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Le plaisir (féminin) ça s’apprend

Jean-Marc Proust | slate.fr | vendredi 29 mars 2013

dimanche 7 avril 2013

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Le plaisir (féminin) ça s’apprend
Jean-Marc Proust | slate.fr | vendredi 29 mars 2013


Science, cabinets médicaux, soirées BDSM, tantrisme et orgasmes multiples : le sexe féminin est au cœur d’une vaste enquête d’Elisa Brune, « La Révolution du plaisir féminin ». Voyeurs s’abstenir : le livre ne contient pas d’images, mais 450 pages qui délivrent toutes le même enseignement : le plaisir s’apprend.

Duck to duck / frielp via FlickrCC License by

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La Révolution du plaisir féminin est un livre
parfaitement hétéroclite. Elisa Brune y dialogue avec plus de 70 personnes, en
Europe et aux Etats-Unis : des femmes, des hommes, des scientifiques, des
spécialistes, des témoins, de simples curieux. Balayons rapidement les rares oublis,
à commencer par celui, sidérant, de l’homosexualité féminine, à peine évoqué
par des échangistes. Sans oublier la jeunesse : aucun témoignage des 15 ans- 25
ans ?

Pour ces derniers, peu importe au fond
car ce qui est dit ici suppose d’une certaine manière, de l’expérience, de
l’âge. A l’heure où l’on croit l’orgasme généralisé, Elisa Brune démontre qu’il
n’en est rien. Nombre de femmes le découvrent tardivement ; et pas toujours
(rarement ?) dans le creux du lit conjugal.

L’absence de plaisir a des causes
multiples. Il y a le cas extrême, celui de l’excision, pratique barbare,
difficilement réparable, malgré les efforts de quelques chirurgiens. Car « ce qui est coupé est perdu. Exactement
comme si on coupait le gland d’un homme »
, explique le chirurgien Pierre
Foldès
qui a procédé –gratuitement– à plus de 3.000 reconstructions de
clitoris.

Arriver à aimer son sexe

Mais l’absence du plaisir s’explique le
plus souvent par l’ignorance. L’éducation, les partenaires, le corps médical...
Le sexe de la femme est le plus souvent caché, tu. Ici, c’est un manuel de
biologie au collège où le clitoris n’est pas mentionné, là, c’est une femme de
40 ans qui pensait ne pas avoir de clitoris parce que « son premier partenaire lui avait dit qu’elle était mal fichue et
qu’elle n’en avait pas »
...

Le clitoris, pourtant, n’est pas le
plus mal loti. Car du sexe, on ne connaît en général que ce l’on peut en voir.

Ainsi, la masturbation « se porte généralement sur le gland du
clitoris, facilement accessible »
. En revanche, le tabou du sexe interne
reste vivace : « On n’y touche pas », « c’est sale ».

Les femmes ne connaissent pas leur
sexe, certaines le désignent par des non-dits : « ça », « en bas ». Et si,
confrontées à des photos, elles se disent capables de retrouver le pénis de
leur mari, en revanche, elles ne reconnaîtraient pas leur vulve. Pis : elles
trouvent dégoûtant que la sexologue Corinne Del Aguila-Berthelot leur conseille
de la regarder dans un miroir pour se l’approprier. « Ce serait un énorme progrès si les femmes arrivaient enfin à aimer
leur sexe »
, indique le sexologue Pierre Desvaux.

Et la recherche ? Elle est essentiellement
fondée sur les besoins de l’homme, les dysfonctionnements érectiles se
traduisant par des traitements médicamenteux, donc une commercialisation
(Viagra, Cialis…).

Lorsque la science s’intéresse au sexe
féminin, c’est pour étudier l’utérus, les ovules… En un mot : la procréation,
pas le plaisir. Cette ignorance explique pourquoi la découverte du point
G fit tant de bruit, il y a quelques années.

Aujourd’hui, la recherche patine, faute
de financements et de reconnaissance. Constat désabusé de Marie Chevret-Méasson,
psychiatre et sexologue :

« En
matière de médicaments qui stimulent la libido, on ne fera plus rien pour les
femmes avant vingt ans. Ce ne sera pas pour notre génération. »

Sex-toy, gigolo, cours, assistants sexuels...

Pas de « viagra » féminin ? Il faut donc doper
–ou tout simplement construire– sa sexualité autrement. Le livre abonde en
témoignages variés qui semblent confirmer les pourcentages de Brassens jusqu’au jour
où...

