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Sur le pont à Avignon

Pierre P. | acidu.com | vendredi 3 août 2012

vendredi 3 août 2012

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Sur le pont à Avignon
Pierre P. | acidu.com | vendredi 3 août 2012

Malgré une jolie tournée des autres spectacles de la Compagnie, l’élément qui nous marquera pour ce juillet tourmenté sera la présence de la Chorale à Avignon avec « Si tous les champs du monde », à l’Espace Ayla.



Avignon, considéré par l’association du off comme « le plus grand théâtre du monde » mais auquel, probablement, le terme « ring » serait mieux approprié, ou foire, ou marché. Ici on est venu essentiellement pour se faire connaitre et connaitre son travail, mais le nombre hallucinant de cies présentes (975) et de spectacles présentés en off (1 161) oblige chacun à multiplier affiches, tractage et parades pour ne serait-ce qu’exister, et capter une partie des festivaliers et des programmateurs qui leur permettront de ne pas perdre trop d’argent dans l’affaire, voire d’en gagner à terme. Parce que, pour les compagnies qui se produisent en off, Avignon est cher. 11 000 € TTC pour la salle que nous avons louée et il y a bien plus cher, sans compter l’hébergement, la pub, les cachets, riquiquis mais obligatoires –URSSAF oblige-. Des frais qui sont parfois pris en charge par les régions (Champagne-Ardennes et Midi-Pyrénées entre autres), et où beaucoup de compagnies investissent leurs maigres subventions -ceci d’ailleurs devrait poser un problème éthique, ces fonds territoriaux qui finissent dans le même entonnoir alors qu’ils devraient investir plutôt leurs territoires- mais aussi des frais qui sont directement imputés sur le budget des compagnies non conventionnées, la nôtre notamment. 104 salles en bénéficient. Pour des services et un suivi très irrégulier selon les lieux.


Ici se jouent les saisons, la survie des compagnies, le renom des metteurs en scène. On y trouve beaucoup de café-théâtre, parfois très putassier, du théâtre « populaire » dans ses meilleurs comme ses pires avatars, de la marionnette, du spectacle musical, de la danse, du burlesque, des petits bijoux pointus, du jeune public à gogo, des récitals… Souvent, du beau travail artisanal, plus ou moins boursouflé de prétention ou émouvant de justesse et de simplicité. Le pire et le meilleur. Une cour des miracles théâtrale qui sent son Pigalle avec ses harangueurs, ses tracteurs insistants, ses affiches bariolées.

Il y a quatre niveaux de réalité, à Avignon en juillet.

• Le In, cet Olympe artistique qui bénéficie des meilleurs sites et de la meilleure couverture médiatique. Parfois très contesté, parfois très passionnant. Un autre monde dont on n’aperçoit que des bribes.

• Le off, les soutiers, mais où on retrouve aussi d’inattendues personnalités.

• Le blablaland, surtout en deuxième semaine, où se retrouve toute la techno-structure culturelle, les politiques, les syndicalistes, les gestionnaires de droits, les assos et organismes de toutes sortes. Où on se montre, où on se rencontre, marque son territoire, maintient ses positions avec un tas de table-rondes, pince-fesses, débats, forums à la clef : on peut y passer presque toutes ses journées. Un blablaland particulièrement gâté cette année avec la visite du Président et de sa Ministre de la Culture. Où il s’agit d’écouter les uns les autres, de rassurer, d’exprimer en évitant de s’engager ; l’endroit n’est pas fait pour ça. Les engagements c’était l’an dernier et celle qui s’y était risquée ne l’a pas emporté. Un blablaland qui réunit tout un monde venu rien que pour ça, hérissé de groupes de pression et d’un conservatisme réel – autour d’une vision de la culture assez monolithique - malgré des déclarations de surface parfois plus nuancées, ou d’une insatisfaction perpétuelle.

• Enfin les Avignonnais, partagés entre ceux qui profitent directement du festival et ceux qui le regardent passer, avec parfois complicité, souvent goguenardise ou, de temps en temps, agacement. Un autre monde aussi, tout aussi différent.



Entre tous ces niveaux, les festivaliers, touristes ou passionnés, le guide à la main, arpentant la ville toute la journée et qui donnent à cet évènement sa dignité.





Et nous là-dedans ?



Nous avons décidé de venir ici pour élargir notre saison et notre couverture territoriale, laquelle passe aussi par la salle. La Chorale de St Fulbert, bien que d’inspiration résolument de rue, fait partie de ces formes en lisière qui passent aussi bien dans des lieux non dédiés que dans des salles traditionnelles. Le plateau de l’espace Alya, pas trop renfermé, nous convenait et nous sommes partis gaillardement pour cette aventure onéreuse. Mais en arrivant sur le festival nous nous sommes trouvés confrontés à toutes les raisons qui ont motivé notre choix de faire des arts de rue. Cette foire où il s’agit de faire venir plutôt d’aller vers, de séduire, de faire du tapage, ce rapport biaisé, décalé à un public-consommateur finalement restreint ne nous correspondent pas et ne correspondent pas surtout à l’idée que nous nous faisons de notre métier. Nous avons d’ailleurs pu constater intensément l’écart en faisant relâche 2 jours pour aller jouer, dans la rue, en Lorraine, faisant en une seule journée plus de spectateurs que nous n’en avions fait pendant une semaine à Avignon, avec un rapport ô combien différent, ce qui –au passage- nous a redonné une énergie considérable.



Du point de vue artistique, une réussite. Nous avons pu, avec ces 20 représentations, aboutir le spectacle au rasoir, épurer les scories, trouver le bon tempo. Jouer vingt fois de suite, une opportunité extrêmement rare dans les arts de la rue, ce dont nos spectacles souffrent, forcément. Ces trois semaines de représentation nous aurons fait gagner un haut palier. Mais nous n’avons pas, à une seule exception, fait le plein de notre salle, malgré des retours enthousiastes de nos spectateurs, malgré l’efficacité reconnue de nos parades, malgré un très fort niveau de sympathie rencontré lors d’icelles, malgré trois articles de presse –un peu tardifs-, cantonnant notre jauge à une moyenne de 70/80 personnes. Nous avons tiré notre carte du jeu, mais une assez petite, bien qu’encore une fois, les retours sur l’originalité et la qualité de notre proposition aient été nombreux. « Si tout les champs du monde… » a eu du mal à faire évènement, contrairement à la Rave Paroissiale que nous avions jouée ici en 2006/7 et qui, un peu moins théâtralisée et un peu plus rentre-dedans avait fait le buzz sur le Festival. C’est que celui-ci à ses règles et ses engouements, très spécifiques l’un et l’autre. La martingale ne s’y décrète pas. Mais nous repartons avec un spectacle au cordeau, fourni, riche et généreux et avons de bons espoirs, les programmateurs étant venus en nombre, qu’il tournera longtemps.



Reste à digérer le trou financier.



Les rapports avec la salle furent correct et le travail bien fait. Une certaine tendance à l’infantilisation des rapports, à la méfiance envers les compagnies, à la demande de faire profil bas, nous a dans les premiers temps quelque peu agacé. Ça s’est amélioré sur la fin. Reste que nous avons découvert des compagnies très proches sur l’esprit et très différentes dans leurs pratiques, admirables souvent par leurs réalisations, fait des rencontres personnelles extrêmement enrichissantes, vécu le festival dans de bonnes conditions d’hébergement et, si nous en sommes sortis lessivés, c’était avec le sourire et de nouveaux amis.



Bien à vous



Pierre P.




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