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Pour un droit à une information pluraliste.

M’PEP | m-pep.org | vendredi 22 février 2013

samedi 23 février 2013

Depuis le mois de novembre 2012 des grèves ont lieu chez Presstalis, distributeur de 70% de la presse et de l’intégralité des quotidiens, pour s’opposer à la menace de licenciement de la moitié des 2 500 salariés du groupe. Par ailleurs, la situation des kiosquiers est de plus en plus précaire. Pour comprendre la situation, un retour sur la période de la Libération (1944-1948) est nécessaire.



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Pour un droit à une information pluraliste.
M’PEP | m-pep.org | vendredi 22 février 2013

 Sommaire 

Résumé

Le contenu du programme du Conseil national de la Résistance n’a pas pris une ride quand il se fixe pour objectif, entre autre, « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ». En effet la presse, avant la guerre, notamment au moment du Front populaire, puis pendant l’Occupation, était totalement corrompue par des décennies de compromissions. Elle avait fait la démonstration de la servilité de ses propriétaires et d’une grande partie des journalistes. Certains titres de presse étaient devenus les organes de propagande de l’Allemagne nazie et du régime de Vichy.
Aujourd’hui, sous des formes différentes, la presse est tout aussi servile, dans des proportions gigantesques, vis-à-vis des classes dirigeantes dont elle est l’agent. D’ailleurs il vaut mieux utiliser l’expression « les médias  », c’est-à-dire un ensemble de moyens de communication infiniment plus vaste que la seule presse écrite – qui en fait partie – et dans lequel se placent principalement les télévisions, les radios et Internet. Les grands médias sont un instrument d’asservissement au néolibéralisme, chargé de mener la guerre idéologique. C’est pourquoi le droit à une information pluraliste et à la diversité culturelle devient un droit de l’Homme au sens plein du terme.


 Texte complet

Le contenu du programme du Conseil national de la Résistance (PCNR) n’a pas pris une seule ride quand il se fixe pour objectif « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ». Il faut, certes, replacer les éléments de ce programme dans le contexte et rappeler que ce programme avait tiré les leçons des périodes d’avant-guerre et de l’Occupation. La presse, avant la guerre, notamment au moment du Front populaire, puis pendant l’Occupation, totalement corrompue par des décennies de compromissions, avait fait la démonstration de la servilité de ses propriétaires et d’une grande partie des journalistes.

Certains titres de presse, en effet, avant la guerre et pendant l’Occupation, étaient devenus les organes de propagande de l’Allemagne nazie et du régime de Vichy, d’où le besoin d’assurer l’indépendance de la presse, notamment vis-à-vis des « influences étrangères », mais aussi vis-à-vis de l’État. Aujourd’hui, au lieu de parler de la « presse » comme le fait le PCNR, on utilisera l’expression « les médias », c’est-à-dire un ensemble de moyens de communication infiniment plus vaste que la seule presse écrite – qui en fait partie – et dans lequel se placent principalement les télévisions, les radios et Internet.
Ce secteur est évidemment traversé par des échanges économiques internationaux portant sur le capital, la fabrication des programmes, les satellites, la publicité… Mais la législation, les langues et les cultures diverses lui donnent une physionomie essentiellement nationale. L’échelon national est donc le seul où peut se réguler la concentration des médias, en vue de préserver le pluralisme et la diversité culturelle. Ceci n’empêche pas, évidemment, de prendre des décisions au niveau international si la possibilité se présente.

Les périodes noires de l’avant-guerre et de l’Occupation, où une grande partie de la presse s’est avilie, a nécessité de refonder entièrement le système à la Libération. Celui-ci n’a pu empêcher, cependant, que de grands médias se reconstituent et se concentrent, devenant aujourd’hui un instrument d’asservissement au néolibéralisme, chargé de mener la guerre idéologique. C’est pourquoi le droit à une information pluraliste et à la diversité culturelle devient un droit de l’Homme au sens plein du terme.

 I.- L’AVILISSEMENT DE LA PRESSE AVANT-GUERRE ET PENDANT L’OCCUPATION A RENDU NÉCESSAIRE LA CONSTRUCTION, A LA LIBÉRATION, D’UN SYSTÈME ENTIÈREMENT NOUVEAU POUR ASSURER LA LIBERTÉ DE LA PRESSE

En 1935, traduisant le dégout croissant que suscitait la presse et décrivant sa réalité économique et politique, l’écrivain Pierre Daix publiait un ouvrage intitulé La presse pourrie aux ordres du capital. La presse, en effet, dans une très large mesure, s’est compromise avant la guerre – notamment pendant le Front populaire – et pendant l’Occupation. C’est pourquoi, à la Libération, les résistants ont pris d’assaut les journaux collaborationnistes et s’en sont emparés, et que les « ordonnances de 1944 » puis la loi Bichet en 1947 ont établis les conditions de la liberté de la presse.

 A.- Avant-guerre : « La presse pourrie au service du capital  »

Quatre exemples peuvent illustrer le titre de l’ouvrage de Pierre Daix, ceux de L’Ami du peuple, Paris-Soir, Le Matin, et Le Temps.

 1.- L’Ami du peuple

Destiné aux classes populaires, il est lancé en 1928 par le parfumeur milliardaire d’extrême droite François Coty (1874-1934). Il reprend le nom du journal révolutionnaire fondé par Jean-Paul Marat en 1789. A la veille de la guerre de 1914, les Parfums Coty sont n° 1 dans le monde, avec des succursales à Moscou, New York, Londres et Buenos Aires (la société des Parfums Coty existe d’ailleurs toujours aujourd’hui, et détient des marques comme Jennifer Lopez, Céline Dion, les parfums Adidas, Rimmel, Lancaster…).

François Coty se lance en politique dans les années 20. Viscéralement anti-communiste, il admire le fascisme italien qu’il veut contribuer à acclimater en France. En février 1922, il prend le contrôle du Figaro. En 1927, il soutient la création de l’organisation fasciste des Croix de Feu par le Comte Maurice d’Hartois, qui s’installent au départ dans les locaux du Figaro. En 1933, il fonde son propre mouvement - Solidarité française - qui rassemble près de 10 000 adhérents et qui participe aux émeutes fascistes du 6 février 1934 à Paris.

