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la multinationale Rio Tinto Alcán et le coup d’Etat au Paraguay

Silvio Núñez | cadtm.org | mercredi 4 & jeudi 12 juillet

jeudi 12 juillet 2012



 Paraguay : la multinationale Rio Tinto Alcán et le coup d’Etat (1ère partie)
Silvio Núñez | cadtm.org | mercredi 4 juillet

 Rio Tinto Alcán et le coup d’Etat au Paraguay (2ème partie)
Silvio Núñez | cadtm.org | jeudi 12 juillet



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Paraguay : la multinationale Rio Tinto Alcán et le coup d’Etat (1ère partie)
Silvio Núñez | cadtm.org | mercredi 4 juillet

Dans la presse internationale, un fait important semble être passé inaperçu : l’un des premiers pays, après le Vatican et l’Allemagne, à avoir reconnu le nouveau gouvernement mis en place au Paraguay suite à un « coup » d’Etat parlementaire est le Canada. Via son ambassade à Buenos Aires active au Paraguay, le gouvernement canadien a réalisé depuis 2009 un intense lobbying en faveur de l’entreprise extractive et électro-intensive Rio Tinto Alcán qui souhaite s’installer dans ce pays sud-américain |1|.

Que représente Rio Tinto Alcán ?

L’entreprise Rio Tinto Alcán (RTA) est la deuxième plus grande raffinerie d’aluminium au niveau mondial. En outre, elle se consacre à l’extraction de différents minerais et est présente sur les cinq continents.

Les dénonciations contre RTA portent sur les faits relatés dans les lignes qui suivent.

Génocide et crimes contre l’humanité

En Papouasie Nouvelle Guinée, l’île de Bougainville, on l’accuse d’avoir provoqué en 1980 un soulèvement armé qui a entraîné le recours à des forces militaires et engendré des milliers de morts. Ensuite, après que les travailleurs ont commencé à saboter la mine en 1988, RTA fut accusée d’avoir conspiré pour imposer un blocus qui entraîna jusqu’en 1997 la mort de quelques 10 000 civils. L’affaire est actuellement devant la Cour des Etats-Unis d’Amérique en fonction d’une loi nord-américaine intitulée Alien Tort Statute, pour l’affaire « Sarei et al. V. Rio Tinto Plc et al », 9ème Cour d’appel, n° 02-56256 |2|.

Le journaliste paraguayen Guido Rodriguez Alcalá retrace un historique bref mais implacable de l’action de RTA dans le monde : appui au régime raciste de l’Afrique du Sud ; le gouvernement norvégien a mis RTA sur une liste noire pour avoir porté atteinte à l’environnement et aux droits de l’homme ; pour des raisons similaires, le mouvement « Fuera del Podio » (Hors du Podium) désire retirer RTA des sponsors des Jeux Olympiques. La liste continue |3|.

Les investissements au Paraguay : une énorme consommation d’énergie

Il est important de préciser que le Paraguay est producteur d’énergie hydroélectrique et qu’il partage des centrales binationales avec ses voisins, l’Argentine et le Brésil. Pourtant, les 4/5ème de cette énergie sont exportés et seul 1/5ème est consommé dans le pays. RTA souhaite consommer à bas prix une quantité équivalente (1/5ème). La question des investissements de RTA avait divisé le gouvernement paraguayen. Alors que le Président de la République s’opposait à un subventionnement du prix de l’énergie, le Ministre de l’Industrie et du Commerce, Francisco Rivas - confirmé dans son poste ministériel par le nouveau président Federico Franco - et l’ex-Vice-président Federico Franco avaient accepté les conditions imposées par RTA pour son implantation au Paraguay. Le Vice-ministre de l’énergie avait cependant affirmé que les subsides à l’énergie octroyés à RTA atteignaient 200 millions de dollars US par an, à revoir à la hausse |4|. D’autres ministres non libéraux partageaient cette opinion.

