Accueil > 2012 > décembre > “La violence policière n’a rien d’accidentel”...

“La violence policière n’a rien d’accidentel”...

Mathieu Rigouste avec David Doucet et Jean-Marie Durand | lesinrocks.com | mardi 11 décembre 2012

dimanche 16 décembre 2012

 “La violence policière n’a rien d’accidentel”
Mathieu Rigouste avec David Doucet et Jean-Marie Durand | lesinrocks.com | mardi 11 décembre 2012
 “L’idéologie d’Alain Bauer reste implantée au sommet de l’Etat”
David Doucet | lesinrocks.com | samedi 1er décembre 2012



lesinrocks.com

“La violence policière n’a rien d’accidentel”
Mathieu Rigouste avec David Doucet et Jean-Marie Durand | lesinrocks.com | mardi 11 décembre 2012

REUTERS/Stephane Mahe

REUTERS/Stephane Mahe

« La violence policière est rationnellement produite et régulée par l’Etat », telle est la thèse du nouveau livre de Mathieu Rigouste, La domination policière, une violence industrielle. Trois ans après L’ennemi intérieur, ce militant et chercheur en sciences sociales analyse la transformation des violences policières dans les quartiers populaires et leurs effets sociaux sur la vie quotidienne.

De lEnnemi intérieur à ce livre, on a limpression que lordre policier a été un sujet fort de votre travail. Comment en êtes-vous arrivé à ce livre ?

Je fabrique des outils pour démonter les mécanismes de la domination. Dans L’ennemi intérieur, j’avais étudié l’armée et son influence sur la société de contrôle, ce travail montrait comment les guerres coloniales ont fortement orienté la restructuration sécuritaire du capitalisme tout au long de la Ve République. La manière dont la police s’approprie des personnels, des savoirs et des pratiques, des techniques, des méthodes et des matériels formés par, pour et dans l’expérience coloniale et militaire – ce que Michel Foucault appelle les « effets de retour » – restait à approfondir. Il semblait nécessaire de faire le point sur les transformations de la police et de sa violence ces vingt dernières années. Pas pour l’amour des livres mais pour renforcer les luttes.

Comment avez-vous circonscrit votre travail dinvestigation et daction ?

Je ne fais pas semblant d’écrire sur une société dont je ne ferais pas partie et que j’observerais depuis un extérieur introuvable. Je ne veux pas masquer le fait que toutes les méthodes et toutes les problématiques sont orientées par l’enquêteur, sa position dans la société et ses points de vue. Sous couvert de distance avec le terrain, de nombreuses études masquent nécessairement les privilèges et les connivences que le chercheur entretient avec la société. Alors j’assume le fait que j’enquête depuis un endroit précis – les territoires et les classes qui subissent quotidiennement et frontalement la domination policière, puis je fournis ces éléments pour permettre de critiquer mes résultats, pour les corriger et faire avancer notre compréhension du phénomène. J’ai passé une trentaine d’années en banlieue parisienne et une quinzaine d’années dans les mouvements sociaux et militants. Je n’y ai pas fait ce que la sociologie appelle de « l’observation participante », j’appartiens à ce monde et j’y ai vécu de près les transformations de la police. J’ai formulé des hypothèses en mettant en commun les mémoires et les récits de nombreuses personnes subissant directement la domination policière et de collectifs qui luttent sur ce terrain. J’ai confronté ces hypothèses aux recherches universitaires sur la question, à un corpus d’autobiographies de policiers, à des entretiens et des récits de vie menés par d’autres chercheurs avec des policiers de différents corps et différents statuts, à l’observation des blogs de policiers et l’analyse des revues policières, de défense et de sécurité ainsi qu’aux archives de mouvements de luttes contre la violence policière. Du point de vue de l’action, je prends part aux luttes populaires contre les systèmes de domination et d’oppression. Je ne cherche pas à faire de la recherche engagée, il me semble qu’on ne peut séparer l’action, l’enquête et la vie quotidienne. Que l’investigation n’est pertinente que si elle est menée, au service des luttes et à travers elles. Ce travail est d’ailleurs le fruit de réflexions collectives et doit tout à celles et ceux qui combattent au quotidien.

Vous parlez presque d’une réactivation dune guerre contre insurrectionnelle dans votre livre. Quels sont les contours de ce champ de bataille ?