À sa mort, son ex-femme, Yvonne Cotnaréanu, devient la première actionnaire du Figaro. Elle cède la moitié de ses actions, en 1950, à un groupe constitué autour de Jean Prouvost. En 1964, elle vend l’autre moitié au groupe Prouvost-Béghin.

 2.- Paris-Soir

Il appartient depuis 1930 à Jean Prouvost (1885-1978), le même homme que celui de L’Ami du peuple…). Il tire à 2 millions d’exemplaires en 1940, et devient le plus grand journal français, dépassant largement Le Petit Parisien.

Jean Prouvost avait repris l’entreprise familiale (Peignages Amédée Prouvost) et créé ensuite l’entreprise de filature La Lainière de Roubaix, qui devient le n° 1 de l’industrie textile européenne. À la veille de la guerre, Jean Prouvost possède aussi un magazine féminin, Marie-Claire, fondé en 1937, et un hebdomadaire illustré, Match. Ces deux publications tirent chacune à plus de 1 million d’exemplaires et réalisent, dans le monde des périodiques, une révolution comparable à celle de Paris-Soir dans le monde des quotidiens.

Durant la Seconde Guerre mondiale, Jean Prouvost devient, le 19 juin 1940, haut-commissaire à l’Information dans le gouvernement Pétain. Â la Libération, il est frappé d’ « indignité nationale », mais la Haute Cour de justice lui accorde un non-lieu en 1947.

Après cette date, Jean Prouvost entreprend la reconstruction de son empire démantelé à la Libération (Paris-Soir, devenu France-Soir, ne lui appartient plus). Match renaît sous le nom de Paris-Match et Marie-Claire reparaît en 1954. En 1950, le groupe Prouvost-Béghin rachète la moitié des actions du Figaro. En 1960, Jean Prouvost achète Télé 60 dont il fait Télé 7 jours, journal de télévision qui connaît un énorme succès (3 millions d’exemplaires en 1978). En 1966, Jean Prouvost entre dans le capital de Radio-Télé-Luxembourg. En juillet 1975, Le Figaro est vendu à Robert Hersant, tandis qu’en juin 1976, Télé 7 jours et Paris-Match passent au groupe Hachette.

 3.- Le Matin

Tiré à 300 000 exemplaires, il est dirigé par Maurice Bunau-Varilla (1856-1944). Ce dernier met le journal à la disposition de l’occupant allemand et adopte une ligne pro-nazi. Porté par une publicité efficace, Le Matin avait atteint plus d’un million d’exemplaires vers 1914 et était l’un des quatre plus grands quotidiens français d’avant-guerre.

 4.- Le Temps

Quant au journal Le Temps (l’équivalent du Monde à l’époque), il est contrôlé depuis 1929 par le Comité des forges et le Comité des houillères (équivalents d’organisations patronales comme l’Union des industries et métiers de la métallurgie – UIMM - d’aujourd’hui). Ce quotidien du soir, fondé en 1861, est accusé de recevoir des fonds secrets du ministère de l’Intérieur et d’exprimer les vues du ministère français des Affaires étrangères. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, Le Temps est à la fois l’organe du patronat et celui du Quai d’Orsay. Sous l’Occupation, il se saborde le 26 novembre 1942, deux jours après Le Figaro. Symbole trop voyant des « deux cents familles », de la IIIe République et de la capitulation de Munich, il n’est pas autorisé à reparaître à la Libération.

À la lecture de l’histoire de ces quatre journaux, représentatifs de la presse dans son ensemble, on comprend pourquoi une très grande majorité de la presse française s’oppose au Front populaire : L’Action française, L’Ami du Peuple, Le Jour, Candide, Gringoire, Je suis partout… (pour l’extrême droite) ; L’Écho de Paris, Paris-Soir, Le Matin, Le Temps… (pour la droite). Elle trouvera dans la situation économique du pays le prétexte pour se déchainer contre le Front populaire. La politique économique du Front populaire, en effet, ne parvient pas à relancer suffisamment la production et la consommation, ni à réduire le chômage. Très vite, la hausse des prix annule celle des salaires décidée par les accords Matignon. C’est une des causes de la chute du Front populaire, d’autant qu’une très grande partie de la presse allait se déchainer contre lui.

Par exemple, une campagne odieusement diffamatoire conduit Roger Salengro, ministre SFIO du Front populaire, à se suicider en novembre 1936. Il est accusé à tort de traîtrise durant la Première Guerre mondiale. Une autre campagne porte sur la « terreur rouge » en Espagne, et une autre tente de présenter, aux yeux des paysans, l’Office du blé que vient de créer le gouvernement, comme un premier pas vers la collectivisation. Convaincu que la presse fait obstacle à tout changement social, le gouvernement de Front populaire tente une réforme de la presse contre les « trusts de la presse » et les « monopoles privés de la publicité commerciale ».

Le Parti communiste français propose la nationalisation des Messageries Hachette qui détiennent le monopole de la diffusion des journaux. Le rédacteur en chef de L’Humanité, Paul Vaillant-Couturier, dénonce la « presse qui ment, la presse qui tue  », dominée par des «  trusts de journaux, journaux des trusts  ».

Léon Blum, pour la SFIO, de son côté, avait exposé (en 1928) son programme pour un service public de l’information généraliste : « Les journaux seraient publiés par les soins et sous la responsabilité des partis politiques. Il suffirait qu’un parti fût représenté au Parlement pour participer de droit au service. Le service public fournirait les locaux, le matériel d’impression, des budgets de rédaction équivalents. Il centraliserait la publicité commerciale et la perception de toutes autres recettes de publicité. Toute intrusion d’intérêts quelconques dans la rédaction serait frappée des mêmes peines que le trafic d’influence et la corruption de fonctionnaires. Le service assurerait également le transport, la distribution, la vente au détail des journaux. Bref, le handicap entre les journaux n’aurait d’autres éléments que la qualité de la rédaction, l’originalité de la présentation, et surtout la force de rayonnement du parti auquel il se rattache ». Quant à l’information télégraphique, Léon Blum voulait la placer sous le contrôle d’une organisation internationale dépendant de la Société des Nations. Ce service public serait géré par un office regroupant les représentants des journalistes, des ouvriers du Livre, de l’État et des partis, ainsi que diverses personnalités des lettres et de l’enseignement.

