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La caresse la plus bouleversante

Agnès Giard | sexes.blogs.liberation.fr | jeudi 20 septembre 2012

samedi 13 octobre 2012



La caresse la plus bouleversante
Agnès Giard | sexes.blogs.liberation.fr | jeudi 20 septembre 2012

Il existe une
vitesse de caresse idéale pour imprimer dans le cerveau la signature
d’une émotion très forte… Forte au point qu’elle s’active sur un simple signal visuel. En d’autres termes : si vous marquez d’une empreinte tactile fulgurante votre bien-aimé(e), il vous suffira de le/la regarder à cet endroit du corps, pour… la toucher à distance.

Opium-parfum

Spécialiste
des perceptions sensorielles-sensuelles, Francis McGlone,
professeur à l’Université de Liverpool, travaille sur cette propriété qu’a la peau de relayer non seulement de l’information tactile, thermique
ou pruritique (démangeaison) au système nerveux central, mais aussi
de fournir l’expérience émotionnelle d’un contact. Curieux de
définir la façon dont le cerveau réagit aux caresses, il a mesuré
dans notre cerveau celle qui provoquait la réaction la plus vive…
Le résultat de ses études mérite certainement des adaptations
individuelles (nous n’avons pas tous et toutes le même corps) mais
il semblerait qu’en général la plupart des cobayes soient
bouleversés par le même type de contact dermique, ainsi défini par
McGlone : « Avec mes collègues en
Suède, j’ai découvert l’existence d’une catégorie de nerfs situés
dans la peau qui répondent de façon optimale au contact d’une autre personne. Ce sont les fibres afférentes C tactiles. Elles servent
de médiateur aux émotions les plus vives lorsqu’on les stimule en
touchant la peau gentiment (avec une force moyenne) et lentement (à
une vitesse de 5 cm/sec). Les endroits du corps qui répondent le
mieux à ces caresses sont : les avant-bras, le tronc (poitrine,
épaules, nuque, torse) et les cuisses
 ».

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Pour
Francis McGlone, le sens du toucher est central dans nos vies,
parce qu’il nous permet de nous définir. Touchant les objets avec
notre corps, nous prenons conscience de nos limites. Ici commence le
monde : la brise qui nous caresse le front, les plantes qui
écorchent nos chevilles, le sol sous nos pieds… Toutes ces choses
qui nous entourent envoient par l’intermédiaire de notre peau des
flots de sensations multiples, qui nous permettent de nous orienter :
nous allons vers ce qui est doux, soyeux, tiède, et vers l’autre,
celui ou celle capable de nous toucher exactement là où…

Avant
même de pouvoir sentir, voir ou entendre, un foetus sent le
toucher : c’est le premier sens qui se développe chez l’humain. Dès
l’âge de 12 semaines, des vidéos aux ultra-sons montrent des fœtus
réagir en se tortillant aux poussées qu’on imprime sur eux à
travers le ventre. Le sens du toucher est si important que les bébés
qui ne sont pas caressés, ni massés ont du mal à s’épanouir en
grandissant : ils leur manque le sens du "contact".

Raison
pour laquelle Francis McGlone, s’intéresse si fort à la peau et
surtout à cette curieuse propension que possède notre corps de sentir, littéralement des caresses sans même être
touché.

En
1998, une équipe américaine fait l’expérience suivante : un
expérimentateur pose un écran vertical sur une table et demande à
un cobaye de placer son bras derrière l’écran, de telle sorte que
le bras soit hors de vue. Devant l’écran, l’expérimentateur place
un bras en caoutchouc. Il se met à le caresser. Simultanément, il
caresse le bras réel du cobaye. Au bout de dix minutes, le cobaye
pense que sa sensation provient du bras en caoutchouc… Ainsi donc,
notre cerveau peut nous faire ressentir des sensations provenant de
membres factices. Il arrive d’ailleurs souvent que des gens fassent
une grimace de douleur lorsqu’on laisse une brique tomber sur une
chaussure qu’ils regardent de facon prolongée…

« Nous
pouvons sentir une caresse ou un choc par l’oeil
, conclut McGlone. Et
de la même manière, nous pouvons voir par la peau. C’est ce qu’on
appelle la synesthésie (cross modality perception) et certaines de mes recherches portent sur
cette capacité que nous avons d’activer des sensations de frôlement
par le regard…
 ».

