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On peut plus rien dire !

Faysal Riad, Lalla Kowska-Régnier, Pierre Tevanian | lmsi.net | lundi 7 janvier 2013

lundi 7 janvier 2013

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On peut plus rien dire !
Faysal Riad, Lalla Kowska-Régnier, Pierre Tevanian | lmsi.net | lundi 7 janvier 2013

Brève réflexion sur l’homophobie, l’islamophobie et la police du langage

« Pensée unique », « dictature du politiquement correct », « interdiction de critiquer l’islam », « injonction » à soutenir le mariage homo... On ne compte plus, ces derniers temps, les délires paranoïaques sur la police de la pensée et du langage que feraient régner, en France, des minorités toutes-puissantes... On a déjà parlé de cela sur ce site, mais il nous prend l’envie d’en reparler.


C’est tout de même incroyable : si on dénigre la lutte pour le droit au mariage et à la parentalité pour les homos, on se fait tout de suite traiter d’homophobe ! Alors qu’on peut très bien respecter les homosexuels en tant que personnes tout en exprimant des critiques sur l’affichage public de l’homosexualité, sur le coming out, sur la gay pride, sur la revendication du droit au mariage… Ce n’est pas parce qu’on dénonce une certaine affirmation identitaire homosexuelle, sa politisation, son prosélytisme ou son caractère impérialiste, qu’on est homophobe !

C’est tout de même incroyable : si on dénigre la revendication du port du voile à l’école ou dans l’espace public, on se fait tout de suite traiter d’islamophobe ! Alors qu’on peut très bien respecter les musulmans en tant que personnes tout en exprimant des critiques sur l’affichage public de la religion, par exemple sur le port du voile à l’école, au travail ou dans la rue… Ce n’est pas parce qu’on dénonce une certaine affirmation identitaire musulmane, sa politisation, son prosélytisme et sa tendance à envahir l’espace public, qu’on est islamophobe !

Vous l’aurez peut-être compris : ce qui précède n’est pas notre pensée, mais ce que nous entendons ou lisons un peu partout en ce moment, des plateaux télé aux discussions de machine à café, en passant par l’éditocratie mainstream et les murs facebook – et s’il fallait commenter, nous dirions que c’est à moitié vrai, à moitié faux.

A moitié vrai parce qu’effectivement les discours ci-dessus sont parfois taxés d’homophobes (pour les premiers) et d’islamophobes (pour les seconds).

A moitié faux parce que c’est encore très loin d’être systématique. La vérité, c’est qu’aujourd’hui, un peu partout, on peut très bien dénigrer la revendication d’égalité des droits pour les homos, en invoquant les raisons ci-dessus (critique de l’affichage public, du prosélytisme, des identités envahissantes), sans se faire traiter d’homophobe : c’est même ce qui arrive le plus souvent – sauf peut-être si vous parlez à des homosexuel-le-s.

La vérité, c’est aussi qu’aujourd’hui, on peut très bien dénigrer les revendications des femmes voilées discriminées, en invoquant ces mêmes raisons (critique de l’affichage public, du prosélytisme, des identités envahissantes), sans se faire traiter d’islamophobe : c’est même ce qui arrive le plus souvent – sauf peut-être si vous parlez à des musulman-e-s.

Et c’est à vrai dire cela, pour notre part, qui nous paraît « tout de même incroyable ». Car notre premier paragraphe était bien, à nos yeux, un pur morceau d’homophobie alambiquée, distinguée et déguisée, enrobée dans autre chose, et notre second paragraphe était bien un pur morceau d’islamophobie alambiquée, distinguée et déguisée, enrobée dans autre chose.