Plus que le pénis, le déclencheur,
c’est la masturbation ou l’accessoire. Le rôle-clef du sex-toy est maintes fois
souligné. L’objet s’est démocratisé et adapté à la demande. Il ne ressemble
plus nécessairement à un pénis, est doté de mouvements divers. Certains visent
un public de niche, ne correspondant qu’à « 5%
de la demande »
(ce qui n’est pas négligeable). La découverte survient à
tout âge. A l’issue d’un atelier sur la sexualité, Jacqueline confesse avoir
découvert l’orgasme avec un vibromasseur à 60 ans :

« Elle
en pleure d’émotion, et nous avec elle
. »

D’autres femmes recourent à... un
gigolo. S’il est attentionné, il peut révéler une femme à elle-même. Comme « Charles » qui estime
que « beaucoup d’hommes n’ont rien compris » :
ils devraient donner du plaisir d’abord « pour
recevoir beaucoup plus ensuite »
. Certaines ont vu en Charles leur « dernière chance ». Presque toutes
jouissent avec lui. Sans doute parce qu’il est pro et que payer a un
effet libérateur. Mais surtout parce qu’elles se laissent aller, à l’image de
cette sexagénaire ménopausée, devenue femme fontaine entre ses bras. Il leur
donne le sentiment « d’être séduisantes et
désirables »
, les aidant à (re)construire leur sexualité. Un vantard ? Elisa
Brune a interrogé des clientes. Ravies, comme celle-ci :

« Il
m’a remise sur les rails de ma féminité... »

Dans certains cas, pour des personnes
abusées dans leur enfance ou bloquées (vierges à 30 ans, 40 ans, voire 50 ans),
le recours à un sex
surrogate
(substitut sexuel) peut s’avérer précieux. Il peut suffire d’une
main posée, longtemps, immobile, sur un sexe de femme pour que celle-ci se
libère d’années de refus de son corps.

En Californie, dans quelques chapitres
très seventies, Elisa Brune assiste à des ateliers dispensés par Sandra,
dynamique salariée de The Pleasure
Chest
(BDSM, sexe oral, sexe anal), avec démonstration –habillée– et
conseils pratiques, devant un public passionné. La sexualité s’apprend.

Se connaître et prendre du plaisir

Certaines passent à la pratique, lors
de stages et ateliers. Comme celui-ci, professé par Deborah Sundhal à Schöppingen, qui permettra à une douzaine de
participantes de découvrir leur point G. L’objectif : éjaculer (1). Certaines y
parviennent, plusieurs fois, d’autres pas. Mais toutes l’ont trouvé, regardé,
caressé, apprivoisé.

Il y a, dans la sexualité, une part
d’apprentissage et de découverte, mais aussi une pratique régulière. Comme un
musicien, il s’agit de connaître son instrument pour en mesurer les
possibilités, les différents sons. Pour le point G, Deborah Sundhal recommande « vingt minutes de massage deux fois par
semaine : un minimum »
.

Il en est de même avec « le périnée (qui) est vraiment le muscle de
l’orgasme »
, affirme Laure Mourichon, kinésithérapeute et sexologue.

« On
peut le contracter pendant le rapport et faire diffuser l’excitation pour
monter par vagues, jusqu’à l’orgasme. »

Ce muscle mérite donc d’être connu. Or,
la plupart des femmes ne le découvrent que pendant un accouchement et lors de
la rééducation périnéale. Pour le
faire travailler, au service du plaisir, l’urologue Béatrice Cuzin recommande
les boules de geisha, moins chères que bien des traitements. Elles coûtent 3,5
euros et sont aussi « très utiles pour
stimuler le point G »
...

Accepter le plaisir égoïste

L’enjeu est de prendre du
plaisir. Or, nombre de femmes l’attendent.
Corinne Del Aguila-Berthelot pointe « la
déresponsabilisation des filles »
qui « croient
toujours que le Prince charmant va arriver et tout leur apporter »
.