Peut-on
caresser à distance ? Si c’était vrai, il nous suffirait de
balayer intensément notre cible d’un regard fulgurant… pour
qu’elle sente la trace de nos mains sur son corps ? « Oui,
j’y crois
, répond Francis Mc Glone. Je pense que vous pouvez faire
vous-même cette expérience d’ailleurs : essayez d’imaginer que
quelqu’un vous caresse et vous finirez par sentir la caresse.
 »
Pour rendre l’exercice plus facile, il suggère cependant que vous
fassiez au préalable, avec votre amoureux(se), l’expérience d’une caresse réelle,
en vous concentrant très fort sur la sensation, afin qu’elle
s’imprime en vous.

 

TROIS
QUESTIONS A FRANCIS MCGLONE

Est-il vrai qu’un rayon lumineux promené sur notre peau peut
réellement nous faire sentir une caresse, comme si quelqu’un
promenait ses doigts sur notre peau ?

Nos
cinq sens ne fonctionnent pas de façon indépendante mais suivant un
processus de perception cross-modale. Ils sont reliés entre eux,
même si nous n’en sommes absolument pas conscients, car le cerveau
fusionne les informations sur nous envoient nos oreilles, nos yeux,
notre bouche, notre nez et notre peau… Faites une recherche sur
l’illusion Mc Gurk pour en savoir plus. Si le faisceau d’un
pointeur laser est déplacé sur votre corps et que vous suivez le
mouvement de cette lumière sur votre peau, votre cerveau peut
transformer ce stimuli visuel en stimuli tactile. Raison pour
laquelle le travail de Tomoko Hayashi m’a tellement enthousiasmé.
Elle a perçu de façon totalement inconsciente une vérité
scientifique : que la lumière peut produire en vous un état
proche de l’euphorie, le même que celui généré par un massage ou
un frôlement érotique… En tout cas, c’est ma théorie.

Quel genre de contact dermique se grave de la facon la plus aigue
dans notre mémoire ?

Il
semblerait que ce soit la caresse, justement, parce que les fibres
afférentes Cts sont situées assez profondément sous la peau.
Lorsqu’on les stimule, cela active des zones émotionnelles dans le
cerveau qui sont essentielles dans notre relation aux autres et notre
vie en société. Le toucher n’est pas qu’une affaire de draps
soyeux. Ça engage notre capacité à communiquer avec les autres. Les
fibres Cts envoient l’information de façon lente (environ une
seconde), et pour cette raison ne peuvent pas nous permettre
d’identifier le type d’objet qui nous touche (s’il est dur ou pas,
etc). Ça, c’est la fonction des nerfs tactiles qui sont extrêmement
rapides et qui envoient l’information en un éclair au cerveau. Les
fibres CTs servent plutôt de médiateur aux sentiments de plaisir ou
de réconfort induites par le type de caresse. Lorsque nous mesurons
leur activité électrique, elle s’enflamme chez les humains qui sont
caressés à la vitesse de 5 cm/sec.

Comment est-il possible que la suggestion d’un contact (par le biais
d’un regard qui se promène sur notre corps, ou d’un pointeur laser,
par exemple) puisse s’acompagner de la sensation d’un contact ?

Suivant
les expériences effectuées par mon équipe et beaucoup d’autres,
lorsque quelqu’un regarde quelqu’un d’autre se faire caresser, sur
l’IRM, nous observons que cela active dans son cerveau le sens
tactile.

 Pour le moment, c’est tout ce qu’on peut dire.

Illustration : affiche pour parfum Opium véhculant le message selon lequel il suffit de sentir un parfum pour sentir une caresse… Le sens de l’odorat peut effectivement activer le sens du toucher, selon certaines exprériences portant la synesthésie.

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