J’observe moins une réactivation qu’un processus long où la guerre et le contrôle, l’armée et la police, s’influencent réciproquement au point de quasiment fusionner dans certaines situations. J’affirme que la contre insurrection est la grammaire, la matrice, le programme idéologique et technique qui propulse le système sécuritaire. Mais il s’agit justement ici de bien voir comment s’opère la reformulation, la traduction, l’hybridation de la contre insurrection à l’intérieur de la société française. Il ne me viendrait pas à l’esprit d’expliquer que nous vivons la même chose que la guerre d’Algérie ou que les déploiements militaires en Irak. Mais j’observe que nous faisons face, dans les enclaves ségréguées de la société post-coloniale, à une forme de contre insurrection de basse intensité, médiatique et policière. Le quadrillage militaire devient occupation policière des quartiers (polices « de proximité »), les commandos deviennent des unités d’intervention féroces (BAC…), l’action et la guerre psychologique sont prises en charge par les médias dominants, la propagande d’Etat récupère la figure de l’ennemi intérieur « fellaga manipulé par Moscou » sous la forme de «  l’islamo-gauchiste » ; les camps, la torture et le système de disparition sont relayés par la prison et la garde-à-vue, les brutalités et les meurtres policiers… Je montre comment des armes, des techniques, des doctrines, des pratiques issues de la contre insurrection coloniale et militaire, passent dans le champ médiatique et policier, comment elles sont réappropriées, ré-agencées redéployées pour maintenir l’ordre social, économique et politique à l’intérieur de la métropole.

Est-ce que vous pouvez nous définir la « tactique de la tension » dont vous parlez abondamment dans votre livre ?

C’est justement cette forme de domination, régulée techniquement et rationnellement, qui puise dans les répertoires contre insurrectionnels, coloniaux et militaires, pour écraser les damnés intérieurs. C’est une référence aux mécaniques politiques qui permettent de contrôler la population en instrumentalisant la peur ou en fabriquant des ennemis de convenance. On parle souvent de « stratégie de la tension » pour désigner les « années de plomb » en Italie, dans les années 1970. L’Etat italien manipulait l’extrême droite, grâce aux services secrets, et lui faisait réaliser des attentats qu’il attribuait ensuite aux anarchistes, ce qui lui permettait de justifier la répression du mouvement ouvrier et l’écrasement des mouvements révolutionnaires. Les gestionnaires de cette stratégie étaient d’ailleurs fascinés par la méthode française de contre-insurrection. Par « tactique de la tension », j’explique que cette technique qui consiste à fabriquer des ennemis de convenance pour faciliter le renforcement sécuritaire, est passée dans le domaine policier. Techniquement, cette traduction s’opère depuis le prototype colonial et militaire de la bataille d’Alger, en 1957. La Casbah avait alors été enfermée et étranglée par des forces de quadrillage et d’occupation militaro-policières, puis pénétrée, harcelée et terrorisée par l’envoi d’unités spéciales à l’intérieur pour capturer, interroger et faire disparaître les « meneurs ». Harceler et agresser une population enfermée et étranglée, engendre forcément beaucoup de tension. J’explique que ce schéma a été redéployé sur les quartiers populaires, par l’alternance, aux manettes de l’Etat, des fractions de gauche et de droite de la classe dirigeante, qui ont multiplié les unités d’occupation et d’enfermement ainsi que les unités d’intervention et de harcèlement dans les quartiers populaires. Progressivement a ainsi été reformulée une technique d’enfermement et d’agression combinée, supportée par des ressorts idéologiques très proches de la contre-insurrection et qui tente de détruire la vie sociale et les formes d’autonomie et d’insoumissions des « populations » ciblées.

Limpérialisme cest un concept assez fort. Dans votre travail, ça semble une évidence car vous êtes dans cette rhétorique mais si on vous demandait de le définir, vous en parleriez comment ?