Le monde cauchemardesque qui nous est décrit, ce monde où « on ne peut plus rien dire » – ou plus rigoureusement : ce monde où « on ne peut plus rien dire sans se faire traiter » – est donc à nos yeux un monde de rêve, un monde idéal, en tout cas un monde qui serait beaucoup plus habitable, pour beaucoup plus de gens. Un monde dans lequel – que les amateurs de liberté d’expression se rassurent ! – une infinité de choses demeureraient dicibles mais où, simplement, le mépris de la personne humaine serait l’exception et non la règle. Un monde où, réciproquement, la règle serait le respect et l’égalité, et donc une certaine réactivité face à la parole injurieuse, condescendante, culpabilisante, pathologisante, en un mot infériorisante – à l’égard des homosexuel-le-s, des musulman-e-s, des homosexuel-le-s musulman-e-s et de bien d’autres. Un monde en somme où chacun-e pourrait vivre en paix, comme bon lui semble, aussi discrètement ou ostensiblement qu’il ou elle l’entend, sans subir de leçons de laïcité, de morale ou de subversion.

Pour ne pas entrer dans la hiérarchie des oppressions, nous ne dirons pas ce qui nous dégoûte le plus – et à vrai dire, quantifier n’est en la matière ni possible ni nécessaire. Nous dirons simplement que les deux sont dégoûtants : le recours à une rhétorique antisexiste, féministe et gayfriendy pour donner un vernis de respectabilité au racisme ou au mépris de classe (en stigmatisant les classes populaires et les musulman-e-s ostensibles comme des sexistes et des homophobes), et le recours à une rhétorique antiraciste, anticolonialiste ou « lutte de classe » pour donner un vernis de respectabilité à l’hétérosexisme (en stigmatisant en bloc les homosexuel-le-s ostensibles comme des agents de la domination blanche ou bourgeoise).

Nous ne voyons pas bien non plus ce qui est le plus odieux, entre l’injonction au coming out faite à l’homo non blanc-he et non bourgeois-e par un gay ou une lesbienne blanc-he, du Marais ou d’ailleurs (sous peine de se voir mépriser et ostraciser en tant qu’homo honteux, inaccompli, aliéné à l’hétéropatriarcat, voire traître à la « cause LGBT »), et la condamnation du coming out – ou injonction au placard – faite aux mêmes homos non blanc-he-s de banlieue, cette fois-ci par un frère de race hétéro ou une sœur de race hétéra, de Paris ou d’ailleurs (sous peine de se voir mépriser et ostraciser en tant qu’indigène honteux, inaccompli, aliéné à la suprémacie blanche, voire « blanchi du cerveau » et traître à la « cause décoloniale »). C’est triste mais c’est ainsi : c’est rarement du Jean Genet ou du Guy Hocquenghem qui s’exprime de manière décomplexée, mais plutôt du Caroline Fourest et du Marc-Olivier Fogiel. C’est rarement du Angela Davis, du bell hooks ou du Huey Newton, mais plutôt du Louis Farrakhan en VF, du Arlette Laguiller vintage [1] ou du Jacques Duclos.

P.-S.

Cela dit, il y a quand même quelques prises de position dans lesquelles on peut se reconnaître.

Notes

[1] Lutte Ouvrière n° 338, 18 février 1975 : « Nous pensons que c’est la société bourgeoise qui engendre l’égoïsme, l’individualisme et finalement le mépris pour les autres et les préjugés sociaux, dont le mépris envers les homosexuels fait partie. C’est à ce titre que nous combattons ce préjugé, comme nous combattons tous les autres. Mais il y a une distance entre cette lutte sans réserve contre les préjugés et le fait de parer l’homosexualité de vertus révolutionnaires, comme l’ont fait un certain nombre de “gauchistes”, et d’y voir le fin du fin de la lutte contre la morale bourgeoise, en décrétant que l’homosexualité est tout aussi “normale” que l’hétérosexualité et que qui prétend le contraire est un arriéré plein de préjugés. Cela revient à idéaliser ce qui n’est, en très grande partie, qu’un des nombreux comportements aberrants engendrés par la société bourgeoise. »


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