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Défection humanitaire

Rony Brauman | alternatives-internationales.fr | mars 2013

lundi 4 mars 2013

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Défection humanitaire
Rony Brauman | alternatives-internationales.fr | mars 2013

4790 personnes, civils et combattants ont été tuées en Syrie en 2011, 9 795 dans les six premiers mois de 2012 et 28 138 dans la seconde moitié de l’année, selon le Centre de documentation des violations du droit en Syrie. Il est probable, selon d’autres estimations, qu’il faille ajouter au moins 10 000 morts à cet effroyable bilan. Mais ce que montrent ces chiffres dans leur froideur, c’est un changement en 2012 dans le régime et l’étendue de la violence de la guerre en Syrie. Face à une répression croissante, l’autodéfense des manifestations de masse qui prévalait en 2011 a laissé place à une stratégie offensive des forces rebelles, Armée syrienne libre (ALS) comme groupes islamistes. Des quelque 700 000 réfugiés que dénombre le Haut-commissariat aux réfugiés, plus de 80 % ont fui leur pays depuis juillet 2012. On ne peut qu’être frappé par le contraste entre l’extraordinaire réactivité du Conseil de sécurité de l’ONU lors du conflit libyen et sa relative paralysie devant la guerre de Syrie. Il ne s’agit pas ici d’en appeler à une intervention armée internationale au nom de la "responsabilité de protéger" comme ce fut le cas en Libye. Outre qu’elle serait, de l’avis de tous, militairement et politiquement impossible, elle n’est demandée par aucun groupe d’opposition syrien. Que l’usage de la force soit inenvisageable n’interdit pourtant pas de fournir, à titre humanitaire, une assistance aux populations plongées dans la violence, que celles-ci se trouvent dans des zones contrôlées par le gouvernement ou les rebelles. Malheureusement, ce n’est pas le cas. L’essentiel de l’aide internationale est jusqu’à ce jour canalisé par Damas et ne bénéficie donc qu’à un seul côté du conflit. Cette aide internationale ne revêtait pas un caractère vital durant la première année d’affrontements, lorsque la violence était contenue. Des structures médicales avaient alors été utilisées par le régime pour arrêter et torturer des blessés, opposants réels ou supposés, faisant des lieux de soins un instrument de sa stratégie répressive. Néanmoins, des hôpitaux publics accueillaient la plupart des victimes, et celles qui craignaient d’y être piégées pouvaient recourir à des centres de soins clandestins mis en place par la rébellion, tandis que la nourriture et l’énergie nécessaires à la (sur)vie quotidienne restaient localement disponibles. Cette situation a changé avec la tournure prise par le conflit dès 2012. Pourtant, le profil de l’aide internationale, lui, n’a pas évolué, son périmètre d’action demeurant sous le contrôle du ministère des affaires étrangères syrien qui détermine les besoins et la coordination des secours. On ne doute pas que ceux-ci aient été fournis à des populations qui en avaient cruellement besoin et on ne met pas ici en cause la présence des agences de l’ONU et des ONG du côté du pouvoir. Celles-ci parviennent d’ailleurs à acheminer une partie - minime - de l’aide aux zones sous autorité rebelle. Cependant, les conditions de vie n’ont cessé de se détériorer sans que le dispositif de secours évolue. Les bailleurs de fonds tel Echo, l’office humanitaire de la Commission européenne et principal bailleur de fonds humanitaires, refusent de financer les ONG agissant depuis les pays voisins, au motif qu’elles n’ont pas reçu de statut officiel de la part du pays hôte. Dès lors, seuls les rares organismes financièrement indépendants des bailleurs publics, tel Médecins sans frontières (MSF), peuvent opérer en territoire syrien. Que l’impératif humanitaire ait conduit à une coalition militaire internationale en Libye, et n’ait pas même permis de favoriser le déploiement d’opérations pacifiques de secours transfrontalières en Syrie, voilà qui laisse perplexe sur les modalités de décision de Bruxelles face à des événements majeurs comme ceux-ci. Publiquement prise à partie par des députés européens ainsi que par MSF, la Commission n’a pas officiellement réagi mais semble petit à petit prendre les mesures de correction nécessaires. Au-delà de la Syrie, il serait temps qu’Echo adapte ses procédures aux exigences de terrain.

En savoir plus

Crash, Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires, de Médecins sans frontières : [msf-crash.org]


Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, est professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris et membre du Crash, Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires, de Médecins sans frontières : [msf-crash.org]


Alternatives Internationales n° 058 -
mars 2013


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