Ce n’est pas de la rhétorique, l’impérialisme est un stade de développement du capitalisme et de l’Etat, qui arrive à un moment déterminé dans l’histoire de la lutte des classes. Il s’agit d’un rapport de domination à différentes vitesses et qui s’inscrit dans l’espace : c’est le processus d’expansion d’un Etat-nation partant à la conquête de territoires, de ressources et de populations en dehors de ses frontières et mettant en place des formes de dominations et de ségrégations basées sur la classe, le sexe et la race. Les géographes radicaux anglo-saxons expliquent que nous sommes entrés dans une nouvelle phase de développement de l’impérialisme qui ressemble très étrangement à la phase d’accumulation primitive qui avait donné naissance au capitalisme et qui fonctionne par la dépossession des ressources, des territoires, des cultures et des formes de vie autonomes. Je tente de montrer que les campagnes de conquête menées par les grands Etats impérialistes dans le « monde Arabe » (Irak, Afghanistan, Egypte, Syrie…) se combinent avec une dimension intérieure sur leurs propres territoires : l’expansion des mégalopoles urbaines (Grand Paris, Grand Toulouse, Nantes Métropole…). Cette expansion est supportée directement par la tension policière et vise la conquête puis la restructuration petite-bourgeoise des quartiers populaires, le renforcement du socio-apartheid, l’industrialisation de l’enfermement et la massification du néo-esclavage en prison. La police est le fer de lance de cette croisade intérieure.

Quest-ce que vous pensez des BAC que vous définissez comme un symbole de lordre sécuritaire ? Le sociologue Didier Fassin évoque la possibilité dune cohabitation tandis que Fabien Jobard se montre plus nuancé que vous également.

Ce n’est pas une question de nuances. La BAC est emblématique de l’oppression policière contemporaine, comme les CRS représentaient bien la répression en 1968. Mais je n’ai rien en particulier contre ces unités. Toute la police est chargée de maintenir l’ordre social, économique et politique. Et la police n’est pas la seule institution à assurer cette fonction. On peut soutenir les collectifs de victimes qui demandent la dissolution de la BAC comme à Millau, car c’est une manière offensive de se rassembler, mais la dissoudre sans attaquer le monde qui la produit ne changerait pas grand chose. Les agents seraient reclassés et de nouvelles unités créées ou recomposées pour assurer l’encadrement des misérables. Les BAC sont issues des polices coloniales en métropole et restructurées autour d’un modèle « néolibéral » d’abattage intensif. Elles traduisent bien les restructurations contemporaines.

Vous dénoncez la militarisation du métier de policier mais vous passez sous silence le fait quelle sest également accompagnée dune professionnalisation et dune meilleure formation des effectifs. Dans linvention de la violence, Laurent Mucchielli dit quil y a un recul des violences policières depuis 30 ans.

Je ne dénonce pas, j’essaie d’expliquer les transformations en cours. Et je ne me situe pas dans ce débat. La violence n’est pas une quantité, il n’y en a pas plus ou moins. Les formes de coercition évoluent en fonction des situations à gouverner. Si la police se perfectionne effectivement dans le nivellement de la coercition et qu’elle ne tire plus – pour l’instant, en France – à balles réelles sur les mouvements ouvriers, le nombre de personnes tuées dans les quartiers populaires ne cesse d’augmenter. Quand je finissais ce livre, en septembre 2012, 12 personnes avaient été tuées en six mois, un taux record en augmentation constante. Les armes « sub-létales » mutilent presque quotidiennement dans les cités. Dans certains quartiers, perdre un œil devient une menace quotidienne. Oui, les policiers sont mieux formés à contrôler les pauvres pour éviter de provoquer des révoltes ingérables. Mais dans les centres d’entraînement au maintien de l’ordre, c’est bien à la guerre urbaine qu’on les prépare. On ne peut pas le comprendre si l’on regarde du côté des policiers, qui essaient effectivement de tuer le moins possible, qui ont peur aussi et pour qui la coercition est minoritaire dans la journée ou dans une carrière. En regardant depuis la police, on ne perçoit pas les effets réels du renforcement sécuritaire. En l’occurrence, si l’on se place du côté de ceux qui le subissent, le constat est différent. Dans les quartiers populaires, les prisons, et les luttes sociales, la police gère un système de violence transversale qui broie la vie des gens, hier comme aujourd’hui, et qui, loin de rechercher à diminuer la violence, s’alimente et se ressource dans l’expérience coloniale et militaire.

Comment vous percevez Manuel Valls ?

