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OGM : l’abcès est crevé

Guillaume Malaurie | tempsreel.nouvelobs.com | lundi, 22 octobre 2012

lundi 22 octobre 2012

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OGM : l’abcès est crevé
Guillaume Malaurie | tempsreel.nouvelobs.com | lundi, 22 octobre 2012
    
Les deux avis délivrés mardi par le Haut conseil des biotechnologies (HCB) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), commis par le gouvernement pour tirer les conclusions de l’étude Séralini, constatent tous deux la quasi-inexistence des tests "vie entière" sur les animaux. Et que le travail du Professeur de Biologie moléculaire de Caen est par voie de conséquence une première.

 

 Une étude quasi sans précédent qui en appelle d’autres

 

Imparfaite ou insuffisante, sans doute, contestable sur les interprétations des tumeurs décrites, la comparaison avec les groupes tests qui serait non significative et la "puissance statistique" insuffisante, c’est entendu. Mais une première. Et soit dit en passant une première nettement plus complète que beaucoup des études produites par les industriels et qui ne sont, elles, jamais publiées. Et jamais soumises, elles, aux questions de la communauté des chercheurs. 


Si le HCB étrille des "conclusions spéculatives", notamment sur les interprétations apportées sur les tumeurs, l’Anses qui a des réserves analogues sur ce point, salue une étude "ambitieuse" et "originale" conduite "en mobilisant de larges moyens".

 

Et si l’un et l’autre des organismes conclut, mais en des termes très différents, que le travail du Pr Séralini ne permet pas de "remettre en cause les précédentes évaluations du NK603", ils appellent cependant à l’unisson à des "études long-terme" "indépendantes" et même "contradictoires" sous les auspices de la "recherche publique". Que ne l’a-t-on fait plus tôt et spontanément ? Quelques oreilles doivent siffler ce soir à l’Inra ou au CNRS….

 

Pour se convaincre du désert de ce chantier public, en France et ailleurs, sur des plantes pourtant associées à des produits phytopharmaceutiques, les deux organismes s’appuient sur une étude très instructive. Celle de José Domingo, publiée dans la revue "Environnemental International". Ce chercheur catalan du Laboratoire de toxicologie et de santé environnementale a réalisé deux fois de suite, en 2006 et en 2010, le tour complet des études de toxicité disponibles.

 

Des études sur OGM et santé humaine "étonnament limitées"

 

Lisez bien : "Environ 15 ans se sont écoulés depuis l’introduction des plantes génétiquement modifiées dans la nourriture, et des nouveaux produits OGM sont actuellement ajoutés à la liste existante. Toutefois, il ya 10 ans, nous avons déjà remarqué qu’il n’y avait pas suffisamment d’informations publiées concernant la sécurité des aliments génétiquement modifiés en général, et les plantes génétiquement modifiées, en particulier."

"Plus précisément, le manque d’études toxicologiques publiées sur les effets indésirables sur la santé était évident (Domingo, 2000 ; Domingo-Roig et Gómez-Arnáiz, 2000). En 2006, 6 ans après que notre examen initial ait été publié, nous avons procédé à un nouvel examen de la littérature scientifique. Le nombre de références trouvées dans les bases de données était encore étonnamment limitées."

 

"La plupart des études, poursuit-il, qui concluent que les aliments OGM ont une valeur nutritionnelle et une sûreté identique à celles obtenues par sélection classique, ont été effectuées par les entreprises de biotechnologie ou leurs associés, qui sont également responsables de la commercialisation de ces plantes".

 

 

On est donc très loin des premières salves de critiques lancées contre Gilles-Eric Séralini qui soutenaient que les études académiques long terme étaient légions et démontraient l’innocuité des OGM comme deux et deux font quatre. Et que comme le titrait le Figaro  : "Les animaux nourris aux OGM se portent bien". Après la reprise d’une d’une méta analyse française des recherches en cours qui, curieusement, ne citait pas l’étude de Domingo. Et qui, curieusement encore, ne provoquait pas de levée de boucliers après sa parution sans discussion contradictoire.

 

Une carence pourtant à ce point béante que tant le HCB que l’Anses en appellent aujourd’hui l’un et l’autre à ces "études de long terme" manifestement introuvables sauf deux aboutissant à des conclusions contraires et qui souffrent l’une et l’autre d’insuffisances.

 

Des études longue durée sur tous les OGM

 

Mieux, l’Anses, qui s’est dotée d’un comité de déontologie et de pare-feux contre les conflits d’intérêt, élargit le champ à tous les OGM : "L’Agence recommande d’engager des recherches visant à décrire les effets potentiels sur la santé associées à la consommation sur le long terme d’OGM ou à l’exposition aux formulations psycho pharmaceutiques associées".

A commencer par le Round’up. Des études qui viseraient non seulement les "substances actives" mais aussi les "coformulants", c’est à dire les adjuvants employés par les industriels pour mieux faire pénétrer l’herbicide dans les plantes. (1) Très exactement la revendication de Gilles-Eric Seralini depuis une bonne dizaine d’années et des chercheurs qui s’interrogent sur une éventuelle toxicité . 

