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Dexia : un puits sans fond de 5,5 milliards d’euros

Martine Orange | mediapart.fr | vendredi 9 novembre 2012

vendredi 16 novembre 2012

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Dexia : un puits sans fond
Martine Orange | mediapart.fr | vendredi 9 novembre 2012
    

Il y a manifestement des milliards qui valent moins que d’autres. Tandis que l’État, la Cour des comptes, le patronat s’émeuvent du moindre dérapage des dépenses sociales, que les budgets pour la santé, l’éducation, la justice ou la défense sont réduits à la portion congrue, c’est sans difficulté apparente que les finances publiques signent pour voler au secours du système financier. Jeudi, le ministère des finances a ainsi annoncé que l’État français allait participer aux côtés de la Belgique à une nouvelle recapitalisation de Dexia, en faillite depuis 2008, à hauteur de 5,5 milliards d’euros. Les deux États se sont engagés à souscrire dès que possible à cette augmentation de capital réservée, sous forme d’actions préférentielles. Mais à ce stade, il n’est pas sûr que celles-ci soient assorties de droit de vote. Une question d’habitude dans les sauvetages bancaires. 

Pour la France, cette nouvelle recapitalisation de la banque va représenter une dépense de 2,58 milliards d’euros, selon les nouvelles règles de répartition discutées cet été avec la Belgique. « Cette dépense n’était pas du tout prévue dans la loi de finances de 2013. Comment allons-nous financer cette somme ? Pour l’instant, je n’en sais rien », dit Philippe Marini, président de la commission des finances du Sénat. Dans quelle dépense va-t-on couper pour trouver les ressources nécessaires et ne pas alourdir le déficit budgétaire, qui doit revenir sous la fameuse barre des 3 %, comme le gouvernement s’y est engagé auprès de la Commission européenne ? La France obtiendra-t-elle de Bruxelles de pouvoir traiter cette charge exceptionnelle en hors bilan ? Interrogé, le ministère des finances n’a pas retourné nos appels.

Pourtant, Dexia devient une vraie menace pour les finances publiques. Comme beaucoup le redoutaient, ce dossier bancaire est en train de devenir un puits sans fond. En octobre 2008, la banque avait déjà dû être recapitalisée en urgence pour éviter l’effondrement. Il en avait coûté 3 milliards d’euros à l’État français. En novembre 2011, celui-ci s’est engagé à reprendre la structure de financement des collectivités locales, l’ex-Crédit local de France, de conduire l’extinction de son portefeuille et de rebâtir une banque spécialisée dans le financement des collectivités locales avec l’aide de la Caisse des dépôts et de La Banque postale. La structure n’a toujours pas été créée. Mais les engagements pris par l’État et non remis en cause pour l’instant sont de l’ordre de 40 milliards d’euros, un montant représentant deux fois les garanties prises lors de la faillite du Crédit lyonnais. Le règlement des 7 milliards d’euros de prêts toxiques souscrits par les collectivités locales n’était pas inclus dans cette enveloppe. À cela vient s’ajouter désormais la nouvelle recapitalisation de 2,6 milliards, assortis de 38,75 milliards d’euros de garanties pour la France.

Les montants en jeu donnent le vertige. À ce stade, aucune addition n’est possible. « Le coût final de l’engagement pour l’État est inconnu », avait prévenu Gilles Carrez, alors rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée nationale, lors de la discussion sur le plan de sauvetage du Crédit local de France en novembre 2011. On aurait envie d’ajouter : « Et il ne cesse de s’alourdir. »

Un milliard d’euros de moins-values

Les responsables de Dexia avaient pourtant assuré que la banque en faillite ne représentait plus de risque important : la décision de démanteler la banque ayant été prise en octobre 2011, il ne s’agissait plus que de mener l’extinction de l’établissement et de ses engagements à son terme.

Selon le schéma de démantèlement, la Belgique et la France ont récupéré leurs anciens actifs nationaux : la banque de détail (ex-Crédit communal de Belgique) pour Bruxelles, la banque de financement des collectivités locales (ex-Crédit local de France) pour Paris. Restait à gérer le passif de la banque, représentant plus de 300 milliards d’euros d’encours, dont un portefeuille obligataire de plus de 100 milliards.

Une structure de défaisance, une « bad bank », a été créée et est censée durer jusqu’à l’extinction des portefeuilles. « Une fois les cessions faites, ce véhicule sera fortement capitalisé avec plus de 20 % de ratio de fonds propres. (...) À la mi-2013, le portefeuille ne devrait plus porter que 40 à 50 milliards d’actifs qui pourront être détenus jusqu’à maturité », assurait en novembre 2011, Pierre Mariani, alors administrateur délégué de Dexia, qui a quitté ses fonctions en juin 2012.

