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Syrie : « Parmi la population, personne ne veut de cette guerre »

Karin Leukefeld | solidarite-internationale-pcf.over-blog.net | lundi 6 août 2012

mardi 7 août 2012


Solidarité Internationale PCF


Entretien avec Karin Leukefeld, journaliste indépendante allemande installée en Syrie : « Parmi la population, personne ne veut de cette guerre »
Karin Leukefeld | solidarite-internationale-pcf.over-blog.net | lundi 6 août 2012

leukefeld.jpg« Parmi la population, personne ne veut de cette
guerre »

Entretien de weltnetz.tv avec Karin Leukefeld, journaliste allemande indépendante installée en
Syrie.

 

 


Traduction WM pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

 


Mme Leukefeld, on entend constamment dans les médias que les insurgés se
seraient désormais emparés de la capitale syrienne, qui serait « libérée ». Comment cette libération est vécue par la population syrienne ? Comment la population syrienne perçoit-elle
ces insurgés ?


Tout d’abord, je dois dire que cette représentation n’est pas tout à fait correcte.
Damas est une ville de plusieurs millions d’habitants, près de deux millions dans le centre, quatre millions environ dans la banlieue. Les insurgés sont forts avant tout dans les communes autour
de Damas. Ils y ont livré des combats qui les ont opposé aux forces de l’ordre et à l’armée. La semaine passée, il y eut ce qu’on a appelé l’opération Volcan de Damas, un assaut sur la
ville de Damas. Depuis, les rebelles ont bien avancé vers le centre de Damas, prenant d’assaut plusieurs postes de police.


Ainsi dans le quartier où je réside, on a entendu très nettement ces affrontements. Ces derniers jours, les tirs
se sont tellement rapprochés que je ne pouvais plus quitter ma maison. Mais ces groupes ont été repoussés après une opération militaire de grossse envergure. L’armée syrienne utilise tous les
armements à sa disposition, chars et artillerie compris. Des hélicoptères auraient été détruits par ailleurs. De ce que j’ai pu voir, je ne peux le confirmer. Mais les dix derniers jours ont été
marqués de façon ininterrompue par des opérations militaires de grosse ampleur, dans la périphérie de Damas. Depuis samedi dernier, la ville a toutefois retroué son calme. Les gens essaient de
retrouver une vie quotidienne normale. Les marchés ont rouvert, le trafic routier a repris – à un rythme certes moins élevé que d’habitude, mais il faut dire qu’on est en plein
Ramadan.


De quel soutien les insurgés bénéficient-ils au sein de la population, et plus précisément dans la
population sunnite ?


Je ne demande
pas aux gens leur confession quand je leur parle... Je vis actuellement dans un petit hôtel qui était presque vide au départ, mais depuis le début des attaques, il affiche complet. Beaucoup de
gens se sont placés avec leurs enfants et un peu d’affaires en sécurité car ils ne savent pas comment les choses vont évoluer. Ces gens n’ont aucune sympathie pour les insurgés armés. Même si ils
sentent bien que quelque chose doit changer dans la politique Syrienne, ils rejettent la violence. Dans la banlieue de Damas, par exemple dans des communes comme
Jdeideh Artuz, Qutseiya ou Tadmoun, il existe probablement une base de soutien pour les forces armées, sinon
ils ne pourraient s’installer dans ces régions comme ils l’ont fait. Et on peut aussi se demander si le soutien de la population est vraiment volontaire. On entend beaucoup de cas d’intimidation.
Des cas par exemple de personnes devant fermer leurs magasins. Des appels sont lancés à la population, pour qu’elle prenne les armes et rejoigne les insurgés. C’est un chef de famille qui m’a
dit : « J’ai un couteau de famille, pourquoi prendre les armes ! Je refuse. La sécurité de ma famille est la chose la plus importante. »


Je voudrais avoir des informations plus précises sur la situation des
minorités ethniques et religieuses en Syrie. A Damas, 15% de la population est chrétienne – comment leur vie a changé depuis le déclenchement du conflit armé ?


Je connais
beaucoup de chrétiens en Syrie et j’ai des amis chrétiens ici – dont beaucoup vivent dans la vieille ville de Damas, près de Bab Touma, et c’est plutôt calme par là-bas. Les gens vaquent à leurs
occupations quotidiennes. Il y a deux jours, je parlais à un jeune homme qui me demandait :
« Que pensez-vous des informations venant de l’étranger », je lui ai répondu :« J’ai l’impression que beaucoup ne savent pas
vraiment ce qui se passe ici »
. Il était au bord des larmes pour me
dire :
« Nous ne savons pas quoi faire pour faire passer des informations à l’étranger, sur ce
qui se passe réellement ici »
. On se sent isolé, incompris, comme si on
décrivait la situation d’un conflit dans un autre pays. Je crois que c’est un souci pour beaucoup de gens, qui ont l’impression que, hors de Syrie, on se fait une représentation déformée de ce
qu’ils voient, ce qu’ils pensent de leur sort, et qui ne correspond pas à ce à quoi ils aspirent.


On a l’impression que le peuple est broyé entre les différentes parties avec
leurs intérêts. D’une part, le gouvernement Assad avec l’armée et ses services secrets, d’autre part, les insurgés soutenus par l’Occident. Quelle influence le peuple Syrien a-t-il sur les
événements en Syrie ?