Pourtant, le projet de loi déposé le 26 novembre 1936 par le gouvernement de Front populaire ne prévoit pas de nationalisations : il comprend des dispositions répressives contre la diffamation et les « fausses nouvelles », ainsi que des mesures générales contre la vénalité de la presse (interdiction de distribuer des fonds secrets, obligation faite à certains périodiques d’adopter un statut de société anonyme afin de permettre de contrôler la nature de leurs ressources…), mais l’essentiel a été oublié. Paul Vaillant-Couturier déplore le silence du projet sur la question des ressources publicitaires et de la lutte antitrust. Le Sénat rejette le projet qui ne fait même pas l’objet d’une seconde lecture à son retour devant la Chambre, en janvier 1938, et finit par être enterré.

Résultat : « L’épuration de la presse » n’est pas réalisée par le Front populaire. La suite est connue : nombre de ceux qui hurlaient à la dictature de la faucille et du marteau dans leurs éditoriaux de 1936 applaudiront les défilés de croix gammées à Paris à partir de 1940. La presse corrompue deviendra collaboratrice…

 B.- La presse aux avant-postes de la collaboration

La presse française sous l’Occupation soutient très majoritairement la politique collaborationniste et antisémite de Pétain. Elle est aux mains des Allemands, qui financent certaines publications, notamment (mais pas uniquement) à travers les Éditions Le Pont. Plusieurs dizaines d’écrivains ou journalistes de renom sont des collaborateurs, parfois même rémunérés par la « Propaganda Staffel » allemande. Hormis la presse clandestine de la Résistance, deux cas peuvent être distingués : en zone Nord et en zone Sud.

La presse de la zone Nord a le « choix » entre collaborer avec l’occupant ou se saborder, cette dernière solution étant choisie par 60 % des journaux, dont L’Intransigeant, L’Aube, L’Époque, L’Ordre, Le Populaire... La presse qui demeure passe totalement sous contrôle Allemand.

Dans la presse parisienne, l’Occupant n’autorise que 40 titres (350 avant-guerre). La principale agence d’informations est allemande, et le trust allemand Hibbelen contrôle 40 % des journaux parisiens en 1942 (Le Petit Parisien, La Gerbe, Je suis partout...). La plupart des titres sont nettement engagés aux côtés des Nazis et du régime de Vichy, comme les organes des partis collaborateurs : L’œuvre de Déat, Le cri du peuple de Doriot... Les Allemands contrôlent aussi le nouveau moyen de propagande privilégié que constitue la radio (en 1940, 5 millions de récepteurs). Dès le début de l’Occupation, ils créent Radio-Paris dont le rôle s’affirme à mesure que s’intensifie « la guerre des ondes » avec la BBC.

Il y a ensuite la presse collaborationniste du gouvernement de Pétain dans la zone Sud, qui est totalement soumise au contrôle de Vichy, et collabore ouvertement avec les Nazis : Le Matin, Paris-Soir ou Le Petit Parisien (qui acclamait Pétain)… Cette presse est animée par un journalisme particulièrement servile. Les journaux reçoivent ainsi des « consignes » et des « notes d’orientation ». Un bon exemple de cette propagande officielle est fourni par la consigne du début de 1941 concernant les déplacements du maréchal Pétain en province :
« On doit éviter d’employer, pour désigner le chef de l’Etat, l’expression de ‘‘vieillard’’, même précédée d’une épithète bienveillante comme ‘‘l’illustre’’ ou ‘‘le valeureux’’. On ne doit user que le moins possible aussi de termes qui rappellent son passé militaire, tels que ‘‘l’illustre guerrier’’, ‘‘le valeureux soldat’’. Il y a cependant des circonstances pour lesquelles on peut les employer de même que celle-ci : ‘‘le vainqueur de Verdun’’. Il convient en revanche, de faire ressortir tout ce qui montre la vigueur physique et morale du Maréchal, la bienveillance naturelle de son caractère, sa lucidité, l’intérêt qu’il porte à tous les problèmes… Il n’est pas nécessaire de décrire ces qualités, mais il y a lieu de les montrer en action en faisant parler les faits, comme incidemment.
Exemples :

  • le Maréchal s’avance d’un pas alerte et rapide… ;
  • il prend le plus vif intérêt aux explications qui lui sont données ;
  • il accueille avec sollicitude les délégations »…

Cette situation fait dire à Léon Blum, en 1941 depuis sa prison : « On ne peut pas évoquer sans honte le tableau de la grande presse en France pendant ces vingt dernières années, et l’on ne saurait disconvenir sans mauvaise foi que sa vénalité presque générale, traduite à la fois par une déchéance morale et par une déchéance technique, n’ait été un foyer d’infection pour le pays tout entier. »

 1.- L’antisémitisme

L’antisémitisme, en effet, est comme une seconde nature pour cette presse. A Paris, la presse est libérée de toute contrainte morale à partir du 27 août 1940 par l’abrogation du décret-loi Marchandeau. Ce dernier, du 21 avril 1939, réprimait la diffamation commise par voie de presse envers « un groupe de personnes appartenant par leur origine à une race ou à une religion déterminée » dans le but « d’exciter à la haine entre les citoyens ou les habitants ». Dès l’abrogation de ce décret-loi, des torrents de haine antisémite vont se déverser avec une violence que l’on a peine à imaginer aujourd’hui : « Mort au juif ! Mort à la vilenie, à la duplicité, à la ruse juive ! Mort à l’argument juif ! Mort à l’usure juive ! Mort à la démagogie juive ! Mort à tout ce qui est faux, laid, sale, répugnant, négroïde, métissé, juif ! C’est le dernier recours des hommes blancs traqués, volés, dépouillés, assassinés par les sémites, et qui retrouvent la force de se dégager de l’abominable étreinte… Mort ! Mort au juif ! Oui. Répétons. Répétons-le ! Mort ! M.O.R.T. AU JUIF !  » (Le Matin, 9 avril 1942).

