaître aucune information nominative ;
- à des fins d’enquêtes et de prospections commerciales, sauf opposition des personnes concernées selon les modalités prévues au deuxième alinéa de l’article 38 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.


Décembre 2010 : examen du projet de LOPPSI 2 à l’Assemblée nationale (en seconde lecture)

L’adoption de l’article suivant du projet de loi LOPPSI 2, dont le vote est prévu pour le 21 décembre prochain, ne devrait pas poser de problème :

 Article 30 ter [3]

Le troisième alinéa de l’article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Il peut y être procédé pour la délivrance des licences fixant les conditions de la réutilisation des informations publiques telle que prévue à l’article 16 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal. »

L’ajout de cette phrase complète la modification législative d’avril 2009, en faisant entrer la commercialisation du fichier des cartes grises dans le champ d’application de l’article 16 de la loi du 17 juillet 1978 :

 Article 16 de la loi n° 78-753 [4]

Lorsqu’elle est soumise au paiement d’une redevance, la réutilisation d’informations publiques donne lieu à la délivrance d’une licence.

Cette licence fixe les conditions de la réutilisation des informations publiques. Ces conditions ne peuvent apporter de restrictions à la réutilisation que pour des motifs d’intérêt général et de façon proportionnée. Elles ne peuvent avoir pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence.

Les administrations qui élaborent ou détiennent des documents contenant des informations publiques pouvant être réutilisées dans les conditions prévues au présent article sont tenues de mettre préalablement des licences types, le cas échéant par voie électronique, à la disposition des personnes intéressées par la réutilisation de ces informations.

Les conditions dans lesquelles une offre de licence est proposée au demandeur sont fixées par voie réglementaire.

La voie sera ouverte : l’État pourra alors commercialiser des données nominatives qu’il a enregistrées...


Le point de vue de la Commission nationale informatique et libertés

Dans un communiqué publié le 15 décembre 2010, la CNIL rappelle que si elle « n’a, évidemment, pas pour vocation de commenter, et encore moins de remettre en cause les lois votées par le Parlement, [...] elle a pour mission essentielle de garantir les droits des citoyens. » Et elle poursuit :

C’est bien ce à quoi elle s’est employée dans le cas du fichier des cartes grises. En effet, lors de contrôles menés, en 2006, la Commission avait constaté que les personnes n’étaient pas suffisamment informées de la revente de leurs données et donc de leur droit d’opposition. Sur son injonction, le formulaire de demande de certificat d’immatriculation contient une case à cocher permettant aux automobilistes de s’opposer à ce que leurs données puissent être réutilisées à des fins de prospection commerciale.


P.-S.

Compléments concernant le SIV

Le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Système d’information décisionnel du système d’immatriculation des véhicules » a été créé par un arrêté du 1er septembre 2009.

Les données personnelles enregistrées dans le SIV sont mises à jour. On peut en effet lire sur le site du Système d’Immatriculation des Véhicules que :

 * tout changement d’état civil, de raison sociale ou d’état matrimonial du titulaire de la carte grise, doit être obligatoirement déclaré en préfecture,
 * le propriétaire d’un véhicule doit déclarer, dans le délai d’un mois, son changement de domicile, de siège social ou d’établissement d’affectation ou de mise à disposition du véhicule, sous peine d’encourir une contravention de la 4ème classe.

Notes

[1] http://www.senat.fr/seances/s200904...

[2] http://legifrance.gouv.fr/affichCod...

[3] http://www.assemblee-nationale.fr/1...

[4] http://www.legifrance.gouv.fr/affic...


Voir en ligne : l’État se donne les moyens de commercialiser les informations nominatives du fichier des cartes grises

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