A mon avis, aucune. Les manifestations qui se sont produites en mars, avril et mai
2011, exigeant des réformes politiques, sont désormais hors-jeu. L’opposition politique est elle aussi hors d’état, et la population est elle-même subie à de fortes pressions, d’ordre économique.
Pour dire les choses clairement : les responsables de ces pressions économiques sont aussi les sanctions continuellement alourdies par l’Union européenne. Par exemple, il n’y a actuellement
plus de gaz pour faire la cuisine. Tous les ménages sont concernés. Les gens doivent attendre jusqu’à six semaine voire plus pour obtenir une bouteille de gaz à un prix abordable. L’essence et le
mazout manquent, car les sanctions touchent aussi le secteur pétrolier. Ce qui signifie que la vie quotidienne des Syriens est terriblement affectée par les sanctions, par les problèmes
économiques et par la violence, ils n’ont donc plus la capacité de s’exprimer sur le plan politique.


Ce que vous nous décrivez s’applique avec d’autant plus de force à Alep,
avec les événements de la dernière semaine. A Alep, il y a une explosion de violence en ce moment. Des compte-rendus font état de 4 000 rebelles qui auraient pris la ville. Quel rôle joue Alep
dans le conflit en Syrie ?


Alep est la capitale économique du pays, très importante aussi par sa proximité avec
la Turquie et l’Europe. C’est une ville qui se trouve sur la ligne reliant la Méditerranée et l’Asie. Il y a l’autoroute, le chemin de fer, des aéroports, une université. C’est une ville d’une
grande importance. Combien de rebelles se trouvent dans la ville, je ne peux le vérifier. Hier, j’ai téléphoné à quelqu’un qui se trouve à Alep, qui m’a dit qu’une bonne partie de la ville est
totalement calme. Les batailles se déroulent en périphérie, où les pauvres habitent – dans le sud et le nord-est. Et il m’a dit qu’il y avait des problèmes d’approvisionnement. L’électricité est
limitée, le pain rationné, l’essence de plus en plus rare. C’est le même schéma que nous connaissons ici à Damas. Je crois aussi que l’importance d’Alep vient du fait qu’elle s’est révélée d’une
neutralité totale au cours des 16 premiers mois du conflit. Comme à Damas, il y eut des petites manifestations sur le campus de l’université, que les forces de sécurité ont violemment réprimé...
Mais la protestation ne s’est pas étendue aux trois millions d’habitants que compte Alep. Alep abrite une population très mélangée. Il y a les Arabes, les Kurdes, les Arméniens, les Turkmènes,
beaucoup de chrétiens – plus de 20% de la population – et tout indique que la population ne veut pas de ce conflit. Cette guerre, on lui a imposé. Les gens veulent des réformes politiques, cela
ressort clairement des nombreuses conversations que j’ai eu sur place. Mais ils ne veulent pas de cet affrontement militaire. Mais désormais la guerre est là, ce qui a sans doute à voir avec la
proximité avec la Turquie, d’où les combattants bénéficient d’un appui logistique et militaire, c’est ce que l’on peut imaginer. Si cette ville est prise, on pourrait la séparer du reste de la
Syrie et établir une zone tampon réclamé depuis longtemps.


On le sait désormais de source officielle, cela a même filtré dans
« Der Spiegel » du 26 juillet, que les États-Unis apportent un soutien militaire au Qatar et à l’Arabie saoudite depuis le mois de mai. Pourquoi l’Occident soutient des régimes
fondamentalistes comme l’Arabie saoudite, et tentent de renverser des États laïques comme la Syrie ou la Libye ?


Il y a des raisons géostratégiques. Le Qatar et l’Arabie saoudite possèdent les plus
importances ressources et matières premières au monde. Le pétrole, le gaz. Le Qatar et l’Arabie saoudite sont de puissants investisseurs d’économies en difficulté, en Europe et surtout aux
États-Unis. Ils sont donc à bien des égards, avant tout sur le plan financier et dans la sécurisation de sources en hydrocarbures, des partenaires clés, que l’Occident veut protéger. Leur dessein
est évident, depuis le Qatar et l’Arabie saoudite, construire des pipelines depuis la péninsule Arabique, via la Turquie et vers l’Europe. Et la Syrie serait d’une certaine manière également sur
le chemin. On veut casser le lien qui existe entre la Syrie et l’Iran. C’est une situation géostratégique et politique très complexe dans la région. L’ingérence de l’Occident pour moi n’a rien à
voir avec l’amélioration de la situation des droits de l’Homme et de la situation économique, mais tout à voir avec des raisons géostratégiques qui expliquent pourquoi on coopère avec certains
régimes et qu’on tente de faire tomber certains autres. Je pense clairement qu’on a la preuve désormais qu’ils n’ont pas intérêt à une résolution politique du conflit en Syrie, ils veulent
véritablement mener une guerre ici. Des interlocuteurs m’ont dit ici qu’il s’agit d’une sorte de troisième guerre mondiale entre les Etats-unis et la Russie, sur le dos des Syriens, en pays
Syrien. Les Syriens vont en payer le prix fort, sans être aucunement associés à la solution du conflit.


Voir en ligne : Entretien avec Karin Leukefeld, journaliste indépendante allemande installée en Syrie : « Parmi la population, personne ne veut de cette guerre »

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