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Biens mal acquis : victoire judiciaire pour les ONG et les populations du Sud

Véronique Smée - - 09/11/2010

vendredi 12 novembre 2010

Alors qu’en mai 2009, le pôle financier du TGI de Paris, avait jugé recevable la plainte déposée par Transparence International (TI) France contre les familles dirigeantes du Gabon, du Congo-Brazzaville et de la Guinée Equatoriale dans le cadre des « biens mal acquis », le parquet avait décidé de classer l’affaire. Un pourvoi en cassation a été déposé par TI France, qui vient d’obtenir gain de cause : la justice autorise la poursuite des enquêtes.

« Nous sommes très contents, c’est une grande victoire pour les populations pillées des pays du Sud, pour la justice française et pour la société civile », se réjouit Jean Merkaert, membre du CCFD. Après plusieurs revirements judiciaires, la décision prise ce mardi 9 novembre par la Cour de cassation est en effet cruciale : elle va permettre la poursuite des enquêtes dans le cadre des « biens mal acquis » sur les patrimoines français des présidents du Congo-Brazzaville, du Gabon et de Guinée équatoriale et de leur entourage. Avec pour objectif la saisie, voire la restitution, d’avoirs détournés au détriment des populations du Sud.

Cette décision est le fruit du parcours judicaire lancé par deux ONG : Transparency International, qui a porté plainte en 2009 pour « recel de détournement de fonds publics, blanchiment, abus de biens sociaux, abus de confiance » ; et le CCFD-Terre Solidaire, qui avait publié en 2007, puis en 2009, des rapports sur les « biens mal acquis » par les dictateurs du monde entier. Elle y dénonçait notamment la complicité des entreprises et des politiques, ainsi que le rôle central des paradis fiscaux et judiciaires dans le pillage des populations des pays du Sud. 35 milliards d’euros ont en effet été détournés par le Chah d’Iran Mohammed Reza Pahlavi, 12 milliards par Mohamed Suharto, le chef d’Etat indonésien, ou encore entre 7 et 28 milliards par Saddam Hussein…Au total, « entre 75 et 130 milliards d’euros ont été perçus par une trentaine de dictateurs africains, américains, asiatiques et européens », estimaient alors Antoine Dulin et Jean Merkaert, les deux co-auteurs du rapport « Biens mal acquis, à qui profite le crime ? ».

Des dynasties au train de vie plus que dispendieux

En 2007 déjà, une enquête de police avait recensé 39 propriétés et 70 comptes bancaires détenus par la famille Bongo et ses proches, 24 propriétés et 112 comptes bancaires pour la famille Sassou Nguesso…Un train de vie que les ONG dénoncent encore dans le document « Chronique 2009-2010 d’un engagement qui patine » que le CCFD-Terre Solidaire publie avec Sherpa. Le document relate ainsi qu’Ali Bongo, président du Gabon, « a choisi d’investir dans la pierre parisienne, sans pour autant commettre « l’erreur » de son père en mettant le bien à son nom : l’Etat gabonais lui-même a annoncé l’acquisition d’un immeuble particulier au 51 rue de l’Université pour environ 100 millions d’euros, soit 3% du budget de l’Etat gabonais ! ».

Il fait également état des sommes dépensées de Paul Biya, président du Cameroun, lors de sa visite officielle en France en juillet 2009. Des vacances « qui ont coûté la bagatelle de 900 000 euros… Au programme : palaces en bord de mer et cures de thalassothérapie pour le président camerounais et sa suite de 40 personnes », indiquent les ONG. Quand au président sénégalais Abdoulaye Wade, également en vacances en France à l’été 2009, il aurait dépensé « en milieu de séjour la somme de 725 millions de francs CFA, soit un peu plus d’un million d’euros », selon le journal sénégalais Le Quotidien.

Aucun recours pour les populations spoliées

Pourtant, depuis l’entrée en vigueur de la Convention de Mérida en 2005, signée par plus de 140 pays, la restitution des biens mal acquis est un principe clé du droit international. Les pays qui ont été pillés par leurs dirigeants peuvent en théorie obtenir que l’argent volé leur soit rendu. En réalité, le CCFD-Terre Solidaire montre dans son rapport que « 1 à 4% seulement des avoirs détournés ont été restitués aux populations spoliées. Alors que les sommes en jeu sont considérables : entre 105 et 180 milliards de dollars pour une trentaine de pays du Sud. » De fait, la Convention de Merida réserve aux seuls États spoliés la possibilité de demander la restitution des avoirs. Or, « on imagine mal comment des dynasties en place pourraient s’en prendre à leur propre patrimoine familial ! », ironise le CCFD.

Par ailleurs, les engagements pris par les Etats ont fait long feu. En effet, à l’occasion du G20 de Pittsburgh en septembre 2009, les Etats ont appelé les pays membres de la Convention des Nations Unies contre la corruption à adopter un mécanisme de suivi de la convention « efficace et transparent » mais ce suivi est resté volontaire et non contraignant, notamment s’agissant du recouvrement des avoirs volés…

Impacts politiques, diplomatiques et juridiques

« La décision prise aujourd’hui va créer de fortes tensions politiques et diplomatiques », commente Jean Merckaert. "Politiques, parce que la Cour de cassation a rendu un arrêté contraire à la volonté du gouvernement français, qui a tout fait pour classer l’affaire. Et diplomatique, parce qu’elle va compliquer la relation entre Paris et ces pays africains ".

Enfin, au plan juridique, c’est également une décision qui, pour la première fois, reconnaît qu’une ONG de lutte contre la corruption est légitime à porter plainte sur l’origine du patrimoine d’un chef d’État étranger…« Nous montrons aussi, grâce à cette victoire, que quelques ONG à force d’obstination, peuvent faire trembler des pouvoirs que l’on croyait invincibles », se réjouit Jean Merckaert.

Véronique Smée

Mis en ligne le : 09/11/2010

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