De son côté, le journal Le Pilori écrit par exemple en 1941 : « le Juif n’est pas un homme, c’est une bête puante : on se débarrasse des poux, on se défend contre le mal, donc contre les Juifs ». Le journal tient des propos infamants sur les médecins juifs et appelle à un mouvement de boycottage contre eux en livrant à chacune de ses parutions une liste nominative : « Tzanck est un être immonde, un juif de la plus basse et dégoutante espèce, un porc enragé, une bave ». Les Juifs sont accusés de tous les maux et de toutes les manipulations avec une paranoïa qui relève du délire : ce sont des « Anglais », des « Américains », des « communistes », des « capitalistes  », des « résistants  », des « gaullistes  »…

 2.- Les compromissions de l’édition

Il convient également d’évoquer le domaine de l’édition. Dès la défaite, deux maisons d’édition sont immédiatement fermées à cause de leurs publications antinazies de la période d’avant-guerre : les Éditions Denoël et les Éditions Sorlot. Celles qui ont des patrons juifs sont rapidement fermées, comme Calmann-Lévy et Ferenczi, toutes les deux « aryanisées » et réapparues sous les noms respectifs des « Éditions Balzac » et des « Éditions du Livre moderne », collaborationnistes et sous emprise allemande. Un « bureau » est mis en place sous la direction de la « Propaganda-Abteilung », qui s’occupe notamment de l’édition (le « Gruppe Schrifttum »). Il établit une liste de 143 textes non désirables. Lors d’un raid effectué dans les librairies de Paris le 27 août 1940, plus de 20 000 ouvrages sont confisqués. Une liste d’interdiction de certains livres scolaires est établie le 30 juillet 1940. Lors d’un autre raid, le 23 septembre 1940, au cours duquel 70 éditeurs sont visités, 713 382 livres sont saisis, 11 maisons d’édition sont fermées.

Les éditeurs, notamment pour des raisons « économiques  », désirent un retour à l’état « normal  », et se déclarent prêts à « négocier  » avec l’Occupant pour débloquer la situation. Bernard Grasset prend l’initiative pour négocier les conditions d’une reprise de l’activité éditoriale. Le résultat est la « convention d’auto-censure  », signée par le président du syndicat des éditeurs (René Philippon), et selon laquelle les éditeurs sont « libres  » de publier ce qu’ils veulent, à condition de ne rien publier qui puisse nuire aux intérêts allemands. Cette convention fonctionne jusqu’en avril 1942 et permet aux éditeurs de poursuivre leur activité à peu près normalement. Elle permet aussi aux autorités allemandes de rejeter la responsabilité de la censure sur les éditeurs et de déclarer que se sont les éditeurs eux-mêmes qui ont « assaini » la littérature.

Une nouvelle liste est établie, la liste « Otto », du nom de l’ambassadeur Otto Abetz, qui comprend 1 060 ouvrages « antiallemands  » ou « subversifs  ». C’est le chef du service des librairies à Hachette, Henri Filipacchi, qui a établi la première liste « Otto » après une enquête chez les éditeurs…

 C.- A la Libération, construction d’un système entièrement nouveau pour assurer la liberté de la presse

La fin de la guerre est marquée par la prise d’assaut des journaux collaborationnistes, les « ordonnances de 1944  » et la loi Bichet en 1947.

 1.- A la Libération, prise d’assaut des journaux collaborationnistes

La presse clandestine de la Résistance sort de l’ombre en août 1944 lors de la Libération de Paris. La capitale est alors le théâtre d’affrontements quand les journaux de la Résistance commencent à y paraître au grand jour, dès le 21 août, mais surtout à partir du 22, après qu’ils aient investi les salles de rédaction et les imprimeries de la presse de la collaboration, abandonnées depuis le 17 août avec leurs stocks de papier journal.

Le vendredi 18 août 1944, la presse collaborationniste cesse de paraître, comme la Radio Nationale qui a interrompu ses émissions la veille. Les journaux collaborationnistes La Gerbe (rue des Pyramides) ; Je suis partout (rue de Rivoli) ; L’Intransigeant (rue Réaumur), sont occupés par des résistants. Les chefs FFI s’adressent à la population par voie d’affiches placardées sur les murs ou par tracts distribués dans la rue.

Le 20 août, à 8 heures du matin, un petit groupe de résistants, journalistes (essentiellement d’anciens rédacteurs d’Havas) et universitaires, fait irruption, place de la Bourse, dans les locaux des bureaux de l’ancienne agence Havas, devenue sous Vichy l’Office français d’information (OFI), le neutralise, et donne naissance à l’Agence France presse (AFP). Par téléphone, des contacts sont pris avec les équipes des journaux clandestins qui s’apprêtent à paraître au grand jour. À 11h30, la première dépêche AFP sort de la salle des ronéos. Jusqu’à la fin des combats dans Paris, les dépêches sont tirées sur des ronéos rudimentaires et distribuées par des cyclistes aux journaux et au poste de commandement de la Résistance.

Les rédacteurs des journaux de la Résistance occupent les locaux d’autres journaux de la collaboration. Ce Soir, Le Front National pour la Lutte, La Libération et l’Indépendance de la France se partagent l’immeuble de Paris-Soir (rue du Louvre) ; Combat, Franc-Tireur, Défense de la France (rebaptisé France-Soir en novembre 1944), celui de L’Intransigeant (rue Réaumur), journal qui s’était sabordé en 1940 et dont les locaux avaient été occupés par le journal allemand Parizer Zeitung. Le Populaire s’installe dans l’immeuble du Matin (angle du boulevard Poissonnière et de la rue du Faubourg-Poissonnière) ; L’Humanité et Le Parisien Libéré (qui deviendra Le Parisien en 1986) remplacent Le Petit Parisien (rue d’Enghien) ; L’Aube, sabordée en juin 1940, s’installe chez le journal collaborationniste Aujourd’hui. Dans la nuit, le central de radio-diffusion, rue de Grenelle, est occupé. Les émissions radio clandestines sont alors diffusées, notamment l’appel aux armes.

Lundi 21 août 1944, la « guerre des toits » débute entre les insurgés et les Allemands. Dans l’après-midi, l’Humanité et les journaux de la Résistance paraissent au grand jour après s’être emparés, la veille, des sièges et du matériel des journaux de la collaboration. À 19h30, Rol-Tanguy, commandant des FFI, fait afficher l’ordre de dresser des barricades. Les parisiens peuvent alors découvrir les nouveaux journaux de la Libération, réduits à une feuille imprimée recto-verso pour cause de rationnement de papier. On peut y lire des listes de blessés et de tués, des appels à l’insurrection et à la lutte, la relation des combats dans la ville, la recette du cocktail Molotov, des conseils pour construire une barricade et se livrer aux combats de rues, des renseignements sur les coupures de gaz et la reprise du métro, les premières arrestations de collaborateurs, des menaces envers les pillards, des avis de recherches... et assez vite les premières rencontres sportives et les résultats des courses à Longchamp.