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Le Foll pour une remise à plat de l’évaluation 

 

Oui, l’abcès est bel et bien crevé. Lorsque le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll déclare que "le gouvernement veut une remise à plat du dispositif européen d’évaluation, d’autorisation et de contrôle", il met la pression sur les autorités bruxelloises et l’Efsa (Agence de sécurité alimentaire européenne) qui n’a toujours pas rendu son avis définitif.

 

Certes, Séralini n’a pas gagné sa guerre. Mais il a remporté une sacré première bataille soutenue par plus de 100 chercheurs dans le monde (voir texte en français). Une bataille qui permettra peut-être d’y voir plus clair sur la toxicité ou non des OGM résistants aux herbicides. D’ici… trois ans, le temps de les mener à bien et si le gouvernement satisfait les demandes du HCB et de l’Anses.

 

Voilà en tout cas qui va permettre à Gilles-Eric Séralini de regarder ses nombreux détracteurs dans le blanc des yeux. Eux qui l’accusaient d’avoir choisi des rats qui attrapent le cancer comme la grippe et d’utliser des doses faussée. Un réquistoire repris encore vendredi dernier par six académiciens qui, sous le couvert de l’anonymat, excommuniaient courageusement le chercheur normand. Ils allaient même jusqu’à suggérer l’instauration d’un cabinet noir pour filtrer l’information scientifique !

 

Les principaux griefs balayés 

 

Reprenons en effet les principaux griefs et écoutons la réponse de l’Anses. Les fameux rats ? "Il apparaît, note l’Anses, pertinent de choisir les Sprague Dawley qui sont les plus fréquemment utilisés dans le cadre de ce protocole". Leur nombre insuffisant ? "Un choix couramment utilisé dans le cadre des études de toxicité subchronique". Les doses de maïs OGM ? "Le protocole expérimental adopté est complet et standard". Le scandaleux financement par la grande distibution ? Même pas évoqué. Les "micotoxines" responables des tumeurs ? Oubliées. Il n’y en avait pas....

 

 

Le "secret industriel" en passe d’être levé 

 

Mieux, Gilles-Eric Séralini aurait obtenu de l’Anses de pouvoir consulter les études des semenciers protégées jusque-là par le "secret industriel". Et il est alors probable qu’il rendra public de son côté les données brutes de sa propre étude comme il s’y était engagé initialement.

 

L’étude de Séralini était donc bien l’événement que le "Nouvel Obs" a parfaitement eu raison de répercuter dans ses colonnes. Une première qui révèle la vacuité des tests menés jusque-là. Une étude toxicologique fort inquiétante qui doit maintenant, comme toutes les autres, être discutée puis évidemment, reproduite. Et surtout complétée par une étude de cancérogénèse que n’avait pas entrepris Séralini parce qu’il ne s’attendait pas à une telle explosion de tumeurs.

 

La science et le dogme de "[l’]équivalence en substance"

 

Plutôt une excellente nouvelle ? Non. Pas pour l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV) qui déclare ce soir qu’elle craint que "la proposition du HCB et de l’Anases de réaliser une nouvelle étude à long terme sur ce maïs NK 603 ne vienne décrédibiliser leurs propres conclusions rassurantes pour le consommateur".

 

Mais en quoi les avis de l’Anses et du HCB sont-ils une demi-seconde "rassurants" ? Ils expliquent que les conclusions angoissantes de Séralini ne peuvent en l’état être retenues, mais qu’il n’en existe aucune autre pour démontrer le contraire. Et qu’il faut donc mettre en oeuvre d’autres travaux pour en avoir le cœur net. Qu’y a-t-il donc de si rassurant pour le consommateur ? Et pourquoi cette opposition systématique, opiniâtre et si constante aux tests de longue durée ? Qu’est-ce qu’un scientifique peut craindre de l’expérimentation avec tous les rats nécessaires et tous les moyens que n’avait pas Séralini  ? Parce que la recherche publique lui avait refusé. Voir sur ce sujet les explications très franches de Gérard Pascal.

 

A moins que l’ASBV ne considère que les plantes OGM conçues pour absorber des herbicides sans en être affecter et les plantes conventionnelles soint "équivalentes en substance". Qu’une fois pour toutes, il n’y a pas lieu de s’interroger ainsi que c’est l’usage aux Etats-Unis et au Canada en vertu du seul fait que les valeurs nutritives sont identiques.


Question : ce dogme par ailleurs très contesté (voir l’article de Erik Millstone, Eric Brunner and Sue Mayer dans la revue "Nature") peut-il se hisser sans vérification au rang de vérité intangible ? Un principe commercial, fut-il adoubé par l’OCDE, autorise-t-il à s’affranchir de toute vérification en… longue et due forme ?


Voir à ce sujet l’avis très argumenté du groupe des experts (GECU) commis par l’Anses, qui rappelle qu’un OGM n’est pas seulement une construction génétique résistant aux herbicides ou en secrétant. Et que l’action à long terme de ces herbicides est encore étudiée de manière très incomplète. C’est le coeur de l’énigme.


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Guillaume Malaurie
   
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