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L’influence des pharmas

Dejan Nikolic | letemps.ch | lundi 13 mai 2013

lundi 13 mai 2013

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L’influence des pharmas
Dejan Nikolic | letemps.ch | lundi 13 mai 2013

Eduardo Pisani : « La contrefaçon de médicaments est un crime contre les patients et la science. » (Véronique Botteron)

Eduardo Pisani: « La contrefaçon de médicaments est un crime contre les patients et la science. » (Véronique Botteron)

L’IFPMA, qui assure l’harmonisation des normes techniques d’enregistrement des médicaments à usage humain, promeut aussi un code éthique international en matière d’essais cliniques. Sa mission : renforcer l’évaluation des risques des médicaments commercialisés et lutter notamment contre leur contrefaçon. Rencontre avec son directeur général Eduardo Pisani

Le lobby international des secteurs de la recherche pharmaceutique, biotechnologique et vaccinale fête cette année ses 45 ans d’existence à Genève. Baptisée Fédération internationale de l’industrie du médicament (IFPMA), l’entité qui représente 1,3 million de salariés à travers le monde, possède le statut d’organisation non gouvernementale. Elle parle au nom des 80 plus importantes associations et multinationales de la planète (AstraZeneca, Merck, Novartis, Pfizer, Sanofi, etc.). Entretien avec son directeur général, Eduardo Pisani.

Le Temps : Quel est le rôle de l’IFPMA à Genève ?

Eduardo Pisani : Notre mission est de formuler des positions et des analyses techniques sur des sujets traités par les organisations mondiales de la santé, du commerce ou de la propriété intellectuelle. Parmi nos interlocuteurs nous comptons aussi d’autres agences spécialisées comme l’Onusida, mais également des acteurs moins traditionnels pour l’industrie pharmaceutique, telle l’Union internationale des télécommunications (UIT).

– Pourquoi l’UIT ?

– Nous sommes partenaires d’une initiative de santé sur mobile contre les maladies non transmissibles, lancée conjointement avec l’OMS. Ce projet comprend des applications pour téléphones portables permettant notamment de transmettre des informations médicales au personnel soignant, d’accompagner un traitement par des messages de rappel, ou encore d’identifier des lots de faux médicaments.

– Vous publiez une bible des bonnes pratiques en matière d’interactions avec les acteurs sanitaires. Comment se présente son mécanisme de plainte ?

– Notre code de conduite vient compléter les normes juridiques pouvant exister localement. Si par exemple un cas nous était notifié en Suisse, c’est notre antenne helvétique qui prendrait en charge son exécution.

– En plus de cette vocation législative, vous avez un mandat de gendarme.

– Oui, l’ensemble de notre dispositif vise à instaurer un standard mondial de pratiques commerciales. Mais il n’est pas facile de créer des conditions uniformes de concurrence et d’éthique professionnelle. Notre industrie est assez fragmentée. Nous représentons exclusivement les secteurs de la recherche et du développement (R&D). Les autres segments pharmaceutiques ne dépendent pas de l’IFPMA.

– Etes-vous concernés par les récents déboires de Novartis aux Etats-Unis ?

– Cette affaire n’est pas remontée jusqu’à nous. Le principe de subsidiarité fait que les autorités locales ont pris les choses en main avant.

– Quels sont les défis de la R&D, à l’horizon 2030 ?

– Cette activité, qui ne connaît plus aucune frontière, est la raison d’être de notre industrie. Et c’est l’une des bases principales de notre action à Genève. A savoir, s’assurer que les politiques favorisant la recherche biomédicale sont prises en consi­dération par les institutions compétentes. Dans la pratique, la recherche est exclusivement conduite par les grandes multinationales. En 2012, les investissements consentis en la matière se sont élevés à 135 milliards de dollars [ndlr : entre 15 et 18% du chiffre d’affaires de la branche]. Voilà pour les enjeux.

Pour répondre à votre question, je dirais que le défi principal des laboratoires consiste à conjuguer l’innovation biopharmaceutique avec l’accès aux médicaments, partout dans le monde. Ce mandat ne peut se concrétiser que si le fardeau de la recherche est partagé. Il faut donc comprendre les coûts liés au développement de mé­dicaments, et surtout en tenir compte dans les politiques menées aux échelons international et ­national.

