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« Le lobby de l’électricité fait tout pour empêcher le développement des énergies renouvelables »

Daniel Eskenazi samedi | 9 octobre 2010

samedi 9 octobre 2010

(photo : Mark Henley/Panos Pictures)

Paul Pauli, directeur général de Meyer Burger Technology

Valorisée à près de 1 milliard et demi de francs en bourse, Meyer Burger Technolgy est le fleuron de l’industrie solaire suisse. Entretien avec son directeur général.

Le Temps : Durant la crise, l’industrie solaire a beaucoup souffert, notamment en raison des coupes budgétaires des Etats. Comment Meyer Burger l’a-t-elle surmontée ?

Peter Pauli : Outre les réductions budgétaires, le manque de liquidités des banques a provoqué un recul des financements de projets dans notre industrie. Nous disposions toutefois d’un énorme coussin de sécurité avec nos entrées de commandes. Par chance, nous avons pris quelques bonnes décisions, comme le recours au travail partiel. Nous avons donc assez bien traversé la crise en faisant attention de maintenir un large éventail de clients. Il est évident que ceux provenant d’Asie ont eu un effet bénéfique sur nos affaires.

– Depuis des années, la part la plus importante de vos commandes provient d’Asie et plus particulièrement de Chine. Est-ce une chance ou un risque ?

– Toujours les deux. D’ailleurs, en chinois, chance et risque sont le même mot. Mais il est important de ne pas nous concentrer sur l’Asie où nous pouvons écouler de grands volumes. Nous devons aussi séduire l’Allemagne, marché orienté sur les technologies, avec les nôtres. Mais regardons les choses en face : nous avons profité des programmes de relance en Chine. Toutefois, la crise n’est pas terminée.

– Le prix des modules solaires a baissé de 35% en Europe et de 50% en Chine durant les trois dernières années. L’industrie a-t-elle franchi un cap ?

– La chaîne de production de panneaux solaires a évolué, certes. Mais les choses sont plus complexes. D’un côté, la crise a provoqué une chute des prix du silicium, élément de base des panneaux solaires. De l’autre, en 2008, nous avons pu faire face à un excès de la demande, ce qui a permis de maintenir les prix élevés. L’an dernier, lorsque tout s’est effondré, la crise a eu en quelque sorte un effet curateur. La diminution des coûts de production a été répercutée sur les prix des produits.

– Le franchissement d’une nouvelle étape technologique sera-t-il réalisé par des Européens, des Américains ou des Asiatiques ?

– Peu importe. Le problème à résoudre tourne davantage autour d’une réduction continue des coûts. En Chine, les économies d’échelle sont énormes en raison des volumes très importants en jeu. Du coup, les Chinois ont un certain pouvoir pour acheter des matières premières à bon prix. Ils exercent une forte pression sur les prix, comptent chaque renminbi qu’ils peuvent épargner.

Par ailleurs, n’oublions pas l’apport des sauts technologiques. On parle désormais de cellules multijonctions. Encore dans les laboratoires, cette technologie permet d’obtenir des rendements supérieurs à 20%. De notre côté, il existe encore un potentiel pour réduire l’épaisseur des fils de métal et des plaques de silicium. Autrement dit, l’optimisation de l’utilisation des matériaux. Des améliorations sont aussi possibles avec notre technologique de découpe des panneaux au moyen de fils de diamant. Dans les deux prochaines années, de grandes évolutions se produiront dans l’industrie du solaire.

– Concrètement, quels seront les effets de ces innovations ?

– Le coût par kilowattheure diminuera fortement.

– En Suisse, le consommateur peut donc s’attendre à une réduction de sa facture d’électricité…

– Non, absolument pas. Mais la faute ne revient pas à l’industrie solaire. Elle ne peut résoudre seule la problématique de l’énergie. Le lobby de l’électricité fait tout pour empêcher le développement de tout ce qui se fait de nouveau au niveau de l’approvisionnement. Un exemple : le distributeur d’électricité est en général celui qui exploite les centrales atomiques, comme les Forces Motrices Bernoises ou Axpo en Suisse. Leur réseau est centralisé. Or, si on veut produire des énergies alternatives en grande quantité, on a besoin d’un réseau décentralisé. Cela signifie que l’on doit recourir aux « smart grids », soit des outils de gestion intelligente de l’énergie. Et, du coup, le réseau entier doit être modernisé, ce qui nécessite des investissements. De l’autre côté de la chaîne, prenons l’exemple d’une maison familiale qui produit davantage d’énergie que ses occupants n’en consomment. Le surplus ne peut être redistribué que via un réseau décentralisé. Dans ce cas, cela rendrait une centrale atomique obsolète. Ceux qui distribuent l’électricité grâce aux centrales nucléaires n’ont donc pas intérêt à ce que chaque foyer produise de l’électricité, car leurs marges diminueraient. On aboutit alors à un clash entre deux types de technologies.