Rien ne s’est passé comme prévu. Les actifs qui étaient censés valoir de l’or ont dû être vendus au prix du plomb. Connaissant les difficultés de la banque, ses urgences pour vendre au plus vite, les candidats au rachat ont négocié à la baisse. Résultat ? Un bradage généralisé. À la fin du troisième trimestre, Dexia a enregistré une moins-value de 1 milliard d’euros sur les cessions conjointes de sa banque en Turquie (Denizbank) et de sa filiale au Luxembourg. Dans le même temps, la banque a dû déprécier ses actifs récents à hauteur de 1,3 milliard d’euros. Au 30 septembre, Dexia affiche ainsi une perte de 2,4 milliards d’euros. Du coup, la structure qui devait être « surcapitalisée » n’a plus de fonds propres.

C’était une situation qui avait été envisagée par les parlementaires, connaisseurs du dossier, au moment de la discussion de novembre 2011. Ils avaient alors pointé le risque que la structure ne soit pas capable de se financer elle-même et doive être renflouée par les États. Mais ils s’étaient encore montrés très optimistes : les risques, pour eux, provenaient des portefeuilles de produits financiers encore détenus par la banque. Ils n’imaginaient pas que des pertes substantielles puissent provenir de la cession des filiales.

Tandis que la liquidation de ces actifs se poursuit, le problème de la gestion des portefeuilles demeure. Alors que les grandes banques européennes se sont empressées ces dernières années et encore plus ces derniers mois de se débarrasser des titres jugés dangereux ou toxiques, Dexia paraît avoir le temps pour elle. Toutes ses contreparties bancaires et financières doivent être rassurées : même en phase de liquidation, la banque continue d’assumer son rôle. Elle annonce ainsi détenir encore plus de 13 milliards d’euros de produits structurés (ABS et autres), près de 6 milliards d’encours liés au rehaussement de crédit. Son exposition dans les pays en difficulté de la zone euro (Grèce, Italie, Irlande, Espagne, Portugal) s’élève à plus 68 milliards d’euros, dont 14 milliards d’euros pour les seules dettes souveraines.

Plus de financement par la BCE

Tout cela a un coût. Dexia estime son besoin de financement à 60 milliards d’euros contre 260 milliards au moment de sa première faillite en 2008. Sans ressources propres, n’ayant plus accès aux marchés, la banque et ses filiales ne survivent depuis trois ans que grâce aux liquidités fournies par la banque centrale européenne. Bien que nombre d’établissements bancaires font désormais toutes leurs fins de mois aux guichets de la BCE, la commission européenne estime que les financements accordés à Dexia par la banque centrale sont de nature à « fausser la concurrence » sur le marché bancaire. Depuis un an, elle tergiverse donc et hésite à donner son accord au plan de démantèlement présenté par les États, laissant en suspens nombre de dossiers dont celui du financement des collectivités locales.

Fin octobre, le gouverneur de la banque de France, Christian Noyer, s’alarmait de la situation. « Il faut impérativement que la nouvelle banque des collectivités locales ait vu le jour avant la fin janvier. Sinon, DCL (Dexia Crédit local) aura de sérieux problèmes de refinancement », a-t-il averti devant la commission des finances de l’Assemblée nationale. Pour emporter l’agrément de la commission européenne, la Belgique et la France se sont engagées à ce que Dexia n’ait plus recours au financement de la BCE.

Cet engagement est lourd de conséquences. C’est lui qui a précipité la dépréciation des actifs restants. Lui encore qui conduit à une impérative recapitalisation de Dexia par les États, sommés d’assumer tous les risques pendants. Enfin à l’avenir, la banque devra se financer uniquement sur les marchés, avec les garanties des États. Au lieu de bénéficier d’un taux de 0,7 % ou 1 %, elle risque de devoir se financer à 5 % ou plus, les États portant le risque final en cas de défaillance. Belle opération qui conduit à faire assumer par les finances publiques l’ensemble de la liquidation de la banque, et d’exclure tout risque pour les contreparties bancaires !

Mais la situation ne semble émouvoir personne, et surtout pas la Commission européenne. Car là encore, il y a des engagements qui ont moins de poids que d’autres, manifestement. En 2010, les prévisions d’un possible déficit de 20 milliards d’euros des régimes des retraites en France à l’horizon 2020 poussaient Bruxelles à exiger une réforme immédiate et le report de l’âge de la retraite de 60 à 65 ans pour des millions de salariés. Dans le cas présent, le règlement de la faillite de Dexia va coûter de façon assurée, selon les estimations les plus prudentes, au moins entre 10 et 15 milliards d’euros aux contribuables français. Mais là, il n’est même pas question de remettre en cause ne serait-ce que la retraite chapeau de 700 000 euros versée à Pierre Richard, ancien président de Dexia et grandement responsable de cette débâcle. Il paraît que sa remise en cause est impossible : il s’agit d’un contrat privé.


   



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Transmis par Erual
Fri, 16 Nov 2012 23:57:01 +0100




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