Pour certaines, la fusion romantique
avec « le mythe de l’orgasme simultané, ce
gâchis »
(Pierre Desvaux), crée des inhibitions. Pour d’autres, le plaisir
de l’homme est une fin en soi, comme en témoigne l’essor de
la nymphoplastie
 : « Le souci des
femmes, ce n’est pas leur plaisir, c’est d’abord d’être conformes »
, déplore
Bernard-Jean Paniel (2). L’accès à la jouissance suppose une forme d’égoïsme et
aussi de s’affranchir de tabous solidement ancrés et, parfois, cela vient sur
le tard :

« Ma
vie de femme a commencé à 50 ans. Je me suis réappropriée ma sexualité qui
était jusque-là non seulement calquée sur les désirs et les attentes de
l’autre, mais qui était carrément devenue son objet (...). Etre femme, c’est
assumer toute sa sensualité, sans que cela vous transforme en putain ou en
salope. »

Avec ton partenaire, cause toujours

Savoir également que le coït n’est pas
toujours synonyme de plaisir, que le pénis ne
peut pas tout
, suppose un difficile travail sur soi.

« Les magazines féminins sont les pires pourvoyeurs de complexes, tempête Françoise
Simpère
. Vous faites
l’amour en amazone ? Mettez-vous de dos qu’il ne voie pas ballotter vos seins. C’est
criminel, des conditionnements pareils ! »

… Et un non moins difficile dialogue
avec le partenaire. Ainsi, pour qu’une femme jouisse pendant un coït, « le plus efficace, c’est qu’elle se stimule
elle-même pendant la pénétration
, estime le gynécologue Sylvain Mimoun. Mais là on touche à ce qui est souvent un
énorme tabou pour les femmes : la masturbation devant l’autre. Elles ne savent
pas le faire, ou même si elles le font, elles ne sentent plus rien. »
Sans
oublier que l’homme s’en trouvera souvent dévalorisé.

Malheureusement, dans le couple (mais
quid des couples lesbiens ?), le dialogue est rare alors qu’il est primordial.
D’abord parce que l’homme pense généralement tout savoir d’emblée et que la
femme lui en fait crédit –orgasme ou non.

Si le corps est libéré, la parole l’est
rarement. D’autant plus que le sexe à l’occidentale, dans le noir, se prête mal
à de tels échanges. Comme si la sexualité consistait « parfois à se masturber l’un avec l’autre, deux solitudes ensemble qui
n’osent pas se regarder –surtout, éteignons les lumières »
(3).

Métaphore musicale encore, pour
Béatrice Cuzin :

« Apprendre
à faire l’amour, c’est comme apprendre à jouer du violon. Il faut vouloir se
perfectionner
. »

Les silences, les non-dits
appauvrissent la vie sexuelle. On s’abstient de parler « pour finir dans une vie tout abstenue ».

L’orgasme à 70 ans

Certaines franchissent le pas, osent. C’est
sans doute ce qui frappe en refermant le livre : la résolution, voire le courage
qui anime ces femmes lorsqu’elles vont voir un médecin, un chirurgien, un gigolo,
se rendent dans un club échangiste, tentent le BDSM, ou osent tout simplement
assumer leurs désirs.

Car, si le plaisir emprunte des chemins
de traverses, plus ou moins tortueux, il n’est jamais donné. Telle a découvert
l’orgasme à 30 ans, telle autre à 45 ans, d’autres encore à 65 ans ou 70 ans !

« En Suisse, l’assistance peut concerner aussi les personnes âgées,
comme cette dame de 84 ans qui avait envie de sexe et dont les enfants se sont
cotisés pour lui offrir les services d’un assistant sexuel. »

Si la sexualité des aînés est souvent
cachée (on dit pourtant que dans les maisons de retraite, ça baise à tout-va),
c’est à tort. Comme le constate le gynécologue Serge Rozenberg, « une femme qui atteint la ménopause se
trouve seulement à la moitié de sa vie sexuelle »
. La mécanique est moins
réactive (une femme de 20 ans a besoin de « 15
secondes pour lubrifier complètement son vagin »
, ménopausée, il lui faudra « 3 à 4 minutes ») mais le corps éprouve
toujours des désirs.

Un livre érudit

Outre
les témoignages, le livre relate les dernières découvertes de la science, avec
une forme d’érudition, qui confine parfois à l’abstraction pour qui croit tout
savoir, à force d’avoir joué au docteur. En fait, on
ne sait rien.

« Le clitoris possède une tête, un coude, un tronc, une fourche,
deux jambes et deux bulbes
. »

Euh… tout ça ?

Et la suite est à l’avenant. Les érections féminines ? On se
gausse.