Le 23 août dans l’après-midi, la radio diffuse son premier reportage en direct. Les reportages en direct suivent alors : le discours de Bidault à l’Hôtel de Ville, le 25 août au soir ; l’entrée de la 2e DB ; le défilé sur les Champs-Élysées... La BBC n’a plus le monopole des messages. Le drapeau tricolore flotte sur l’antenne de la tour Eiffel.

En province, les journaux parus sous l’Occupation disparaissent : Ouest-France remplace Ouest-Éclair à Rennes ; Sud-Ouest se substitue à La Petite Gironde à Bordeaux ; Midi-Libre succède à L’Éclair à Montpellier ; etc. La presse de la Libération est foisonnante. Elle est fortement politisée (les quotidiens communistes et socialistes représentent la moitié des tirages). Les grands quotidiens nationaux sont alors : L’Humanité (communiste), Le Populaire (socialiste), L’Aube (démocrate-chrétien), Le Figaro, Le Soir, La Croix (catholiques). S’y ajoutent un certain nombre de titres issus de la clandestinité : Combat, Défense de la France (qui devient France-Soir), Franc-Tireur, Front National, Libération, Le Parisien Libéré, L’Aurore, Paris-Presse, Le Monde, Les Échos. Il faut mentionner aussi deux hebdomadaires importants : Témoignage Chrétien et le Canard enchainé, qui reparaît.

 2.- Les ordonnances de 1944 établissent la liberté de la presse

Alors que la France n’est pas encore totalement libérée, le Comité français de la Libération rédige, depuis Alger d’abord, et à Paris ensuite, ce que les historiens appellent « les ordonnances de 1944 ». Une « ordonnance » est une compétence du Parlement déléguée au gouvernement. Ces ordonnances sont composées d’un ensemble de textes juridiques (arrêtés ministériels, décrets, ordonnances, lois), édictés entre mai et novembre 1944.

L’heure est à l’épuration des titres de presse et des hommes ayant été compromis pendant l’Occupation. En 1944, Albert Bayet, président socialiste de la Fédération nationale de la presse française (FNPF) née dans la clandestinité, souhaite ainsi « éliminer définitivement la presse pourrie et instituer un nouveau régime grâce auquel la presse patriote, affranchie de la puissance de l’État et de l’argent, pourrait se vouer exclusivement au service désintéressé des idées ». Pour lui, « la presse n’est pas un instrument de profit commercial. C’est un instrument de culture. Sa mission est de donner des informations exactes, de défendre des idées, de servir la cause du progrès humain. La presse ne peut remplir sa mission que dans la liberté et par la liberté. La presse est libre lorsqu’elle ne dépend ni du gouvernement, ni des puissances d’argent, mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs  ». C’est ainsi que la Fédération Nationale de la Presse Française jette les bases de la reconstruction d’une presse écrite libre et indépendante.

La presse est donc épurée. Les journaux ayant continué à paraître sous contrôle allemand sont supprimés. Patrons et journalistes ayant collaboré sont jugés : Brasillach, rédacteur en chef de Je Suis partout, est exécuté. Les biens des journaux interdits sont placés sous séquestre et confiés à la Société Nationale des Entreprises de Presse (SNEP) qui les loue aux journaux autorisés.

Les « ordonnances de 1944 », qui posent les bases du pluralisme de la presse, visent quatre objectifs :

D’une part, assurer l’indépendance de la presse contre l’influence ouverte ou occulte des puissances financières et des gouvernements étrangers.

D’autre part, résoudre le problème de la diffamation qui a conduit au suicide du ministre de l’Intérieur, Roger Salengro, en novembre 1936, après une campagne calomnieuse menée par la presse d’extrême droite. Il faut également résoudre le problème de la corruption absolue des patrons de presse et des journalistes d’avant-guerre et de l’Occupation.

Enfin, organiser la transparence. Les journaux devront afficher le nom des responsables, publier régulièrement leurs budgets et les chiffres de leur diffusion, indiquer leurs tarifs de publicité. Les actions seront nominatives. Lors de son congrès d’Amiens, en juillet 1933, la Ligue des droits de l’homme avait en effet préconisé la « publication obligatoire par les journaux des noms de leurs principaux actionnaires ».

En dernier lieu, le pluralisme devra être garanti par la limitation des concentrations, qu’elles soient verticales (du papier à la distribution) ou horizontales (nul ne peut, par exemple, diriger plus d’un quotidien). Le monopole détenu par Havas sur les actualités sera brisé par la création de l’Agence France presse, et l’Agence Havas de publicité sera contrôlée par l’État. En matière de diffusion, le monopole de Hachette sera lui aussi brisé, ses biens réquisitionnés et mis gratuitement à la disposition d’un groupement de fait, la Société Nationale de Distribution de Journaux et de Publications, devenue en septembre 1944 une société commerciale, les Messageries Françaises de Presse (MFP). Les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (NMPP) sont créées en 1947 sous forme de coopérative de presse. Par ailleurs, la Société Nationale des Entreprises de Presse (SNEP), établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), administre les biens saisis des titres ayant paru pendant l’Occupation.

Les ordonnances sont les suivantes :

  • L’ordonnance du 6 mai 1944, relative à la répression des délits de presse, rétablit la liberté de la presse.
  • L’ordonnance du 22 août 1944 fixe des critères pour la réorganisation de la presse.
  • L’ordonnance du 26 août 1944 interdit la reparution des journaux publiés sous le contrôle allemand, après juin 1940 en zone Nord, et novembre 1942 en zone Sud. Leurs biens sont concédés à la presse de la Résistance. Elle traite de la transparence financière des entreprises de presse (la presse doit devenir « une maison de verre  »), et interdit à une seule et même personne d’être à la tête de plusieurs journaux. Elle ambitionne de sanctuariser la presse vis-à-vis des puissances de l’argent et de l’influence de l’État, tout en assurant l’indépendance des journaux. Le texte rend impossible l’utilisation de prête-noms puisque les actions doivent être nominatives. Obligation est faite de faire connaître au public la composition du capital des sociétés éditrices ainsi que les noms et qualités de ceux qui en ont, en droit ou en fait, la direction.
  • L’ordonnance du 30 septembre 1944 crée, à titre provisoire, l’Agence France-Presse (AFP) destinée à remplacer l’OFI de Vichy. Des modalités d’interdiction de parution sont fixées pour les titres ayant continué de paraître normalement après le 25 juin 1940, leurs équipements et leurs locaux sont réquisitionnés et attribués aux nouvelles publications, moyennant indemnités.
  • L’ordonnance du 25 novembre 1944 donne au ministre de l’Information le droit de fixer par arrêté, jusqu’à la fin de la guerre, le prix de vente des publications, leur format et leur périodicité, ainsi que la répartition, entre les titres, des maigres contingents de papier disponibles.