– Le prix des médicaments est l’une des pierres angulaires du débat.

– Tout à fait. Il traduit en partie la valeur d’une innovation. Toutefois, une politique d’accès au médicament ne correspond pas au tarif final du produit. L’industrie pharmaceutique est un maillon du système sanitaire mondial. Elle a donc une responsabilité dans l’élévation des standards cliniques et doit contribuer à renforcer l’usage de médicaments, au bon moment, et partout dans le monde. Raison pour laquelle elle finance concrètement un maximum de projets qui vont dans ce sens.

– La pharma reste tout de même parmi les industries les plus rentables. Comment justifiez-vous cela ?

– Les profits sont potentiellement proportionnels aux technologies utilisées, et aux risques encourus. Le coût d’un échec est tout aussi spectaculaire. Sans ce dispositif, les investisseurs sont moins intéressés. C’est ainsi que fonctionne l’écosystème de l’innovation. Cela n’a rien à voir avec les entreprises pharmaceutiques en elles-mêmes. Mais cette dynamique tend à changer.

– C’est-à-dire ?

Les modèles d’affaires sont en pleine mutation. Grâce à des technologies plus pointues, on peut mieux cerner le profil génomique des pathologies. La recherche devient ainsi plus efficace, mais aussi « moins grand public ». Par exemple, l’aspirine était il y a vingt ans un médicament phare pour tout le monde. Aujourd’hui, l’industrie s’oriente davantage vers des traitements ciblés, dont le volume génère automatiquement moins de profits.

– Dans leur course à la rentabilité, les pharmas se tournent de plus en plus vers les pays émergents (60% du marché mondial à l’horizon 2016) ?

– Les nouveaux médicaments qui sont lancés visent tous les patients de la planète, sans aucune discrimination a priori. Ce qui pose la question des infrastructures adéquates disponibles (voies de communication, hôpitaux, pharmacies, personnel de santé, etc.), indispensables pour atteindre, interagir et soigner de manière efficace. Sans cela, nous devons nous limiter à des thérapies moins récentes ou moins sophistiquées.

– Ce constat est-il valable pour toutes les maladies ?

– Il concerne moins les traitements de type sida et paludisme, où le suivi médical est plus établi et de routine. Ceci, pour autant que la logistique de distribution soit au point. Ce qui n’est pas toujours le cas.

– La pharma investit-elle dans le renforcement des capacités des systèmes sanitaires à l’étranger ?

– Il s’agit d’un placement durable dans la santé publique, non pas une opération spéculative pour dégager des profits.

– Vos mandataires ont pour vocation de guérir les gens. Mais ils ont aussi besoin de malades pour continuer à exister. N’est-ce pas là un paradoxe ?

Les données épidémiologiques sont claires : les affections chroniques, non traitables de manière définitive, augmentent. Face à cette réalité scientifique, la recherche ne doit jamais s’arrêter. Les besoins médicaux insatisfaits restent importants. A ce titre, l’IFPMA s’est engagée il y a un peu plus d’un an dans l’éradication ou le contrôle – à l’horizon 2020 – de maladies négligées tropicales. Saviez-vous qu’une personne sur sept meurt ou est gravement atteinte par l’une de ces affections ? Par exemple, la schistosomiase, ou bilharziose, est une maladie parasitaire qui tue ou invalide sérieusement le plus de personnes en Afrique, après la malaria.

– Quelle est votre approche dans la lutte contre les faux médicaments ?

– La contrefaçon est un crime contre les patients et la médecine. C’est un phénomène croissant, en accélération depuis l’avènement d’Internet. Malheureusement, le débat à l’OMS tourne au ralenti. En raison d’oppositions venant surtout de l’Inde, nous en sommes toujours à un stade rhétorique [définition du mot contrefaçon]. Les médicaments contrefaits sont au mieux inefficaces, au pire, ils peuvent tuer. Et dans certains cas, leur utilisation engendre des résistances à certaines maladies, comme le paludisme dans la région du Mékong. En termes de recherche, c’est un cercle sans fin.

– Votre avis sur les génériques ?

– Ils représentent 80% du marché du médicament dans le monde et ont un rôle primordial pour favoriser l’accès aux médicaments. Il est important qu’ils soient soumis aux mêmes normes de qualité que les médicaments originaux.


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