Il incarne bien la gauche de gouvernement : quasiment les mêmes logiques et les mêmes pratiques que sous Sarkozy – car il s’agit toujours de soumettre et bannir les pauvres pour permettre au capitalisme de se restructurer – mais avec une propagande un peu plus subtile, un enrobage un peu plus soft et d’autant plus trompeur. Alors que sous Sarkozy, la figure de l’ennemi intérieur était récurrente, Valls se sent obligé de dire qu’il n’y a pas d’ennemi intérieur, tout en continuant à faire la même chose que ces prédécesseurs. Il ne fait aucun doute qu’il est conseillé par les mêmes personnes que Sarkozy ou Guéant, Alain Bauer parmi d’autres. Et la situation est toujours la même, les processus en cours continuent. Alors que la droite a tendance à réduire le nombre de policiers, à développer des unités féroces et à multiplier les technologies et les armements, la gauche conserve tout ça puis embauche et développe en particulier les unités d’occupation (« de proximité »). La succession de la gauche et de la droite aux manettes du gouvernement n’alterne pas les modèles mais les empile, elle assure la continuité de l’Etat et de son renforcement sécuritaire.

A la fin du livre, vous dites « organisons-nous », comment vous situez-vous politiquement ?

Du côté des opprimés, dans le camp qui veut en finir avec toutes les formes de domination. Je crois que seuls les premiers et premières concernés peuvent s’organiser pour abolir les systèmes d’oppression. Et qu’il faut tisser des alliances. J’essaye de mettre au centre de mon appareillage d’enquête les critiques et les constats des personnes qui subissent et qui luttent. Sous l’étiquette de « l’émeute », le pouvoir définit les révoltes populaires comme des sortes d’accès hystériques, des convulsions de violence sans raisons, mon travail consiste à les réinscrire dans la grande histoire des résistances à l’impérialisme. Je fais de l’enquête pour renforcer les luttes, pour décrire les mécaniques de l’oppression et cerner les rouages faibles.Ce système ne peut tenir sans la police et la prison. Je pense qu’il faut en changer, en finir avec une économie basée sur le pillage du monde au profit d’une minorité, et je crois qu’il faut pour cela rompre aussi avec les sociétés pyramidales, même celles où l’on choisit ses maîtres… Je crois que nous pouvons réussir à construire une société basée sur l’autogestion, l’entraide et le partage, sans chefs ni argent, où tout sera pour tous et où le peuple s’organisera par lui-même. La police passera alors pour une machine de domination archaïque.

Propos recueillis par David Doucet et Jean-Marie Durand

Mathieu Rigouste, La domination policière, une violence industrielle, La Fabrique, 258 pages, 15 euros.

< !—>



le 11 décembre 2012 à 17h17





lesinrocks.com

“L’idéologie d’Alain Bauer reste implantée au sommet de l’Etat”
David Doucet | lesinrocks.com | samedi 1er décembre 2012

Introduite sous Sarkozy sur l’impulsion de son conseiller sécurité Alain Bauer, la criminologie vient d’être rejetée du Conseil national des universités. Chercheur en sciences sociales, fervent opposant à cette discipline, Mathieu Rigouste réagit à cette décision.

La décision de promouvoir la criminologie comme une discipline scientifique autonome n’a pas survécu à l’arrivée de la gauche au pouvoir. Chercheur en sciences sociales à l’université de Paris-VIII-Saint-Denis, Mathieu Rigouste, a consacré un livre à Alain Bauer, grand pape de la criminologie.

Réagissant à la décision ministérielle de supprimer la section criminologie du Conseil national des universités (CNU), Mathieu Rigouste livre son point de vue personnel sur l’idéologie sécuritaire qui sous-tend selon lui, la promotion de cette discipline.

A lire aussi : Alain Bauer, le “sarkoboy” flingué par la gauche

Pourquoi selon-vous Alain Bauer tenait-il autant à ce que la criminologie devienne une discipline universitaire autonome ?

L’université est à la fois une formidable plateforme de légitimation pour une bande d’idéologues sécuritaires, c’est une pouponnière de réseaux d’influence et une vitrine commerciale pour faire valoir la reconnaissance de « menaces » rentables pour les marchés de la sécurisation. Même s’il est possible d’y acquérir des connaissances critiques et si toutes sortes de compétences et de résistances s’y croisent et s’y fabriquent”, “c’est aussi une vaste machine à domestiquer les mentalités. La direction du Conseil national des universités est donc un champ de luttes pour les fractions des classes dominantes. L’institutionnalisation de la criminologie au sein du CNU découlait d’une offensive des fractions sarkozystes pour restructurer la légitimation universitaire. Sa destitution marque la reprise en main du secteur par d’autres fractions (de gauche). Section de criminologie au CNU ou pas, les « études de défense et de sécurité » continuent à fonctionner dans l’université selon les mêmes soubassements idéologiques : former des « cadres de la nation » à la « pensée de défense et de sécurité », c’est-à-dire faire passer les intérêts de l’Etat et des grandes entreprises pour ceux de « la population » et tenter ainsi de légitimer l’expansion sécuritaire et la collaboration d’une partie des classes populaires à l’asservissement général.