« Pour être internes, elles n’en sont pas moins glorieuses (...) :
les tissus érectiles engorgés d’une femme excitée ont le même volume qu’un
pénis en érection
. »

Hein ? Notre virilité en prend un coup et pourtant, on aurait pu
s’en douter, puisque « le pénis se retrouve alors engagé dans un conduit
entouré de coussins rembourrés »
.

Et si l’on commence à savoir que le sexe d’une femme est une « pelote
de nerfs »
, (8.000 terminaisons nerveuses, c’est épatant, le gland n’en a
pas tant), qui les connaît dans le détail ? Ce nerf pelvien, ce nerf
hypogastrique, ce nerf vague et ce nerf pudendal qui dessine un voile
arachnéen, comme un bas résille, surnommé le voile d’Aphrodite ?

Le point G ? De la 3D

Tous
sans doute ont leur part dans le plaisir féminin mais les études restent rares,
lacunaires. 

Ainsi
du point G, très médiatisé mais qui reste pour une large part méconnu. Ce n’est d’ailleurs pas un point, explique Helen O’Connell, mais un ensemble formé par le
plafond du vagin intérieur (près de l’entrée), le clitoris et l’éponge
para-urétrale. Le point G, c’est « une
zone 3D (qu’on devrait) appeler unité clito-urétro-vaginale »
. Et si le
point G reste souvent dormant, c’est qu’il est ignoré, à la fois lors des
découvertes masturbatoires, et lors des « coïts
qui ne visent pas spécifiquement à éveiller cette zone »
.

L’étudier reste une gageure ; Odile Buisson, gynécologue
obstétricienne, narre les difficultés rencontrées à
la fois pour financer de telles recherches et en obtenir l’autorisation (il faut
souscrire une assurance pour étudier un couple faisant l’amour !).

Il a fallu attendre 2009 pour que soit réalisée la première
échographie du clitoris
. Il n’y a aucune étude scientifique sur le rapport entre la
tonicité du périnée et le plaisir. L’orgasme vaginal, déclenché
par le nerf vague derrière le col, concernerait 2% des femmes. Il « vient quand on le cherche pas ». C’est
le mot : on ne cherche pas.


L’invité - Odile BUISSON par YVELINESPREMIERE

Vidéo avec une échographie NSFW (?) à partir de la 4e minute.

La
science balbutie, les inconnues demeurent, bien des femmes s’ignorent et
ignorent, non seulement leur sexualité mais leur sexe même. Elisa Brune prône
la fin de l’analphabétisme sexuel, appelant toute femme à prendre son plaisir
en mains, sans jeux de mots et sans complexes.

Jean-Marc
Proust

[1]
Et si, stimulation du point G oblige, les femmes
fontaines se multiplient, il n’y a « aucune
réponse scientifiquement démontrée à ce jour »
sur l’origine et la nature de
cette éjaculation. Certains souhaiteraient qu’il s’agisse d’un liquide noble,
c’est-à-dire un liquide prostatique produit par les glandes para-urétrales,
lesquelles pourtant ne permettraient qu’une éjaculation de 3 à 4 millilitres.
Il s’agit plus sûrement d’urine diluée, non chargée en toxines. Elisa Brune
suggère de l’appeler « eau de vessie »
pour la poétiser car, malheureusement, en parler ouvertement peut avoir un
effet bloquant pour les femmes fontaines, lorsqu’elles ont au contraire besoin
de totalement lâcher-prise. Pour le savoir, il faudrait « tester un grand nombre de femmes en pleine activité sexuelle dans des
conditions de laboratoire (ce qui) ne tente personne »
. Retourner à l’article

[2] L’esthétique du sexe de petite fille gagne du terrain ? « La fréquence de la chirurgie des lèvres ou
“fashion du minou” augmente de 20% par an »
, estime Bernard-Jean Paniel, qui procède
à de nombreuses interventions. L’enjeu est de préserver la fonction sexuelle,
en conservant l’intégralité du clitoris et du vestibule. Retourner à l’article

[3] Le tantrisme ouvre cette autre question : peut-on
rencontrer l’autre par le corps uniquement ? La « sexualité sans lien » (la pratique du sexe avec des inconnus) est à
l’opposé d’une culture occidentale « qui a
compacté ensemble la sexualité, le rapport, le lien, l’amour »
. Retourner à
l’article


Voir en ligne : Le plaisir (féminin) ça s’apprend

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