Position à la fois complaisante et critique du Gouvernement

Suite aux deux audiences publiques réalisées par le gouvernement, l’opinion publique semblait divisée |5|. Constituant un sujet très populaire et recueillant un appui majoritaire, les investissements de RTA ont petit à petit engendré des critiques provenant des secteurs les plus variés |6|. La division de l’opinion a atteint son apogée lorsque le Vice-président d’alors critiqua publiquement la Vice-ministre des Mines et de l’Energie, d’après le quotidien Ultima Hora du 30 mai dernier : « Alors, j’ai dit au Président de la République (Lugo) : pourquoi m’avez-vous envoyé au Canada et fait en sorte que nous étudions cela si, finalement, une Vice-ministre (Mercedes Canese) va s’y opposer. J’ai le droit de penser que ce que l’on cherche à faire est de continuer à favoriser l’économie brésilienne parce que je ne parviens pas à croire qu’il y ait des gens qui s’opposent à ce projet alors qu’on pourrait vendre l’énergie beaucoup plus chère que celle que nous cédons au Brésil, ce qui générerait de l’emploi, de l’impôt et des devises » |7|. Des articles similaires peuvent être consultés dans d’autres médias |8|.

L’affirmation de Franco est un faux dilemme car la vente de l’énergie paraguayenne d’Itaipu au Brésil engendre des devises pour le développement et les investissements. En outre, ce que propose RTA est de payer à des prix inférieurs - au départ 32 $US/MWh et à présent 42 $US/MWh - à ceux payés par le Brésil actuellement (52 $US/MWh) qui ne génèrent qu’un petit bénéfice (8,4 $US/MWh) mais couvrent en même temps les coûts de production (43,8 $US/MWh).

RTA fait pression sur le gouvernement pour entamer des négociations

Suite aux déclarations de Federico Franco, RTA manifeste son intérêt à entamer des négociations avec le gouvernement tout en exerçant des pressions pour accélérer l’installation de l’entreprise. Ainsi, le 13 juin, on publie dans les médias le récit de la visite des représentants de RTA au Chef de Cabinet de la Présidence de la République. Juan Pazos, représentant hispano-brésilien de RTA, affirme : « Nous sommes au Paraguay depuis trois ans et demi et nous considérons que le gouvernement dispose déjà de toutes les informations nécessaires ». Le prix de l’énergie est évidemment un thème central. Il précise dans le même article qu’« on ne peut pas discuter du prix de l’énergie sans discuter du reste. Cela fait partie d’un ensemble ». Et le quotidien d’ajouter : « sans vouloir préciser le montant que la multinationale considère comme idéal pour l’énergie paraguayenne. » |9|

Le coup d’Etat est en préparation

Deux jours plus tard, le vendredi 15 juin, survient la tragédie de Curuguaty. Une juge édicte un ordre d’expulsion à la demande du chef d’entreprise colorado Blas N. Riquelme pour préserver sa supposée propriété privée. L’opération est coordonnée par le Procureur et prend fin avec la mort de 18 paysans et policiers. Il y avait moins de 50 personnes sur place au moment du massacre, et la presse a indiqué par après qu’il s’agissait d’un terrain public usurpé par Blas N. Riquelme |10|.

La suite, c’est l’histoire. Le jour même, Fernando Lugo remplace au Ministère de l’Intérieur Carlos Filizzola du Frente Guazú (Front ample) par le colorado Rubén Candia Amarilla, ex-Procureur général de l’Etat, responsable de plus de 1000 accusations à l’encontre de militants pour les droits sociaux |11|, et lié à Camilo Soares |12|, ex-Secrétaire pour l’Urgence nationale, accusé de malversation |13| et membre de l’entourage de la première heure de Fernando Lugo. Le lundi 18 juin, le Front Guasú exprime son désaccord avec cette désignation de même que le Parti Libéral Radical Authentique |14| (parti de Federico Franco et Francisco Rivas). Semant la plus grande confusion, l’Association Nationale Républicaine elle-même (parti Colorado) se désolidarise de la nomination de son représentant |15|. Le jeudi 21 juin, la Chambre des Députés approuve l’ouverture d’un procès politique contre Fernando Lugo, qui doit avoir lieu le lendemain, le vendredi 22 juin. La Chambre des Sénateurs approuve cette décision.