Pourquoi vous opposez-vous à l’élévation de la criminologie en tant que science autonome ?

Je ne m’y oppose pas en particulier, j’essaie de fournir des outils analytiques à celles et ceux qui luttent contre cette société de misères et d’inégalités. Que ce soit une science, qu’elle soit autonome ou pas, ne change d’ailleurs pas grand chose aux intérêts que sert cette « criminologie » dont Bauer et ses collègues se font les promoteurs. L’université est une institution chargée par l’Etat et les classes dominantes de reproduire les rapports sociaux de domination (de classe, de race et de sexe). Si elle permettait en quoi que ce soit de changer les structures de cette société, « ça ferait longtemps que ce serait interdit » comme disait l’autre. Avec ou sans Bauer, ses amis et leur criminologie, l’université n’est pas faite pour nous permettre de nous émanciper collectivement. Je n’ai étudié Alain Bauer et sa « criminologie » que parce qu’ils sont caractéristiques d’un mouvement de fond. La destitution de cette « criminologie » du CNU ne changera rien au fait que l’université – sa forme de production et de répartition du savoir – participe fortement à la reproduction d’une société pyramidale.

Comment définiriez-vous la « bande à Bauer » que vous décriviez dans votre livre ?

C’est une association d’intérêts entre des marchands et des ingénieurs en idéologie sécuritaire, au service des profiteurs de la peur, comme il en existe d’autres. Une sorte de secte idéologique qui a réussi à se faire confier certaines manettes de la restructuration en cours en cernant bien les intérêts des industries sécuritaires et des « bénéficiaires secondaires du crime » comme écrivait Karl Marx, et en étant particulièrement docile et malléable.

Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, Alain Bauer et ses proches ont-ils perdu leur influence au sommet de l’Etat ?

De toute évidence, les idées dont ils sont les marchands restent installées à la tête de l’Etat et de la restructuration impérialiste. Alain Bauer et sa bande ne sont que des incarnations d’intérêts, les vecteurs humains d’un processus général qui se moque totalement d’eux. N’en faisons pas les responsables d’une « dérive » pour dédouaner le système en place comme les fractions de gauche des classes dominantes ont commencé à le faire. Bauer et sa bande ont été assez habiles et volontaristes pour être chargés de mener les réformes mais ils sont complètement interchangeables. Les grandes écoles fabriquent des centaines de marionnettes de ce type chaque année, aptes à légitimer les logiques d’accumulation du profit et de la puissance qui se perpétuent à la tête de l’Etat impérialiste à travers l’alternance des fractions de gauche et de droite.

A Amiens, dans les destructions de campements de Roms et les expulsions, dans les camps pour étrangers illégaux et dans le système de leur déportation, dans les visites officielles du nouveau chef de l’Etat à des dictateurs affamés de sécurisation à la française, dans les plans d’intervention inter-impérialiste en Syrie… la technique idéologique dont Alain Bauer est le nom continue d’alimenter la reproduction et l’extension du capitalisme sécuritaire.

Malgré sa proximité avec Manuel Valls, Alain Bauer a démissionné de la plupart des présidences officielles (l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique et la Commission de contrôle des fichiers de police) qui lui avait été attribuées. Comment l’expliquez-vous ?

La conjugaison de ses responsabilités à la tête des appareils idéologiques d’Etat et de ses activités d’entrepreneur sur le marché de la sécurité a commencé à le mettre en difficulté dès lors qu’elle a été rendue publique. On peut penser sans trop prendre de risque, qu’il continue et continuera plus discrètement à fournir l’Etat et à marchander ses services avec les gouvernements et les entreprises les plus offrants.

Mathieu Rigouste est l’auteur de La bande à Bauer et l’idéologie sécuritaire aux éditions Libertalia en 2011 et de L’ennemi intérieur : la généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine aux éditions La Découverte en 2009.


David Doucet

le 01 septembre 2012 à 10h53



Voir en ligne : “La violence policière n’a rien d’accidentel”

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.