Autour de cela, les conflits d’intérêts règnent. Alors que les milieux politiques devraient formuler une politique de distribution de l’énergie efficace qui permette de réduire les coûts, on retrouve parfois dans les conseils d’administration des entreprises d’électricité des personnes chargées de mettre en place ces mêmes politiques. En définitive, en Suisse, je doute que les milieux politiques, à quelques exceptions près, veuillent s’engager à réduire les coûts de l’électricité.

– Comment jugez-vous les initiatives de Doris Leuthard pour promouvoir les énergies renouvelables ?

– La conseillère fédérale figure parmi les quelques personnalités politiques qui reconnaissent que la politique de l’énergie forme un ensemble qui part de l’efficacité énergétique, des gains d’énergie, etc. Il s’agit de la bonne clé pour comprendre, par exemple, les systèmes de compensation que l’on pourrait mettre en place lorsqu’un citoyen vend son électricité à un prix moins élevé qu’il ne l’achète. Mais on se trouve encore bien loin d’avoir compris, puis mis en œuvre, une solution globale de politique énergétique. La Suisse devrait pourtant se dépêcher ; elle compte un énorme retard par rapport à la Chine, au Japon, à l’Inde, voire au Vietnam, en matière de soutien des énergies renouvelables.

– Selon le Conseil fédéral, la Suisse pourrait souffrir de coupures d’électricité en 2020. Est-ce exagéré ?

– On avait aussi ce type de calculs dans les années 1970. Or ces chiffres ne sont pas corrects, car on n’a pas anticipé les progrès en matière d’efficacité énergétique. De même, aujourd’hui, on peut sans doute estimer que des progrès seront réalisés dans les dix prochaines années plutôt que de débattre pendant cinq ans sans rien faire. Dans l’industrie, nous avons un autre rythme qu’en politique ; les choses doivent progresser rapidement. On ne peut pas compter sur les lobbys pour trouver des solutions qui passent par le recours à plusieurs sources d’énergie plutôt qu’à une seule. Avez-vous déjà lu une réflexion, par exemple des Forces Motrices Bernoises, qui aille dans ce sens ? Ce n’est pas une économie de marché libre, mais de groupes d’intérêts.

– Vous avez racheté le groupe suisse 3S Industries l’an dernier. Cela vous permet de détenir la chaîne de production complète de panneaux solaires. Existe-t-il encore des domaines dans lesquels vous voulez vous immiscer ?

– Bien sûr. Nous ne produisons pas de cellules photovoltaïques. Dans ce domaine, nous n’avons qu’une collaboration avec OC Oerlikon.

– Il s’agit d’un marché très fragmenté. Comptez-vous racheter des entreprises ?

– Nous comptons entreprendre quelque chose, mais tout sera pesé, très réfléchi. Tout dépendra des opportunités qui se présentent, aux Etats-Unis et en Europe.

– Le franc fort fait souffrir certaines entreprises exportatrices. Comment gérez-vous ce facteur ?

– Nous avons un énorme avantage, car environ 70% de nos prestations sont facturées en francs suisses.

– Comme voyez-vous votre industrie dans trois ans ?

– Les réseaux électriques doivent être adaptés aux énergies renouvelables. Ainsi, on pourra savoir dans deux ou trois ans si l’industrie solaire a atteint une taille critique, autrement dit si elle produit 1% à 2% de la consommation totale d’électricité. Je suis confiant qu’elle y parviendra.

– Aujourd’hui en Suisse, l’énergie solaire coûte au moins deux fois plus cher que celle d’origine nucléaire. Quand la parité pour le consommateur sera-t-elle atteinte ?

– On peut parler des heures de parité des prix pour le consommateur, mais la question centrale tient dans la volonté des milieux politiques. Ils décident du mélange des différentes sources d’énergie et des tarifs pour le consommateur. Même si les prix à la production d’énergie solaire et atomique deviennent identiques, soit que la « grid parity » est atteinte, il n’est pas dit que le consommateur paiera au final la même chose. En fait, l’énergie n’est pas un bien économique, c’est un bien politique. Dans la distribution de l’électricité, les coûts n’ont jamais joué un rôle déterminant. Ce qui compte, c’est que l’énergie soit disponible, quel que soit son prix.


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