Les ordonnances de 1944 connaissent cependant des limites dont la principale est l’absence de prise en compte de la presse spécialisée. Un clivage apparaît entre deux types de presse : les quotidiens et hebdomadaires d’information politique très encadrés ; et la presse spécialisée totalement libre. Les investisseurs seront très attirés par ce dernier secteur, délaissent la presse quotidienne, provoquant une sous-capitalisation des entreprises de presse françaises dont les structures évoluent très lentement. Elle perd peu à peu son lectorat traditionnel.

Cette situation va permettre de favoriser la constitution de groupes tels Hachette et Hersant, d’autant que de Gaulle n’avait pas signé les décrets d’application des ordonnances de 1944. Ces dernières seront même abrogées par la droite RPR-UDF le 18 juin 1986 dans le cadre de la discussion de la loi Léotard sur la presse, ce qui devait encore favoriser la concentration de la presse.

Pourtant, traduisant bien l’état d’esprit de l’époque, la Fédération Nationale de la Presse Française (FNPF) avait adopté, le 24 novembre 1945, une « Déclaration des droits et des devoirs de la presse » selon laquelle « la presse n’est pas un instrument d’objet commercial mais un instrument de culture ». Celle-ci n’est libre que lorsqu’elle ne dépend « ni du gouvernement ni des puissances d’argent, mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs ». Elle a pour mission de « donner des informations exactes, défendre des idées, servir la cause du progrès humain ». La presse est alors conçue comme une sorte de service public.

 3.- La loi Bichet conforte en 1947 la liberté de la presse

Avec la loi du 2 avril 1947, dite « loi Bichet  », du nom de son rapporteur Robert Bichet, la France devient le seul pays au monde où la liberté de distribution de la presse est inscrite dans la loi. Dans les autres pays, la distribution relève du contrat commercial. Dans ce dernier cas, le refus de distribuer un journal est donc possible, et c’est pourquoi des éditeurs français voulant s’implanter à l’étranger ont été contraints de négocier des accords localement pour avoir accès à une distribution efficace. A contrario, cela explique pourquoi des groupes étrangers ont pu acquérir sans difficulté des positions importantes en France.

La loi Bichet permet à chaque éditeur, quelle que soient sa taille et son influence, d’avoir l’assurance d’être distribué, sauf dans les cas d’interdiction édictés par le ministère de l’Intérieur. C’est un système coopératif de distribution de la presse qui a été longtemps en vigueur comme socle mutualiste de la presse française. La loi n° 47-585 du 2 avril 1947 « relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques  » (loi Bichet) prévoit donc l’égalité de traitement entre journaux ; l’impartialité ; la mise en commun des moyens ; la péréquation des coûts et des tarifs ; la solidarité entre titres rentables et titres moins rentables. Elle assure la liberté de la presse et la formation d’une opinion libre dans un espace public pluraliste et diversifié. Elle édicte un certain nombre de principes fondamentaux :

 a.- Liberté de diffusion

L’article 1er stipule que : « la diffusion de la presse imprimée est libre. Toute entreprise de presse est libre d’assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu’elle jugera les plus convenables à cet effet ». Les éditeurs peuvent choisir un ou plusieurs modes de distribution : la vente au numéro ; l’abonnement postal ; le portage à domicile. Dans le cadre de la vente au numéro, l’éditeur peut choisir de se grouper avec d’autres éditeurs (par le biais d’une coopérative) ou se distribuer directement (cas par exemple de la presse régionale et locale).

 b.- Egalité entre les éditeurs membres d’une coopérative

L’article 2 de la loi Bichet prévoit que « le groupage et la distribution de plusieurs journaux et publications périodiques ne peuvent être assurés que par des sociétés coopératives de messageries de presse soumises aux dispositions de la présente loi  ». L’éditeur qui souhaite voir son ou ses titres de presse distribués dans le réseau de vente autrement que par lui-même, doit adhérer obligatoirement à une coopérative existante ou constituer une coopérative. Le système coopératif garantit une égalité de traitement de distribution entre tous les éditeurs. À l’intérieur d’une coopérative, les décisions ne sont pas prises proportionnellement au poids économique ou financier de l’éditeur, mais selon le principe coopératif d’égalité entre ses membres (un éditeur = une voix). Un petit éditeur peut avoir à sa disposition les mêmes moyens de distribution qu’un éditeur plus important, quel que soit son volume de diffusion.

 c.- Impartialité de la distribution

L’article 6 prévoit que « devra être obligatoirement admis dans la société coopérative tout journal ou périodique qui offrira de conclure avec la société un contrat de transport (ou de groupage de distribution) ». L’adhésion d’un éditeur à une coopérative d’éditeurs ne peut donc être refusée. Tout éditeur qui adhère à une coopérative a le droit d’être distribué et diffusé dans les mêmes conditions que tout autre éditeur membre d’une coopérative. Les éditeurs peuvent décider des quantités d’exemplaires à mettre en vente dans le réseau de diffusion, car ils restent propriétaires de leur « papier » jusqu’à l’acte final d’achat par le consommateur. Le système de distribution prévoit la reprise par l’éditeur des exemplaires invendus.

Pour renforcer cette impartialité et garantir l’application de la loi, il a été institué un Conseil Supérieur des Messageries de Presse (CSMP) qui a pour mission essentielle de coordonner l’emploi des moyens de transports à longue distance utilisés par les sociétés coopératives de messageries de presse, de faciliter l’application de la loi et d’assurer le contrôle comptable des coopératives et des messageries.

