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Mexique : Le deuxième suicide de Digna Ochoa

AFP | 2 décembre 2010

samedi 4 décembre 2010

Curieusement, le policier chargé de l’escorter s’est absenté au moment de l’enlèvement.

Jean-Pierre PETIT-GRAS

Le 19 octobre 2001, la jeune avocate mexicaine Digna Ochoa y Plácido, employée par une organisation spécialisée dans la défense des droits humains, était retrouvée morte à son domicile de la capitale du pays. Une balle dans la cuisse, et une autre dans la tête, entrée par la tempe gauche (alors que Digna était droitière).

Un suicide, concluaient aussitôt les autorités judiciaires de la ville Mexico. Digna avait déjà subi, en une douzaine d’années, deux enlèvements, avec sévices sexuels et menaces de mort

Elle avait notamment dénoncé des officiers de l’armée comme auteurs de la première agression. Pendant un temps, elle était allée trouver refuge aux Etats-Unis, avant de rentrer au pays, pressée par l’ampleur de la tâche.

Au moment de sa mort, elle défendait des paysans écologistes de la Sierra de Petatlán, dans l’état du Guerrero, emprisonnés pour s’être opposés à la déforestation opérée par un gros propriétaire local. Ce cacique, membre du PRI (Parti de la Révolution Institutionnelle, au pouvoir depuis la fin des années 1920) finançait sa politique de modernisation agricole par la culture de marihuana et de pavot, et bénéficiait d’une complicité qui n’étonnerait que des gens peu avertis de la réalité mexicaine, à savoir celle d’officiers de la neuvième région militaire.

La chronique de cet assassinat annoncé a fait un temps les gros titres des journaux locaux, suscitant indignation et colère parmi les défenseurs des droits humains, au sein des organisations populaires et de la gauche non officielle.

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En dépit de nombreux témoignages et accusations portées contre eux, ni le cacique de Petatlán (aujourd’hui sous les verrous), ni les autorités militaires n’avaient été entendus par la « justice ».

Le 27 octobre 2010, le Procureur Général1 du District Fédéral (PGJDF) a annoncé sa décision de classer définitivement l’affaire : Digna Ochoa s’est donc officiellement suicidée.

Dans le cadre de la deuxième visite de la CCIODH au Chiapas et à México, nous avions rencontré Digna Ochoa. C’était deux ans avant sa mort. Malgré les menaces dont elle faisait l’objet, cette femme souriante, tranquille, déterminée, nous avait fortement impressionnés par le mélange de compétence et d’enthousiasme dont elle faisait preuve.

Ce « carpetazo », l’enterrement du dossier, ne changera rien à la vérité. Mais ce qui est inquiétant, c’est que les menaces de mort, les enlèvements et les assassinats continuent d’être la règle au Mexique. Ces menaces visent toute personne, tout collectif cherchant à dénoncer ou à s’opposer de façon un tant soit peu conséquente aux pouvoirs en place.

Notamment à la série de crimes et turpitudes accompagnant la guerre actuelle contre la paysannerie et les communautés indigènes. Un « conflit de basse intensité » visant à livrer les campagnes du pays à l’ « agro-business » et au développement industriel (monocultures d’exportation -pavot compris, méga-projets énergétiques, appropriation de la bio-diversité, mines à ciel ouvert, extraction ... d’une main d’oeuvre taillable et corvéable, disponible et parquée dans de gigantesques et concentrationnaires cités-dortoirs).

Voici quelques jours, alors qu’elle sortait d’une réunion avec le représentant au Mexique du commissaire aux droits humains de l’ONU, Margarita Martínez Martínez a été enlevée à bord d’un gros 4/4, emmenée et « promenée » dans un cimetière à San Cristóbal de Las Casas, au Chiapas.

Membre de l’association « Enlace y Comunicación », Margarita avait déjà fait l’objet d’une séquestration avec menaces de mort, le 25 février dernier. Suite à l’intervention de la Commission Interaméricaine des Droits Humains, elle bénéficie d’une protection policière. Or, curieusement, le policier chargé de l’escorter s’est absenté au moment de l’enlèvement. En la relâchant, les individus ont remis à Margarita un message à l’intention de Diego Cadenas, coordinateur de l’ONG FrayBa, qui travaille avec les communautés zapatistes : lui aussi « déstabilise » l’état. Lui aussi se fera descendre.

Le gouverneur de l’Etat du Chiapas, Juan Sabines, appartient au PRD (parti de la révolution démocratique, adhérent, comme le PRI, de l’internationale socialiste). Le chef du gouvernement du Distrito Federal est lui aussi membre du PRD. Nous voilà totalement rassurés.

Jean-Pierre Petit-Gras


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