La loi Bichet donne naissance aux Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (NMPP), à Rhône-Alpes Diffusion (RAD) et aux Messageries d’Art et d’Élégance, tandis que les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) et Transport Presse (TP), déjà existantes, adaptent leurs statuts. Le réseau national de points de vente en 1947 compte près de 40 000 points, dont 3 000 à Paris.

 II.- LES GRANDS MEDIAS D’AUJOURD’HUI : INSTRUMENTS DE LA GUERRE IDÉOLOGIQUE

 A.- Empêcher le pluralisme, favoriser la pensée unique

Le système médiatique, contrôlé par une poignée de groupes privés disposant de supports variés, empêche tout pluralisme de l’information et des débats, tente de formater les esprits et de diffuser une pensée unique d’inspiration néolibérale. Les exemples de falsifications ou de mensonges sont innombrables.
Ainsi, lors des guerres du Golfe en 1991, du Kosovo en 1999, et d’Afghanistan en 2001, les principaux médias français ont apporté à la propagande des grandes puissances coalisées et aux États-Unis en particulier, tout le soutien dont ils étaient capables.

En 1999 et 2000, les médias ont joué un rôle majeur dans la promotion de la « nouvelle économie » et dans la bulle financière qui l’a accompagnée. Les propriétaires de médias avaient intérêt à entretenir la frénésie boursière car elle leur rapportait directement.

Lors de l’élection présidentielle de 2002, les médias ont organisé un matraquage racoleur sur le thème de l’ « insécurité » qui visait d’abord à accroître l’audimat. Avec le recul, il est cependant difficile pour les journalistes de continuer à prétendre qu’ils ignorent encore les conséquences politiques et sociales de ce choix commercial. Dans la presse écrite et audiovisuelle française, ce thème de « l’insécurité » avait été deux fois plus médiatisé que celui de l’emploi et huit fois plus que celui du chômage au cours du mois de mars 2002, quelques semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle. Parallèlement, le traitement journalistique avait escamoté les questions relatives à l’insécurité sociale et économique (accidents du travail, infractions aux lois du travail, maladies professionnelles, chômage et précarité…).

Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase est la campagne référendaire de 2005 sur le Traité constitutionnel européen. En effet, tous les records de mauvaise foi, de tricherie et d’arrogance ont été battus par les grands médias :

Entre le 1er janvier et le 31 mars 2005, toutes émissions de télévision confondues (journaux télévisés, émissions politiques, émissions de divertissement), 71 % des intervenants étaient favorables au « oui ». Dans les journaux télévisés, les défenseurs de la Constitution européenne ont accaparé 73 % du temps de parole. Même répartition pour « Question ouverte » (France 2), « Face à la Une » (TF1), « Le Vrai journal » de Karl Zéro (Canal plus) où le nombre d’intervenants favorables au « non » était de 33 %, contre 67 % aux intervenants favorables au « oui  ». A « France Europe Express  » (France 3), 30 % des intervenants étaient favorables au « non  » et 70 % étaient favorables au « oui  ».

Le Président de la République a pu organiser un show télévisé à la gloire du « oui » (que le CSA n’a pas comptabilisé dans le temps de parole du « oui »), où il a été interrogé par des patrons d’entreprises privées aux salaires astronomiques (Jean-Luc Delarue, Marc-Olivier Fogiel), plutôt que par des journalistes professionnels. Partout ailleurs, à la télévision comme à la radio, le biais des questions posées par les journalistes était tel que l’on était d’emblée dans un climat d’hostilité quand s’exprimaient les défenseurs du « non », alors que la prévenance était de mise pour les partisans du « oui  ».

Des journalistes (Quentin Dickinson, correspondant permanent de France-Inter à Bruxelles) ; des chroniqueurs (Bernard Guetta, chroniqueur à France-Inter et l’Express ou Alain Duhamel, chroniqueur à RTL, Libération, Le Point, Nice-Matin, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Le Courrier de l’Ouest) ; des présentateurs (Laurent Ruquier, présentateur sur France 2) ; ou des patrons de presse (Laure Adler, directrice de France-Culture ou Jean-Pierre Elkabbach, nouveau patron d’Europe 1, nommé directement par Arnaud Lagardère), ont pris ouvertement position pour le « oui  ».

La quasi-totalité des titres de la presse écrite a fait campagne pour le « oui  » (Le Monde, Libération, Le Point, Le Nouvel Observateur, Paris-Match, etc.) et s’est comportée comme des acteurs politiques partisans. Le journal Les Échos, par exemple, du 17 au 23 février, a publié 23 articles, brèves, entrefilets, chroniques relatifs au référendum. Le « oui » a été mentionné 18 fois (78 %). Le « non » a été systématiquement traité à partir du camp du « oui  » ; il a été présenté comme un risque car serait négatif et tournerait le dos à l’Europe. Quand il était mentionné, il était quasiment toujours représenté par le « non  » de droite ou d’extrême droite. Le journal Le Figaro, pendant la même période, n’a mentionné qu’une fois le « non  », représenté par Charles Pasqua…

L’émission « Question directe  », sur France-Inter, entre septembre 2004 et avril 2005, a invité 16 fois le Parti socialiste (dont 4 membres seulement favorables au « non  ») ; 15 fois l’UMP ; 6 fois l’UDF ; 2 fois le PCF ; 1 fois les Verts (dont le représentant était favorable au « oui ») ; 1 fois Philippe de Villiers. Au total : 34 personnalités favorables au « oui » et 6 favorables au « non  ». L’émission « Respublica  », sur France-Inter, entre mai 2004 et avril 2005, a invité 9 fois le PS (dont 2 représentants favorables au « non ») ; 11 fois l’UMP ; 3 fois l’UDF ; 2 fois le PCF ; 3 fois les Verts (tous les représentants étaient favorables au « oui  ») ; 1 fois le MRC ; 1 fois la LCR. Au total : 24 personnalités favorables au « oui » et 7 favorables au « non ».

Ces quelques exemples, collectés par l’association ACRIMED, témoignent d’une parodie de débat démocratique et d’un mépris affiché des millions d’électrices et d’électeurs – majoritaires dans le pays - qui ont voté pour le « non ». Les électeurs, en 2005, en se prononçant majoritairement contre le Traité constitutionnel européen, ont en même temps infligé un désaveu à toutes les institutions qui se sont mobilisées en faveur de l’adoption de ce Traité. Pourtant, on n’a rien observé qui vienne remettre en question la débâcle des médias dominants. Les chroniqueurs et éditorialistes, donneurs de leçon à tous vents et spécialistes de l’autocritique des autres, ne se sont pas interrogés sur leur implication et sur celles des médias qu’ils orientent…

En 2007, encore sur la question européenne, la quasi-totalité des médias et des éditorialistes se sont réjouis du recours à une procédure parlementaire de ratification et non à un référendum. Toujours prompts à donner des leçons de démocratie, ils se sont félicités que les gouvernements n’aient pas envisagé de commettre l’irréparable : soumettre le nouveau texte à référendum. L’élite médiatique a considéré le choix de la procédure parlementaire comme le meilleur, le rôle des éditorialistes était donc de concourir à une indispensable « pédagogie »… Il est vrai que déjà, en 1992, lors du référendum sur le Traité de Maastricht, tous les grands médias s’étaient prononcés « pour » et avaient mené campagne.

Cette absence organisée et systématique de pluralisme dans l’information et le débat politique, et cette volonté d’imposer le néolibéralisme comme pensée unique ont une cause : la propriété privée des grands médias par des groupes capitalistes de plus en plus concentrés. Cette situation leur permet de recruter des journalistes triés sur le volet sur des bases idéologiques, ne laissant que peu de place à des journalistes « atypiques ».

 B.- L’action des grands médias pour fabriquer l’ « homme de marché »

Les formes de propriété et de financement des grands médias, leurs hiérarchies rédactionnelles et orientations éditoriales sont conçues pour les transformer en instruments de campagnes commerciales, politiques et idéologiques. Celui qui a peut-être le mieux résumé la situation est Patrick Le Lay, ex-PDG de TF1, interrogé parmi d’autres patrons dans un livre intitulé Les dirigeants face au changement (Éditions du Huitième jour). Il y affirme : « dans une perspective ‘‘business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit [...]. Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible [...]. Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise. »

Tout est dit… le choix des émissions et leur contenu doivent donc réunir un certain nombre de critères propres à contribuer à fabriquer l’ « homme de marché », c’est-à-dire un individu dont le cerveau aura été rendu « disponible » à la pénétration marchande. Les enfants auront été préparés par l’école, les adultes par l’entreprise via les « techniques de management  », tous seront formatés par les grands médias :

  • diffusion d’émissions dont les sujets alimentent une « pensée de marché » ;
  • présentation déformée de la réalité qui masque l’existence des ouvriers et plus généralement des classes populaires, ainsi que les luttes sociales ;
  • traitement de plus en plus épisodique et superficiel de l’international, parce que peu « vendeur » en termes d’audience, alors même que le discours médiatique ne cesse d’invoquer la « mondialisation », la « complexité », le « métissage » et le « multiculturalisme » ;
  • inflation du temps consacré aux faits divers, à l’actualité sportive, à la météo et à certains spectacles, en raison du rôle consensuel et fédérateur d’audiences de ces émissions ;
  • réduction de la place du politique dans l’information ;
  • invasion de la publicité qui affecte désormais directement l’information elle-même ;
  • imposition, dans le débat public, par l’occupation de la scène intellectuelle par des « penseurs » qui se consacrent aux médias (Pascal Bruckner, Alain Finkelkraut, Bernard-Henry Lévy, Alain Minc…) de schèmes de pensée et de thèmes obligés ;
  • priorité donnée à ce qui est jugé « nouveau » (« nouveaux mouvements sociaux »…) au détriment des mobilisations « traditionnelles » (perçues comme « archaïques »…) ;
  • sélection des mouvements contestataires qui seront traités avec sympathie ou au contraire dénigrés par les médias, ces derniers choisissant aussi les porte-parole de ces mouvements, s’ils sont les plus conformes à leurs attentes (Bové, Besancenot…) : avoir montré leur disposition à se soumettre aux exigences professionnelles des journalistes (être disponible, accepter de se plier à leurs thèmes…). L’autorité militante basée sur l’expérience, le courage, le savoir-faire, l’aptitude à payer de sa personne, est alors remplacée par une notoriété médiatique artificielle, appuyée par des talents de communication (cas de la désignation de Ségolène Royal comme candidate du Parti socialiste à l’élection présidentielle de 2007, qui avait été préalablement désignée par les grands médias néolibéraux).

Pour parvenir à ces objectifs, les grands médias délèguent la formation des journalistes à leurs futurs employeurs. Ces derniers choisissent l’établissement auquel ils versent leur taxe d’apprentissage, déterminent l’admission des élèves en siégeant dans les jurys d’entrée, au conseil d’administration des écoles privées (au Centre de Formation des Journalistes : Vivendi, Le Monde, L’Usine nouvelle). Ces écoles ont souvent pour souci prioritaire, non pas de préparer à une information citoyenne, mais de s’adapter aux « besoins des recruteurs », de savoir « répondre aux évolutions du marché » et aux « nouvelles demandes des entreprises ». L’enseignement s’en ressent, nombre d’étudiants en souffrent : la culture générale a fondu, aucune critique de l’ordre médiatique ne subsiste…

Au total, les grands médias sont un outil d’acclimatation idéologique, ils mènent une « politique de la dépolitisation » afin de conforter les valeurs conservatrices. Ils entretiennent aussi des réseaux de connivence entre journalistes et essayistes néolibéraux ou socio-libéraux, responsables politiques et hommes d’affaires.

La lutte contre la domination de ces médias doit être menée, notamment en diffusant par tous les moyens possibles (tracts, conférences, affichage, Internet, ouvrages, décryptage des émissions…) les chiffres, les faits et les analyses des effets des politiques de mondialisation dans le domaine de l’information. Nombre de journalistes expriment un jugement très sévère sur leur pratique, et vivent de plus en plus mal la contradiction entre les valeurs qu’ils revendiquent et les contraintes qu’ils subissent. C’est pourquoi le M’PEP soutient les syndicats de journalistes et les sociétés de rédacteurs, et relaie leurs critiques et leurs propositions quand ils se battent pour imposer une information libérée des contraintes du rendement et des soumissions aux préférences des propriétaires de médias, et pour contrer la répression antisyndicale qui existe dans ce secteur comme ailleurs.





Voir en ligne : Pour un droit à une information pluraliste.

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