Coup d’Etat parlementaire

Le journal chilien La Tercera reproduit la déclaration du Secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA), le Général Insulza : « … reconnaissant que l’article 225 de la Constitution du Paraguay confère à la Chambre des Députés le pouvoir d’initier un jugement politique et au Sénat d’exercer la fonction d’un tribunal, ‘ la communauté internationale a exprimé des doutes quant au respect des normes définies aux articles 17 et 18 de la Constitution du Paraguay et dans les traités internationaux auxquels ce pays a souscrit, qui consacrent les principes universels du procès en bonne et due forme et du droit légitime de tout accusé à se défendre en utilisant tous les recours de procédure, et en bénéficiant pour se faire d’un délai suffisant entre le début du jugement et sa conclusion’… » |16|. En effet, lors du procès politique à l’encontre de Lugo, le Président du Paraguay n’a eu que 24 heures pour préparer sa défense et, à l’exception de photocopies et d’articles de presse, il n’y a pas eu de preuves tangibles pour valider les accusations.

Les multinationales, parmi lesquelles RTA, premières bénéficiaires du coup d’Etat

Les analystes politiques ont désigné à juste titre les grands oligopoles de la production agricole comme étant les premiers bénéficiaires du coup d’Etat contre Fernando Lugo. Suite au massacre de Curuguaty, Fernando Lugo a été soumis à un procès politique extrêmement sommaire qui met à nu une réalité qui ne peut être ignorée : 8 millions d’hectares de terres mal acquises n’ont pas été récupérées par le Ministère de la Justice et le Paraguay pâtit de la pire répartition des terres au sein de la région |17|. Malgré le fait que l’ordre d’expulsion ait été prononcé par une Juge et l’opération policière dirigée par un Procureur, la personne jugée était Fernando Lugo. Ils ont cependant oublié un acteur clé : RTA.

Discours de Federico Franco et Francisco Rivas confirmé

Dans son discours d’Asunción, Federico Franco a largement fait référence au thème énergétique : « Il [le nouveau gouvernement du Paraguay, NdT] développera aussi le secteur énergétique pour parvenir à utiliser l’énergie générée par les centrales hydroélectriques Itaipú et Yacyretá et « pour que personne ne doive se rendre à l’étranger pour chercher du travail  ». |18|. Le Canada a d’emblée reconnu le gouvernement de Federico Franco tandis que Francisco Rivas, ministre de l’Industrie et du Commerce et lobbyiste de RTA, est confirmé dans son poste ministériel |19|.

Traduit de l’espagnol par Anne Deprez


Notes

|1| http://www.paraguaymipais.com.ar/ec...

|2| http://es.reuters.com/article/idUKN2116082720100921

|3| http://www.ultimahora.com/notas/537...

|4| http://www.ssme.gov.py/

|5| http://www.abc.com.py/edicion-impresa/economia/contradicciones-en-el-tema-rio-tinto-alcan-407021.html

|6| http://paioliva.blogspot.com/2012/06/rechazo-la-inversion-de-rio-tinto-alcan.html

|7| http://www.abc.com.py/edicion-impresa/economia/alternativa-a-rio-tinto-es-seguir-cediendo-energia-408391.html

|8| http://www.lanacion.com.py/articulo/74608-rivas-dijo-que-us-45-es-una-tarifa-razonable-para-rio-tinto-.html

|9| http://diariovanguardia.com.py/locales/noticias-locales/locales/31335-rio-tinto-solo-aguarda-que-paraguay-defina-fecha-a-la-mesa-de-negociacion.html

|10| http://ea.com.py/blas-n-riquelme-y-las-tierras-malhabidas-de-curuguaty/

|11| http://www.ultimahora.com/notas/537700-Organizaciones-sociales-dan-malvenida-a-Candia-Amarilla-en-el-Ministerio-del-Interior

|12| http://www.abc.com.py/edicion-impresa/politica/candia-amarilla-evidencia-su-plan-para-blanquear-a-camilo-soares-260481.html

|13| http://www.paraguay.com/nacionales/camilo-soares-ve-trasfondo-politico-en-acusaciones-sobre-manejo-de-fondos-de-emergencia-nacional-18067

|14| http://www.abc.com.py/edicion-impresa/politica/el-plra-exige-a-lugo-destitucion—de-candia-amarilla-para-no-apoyar-juicio-416149.html

|15| http://www.abc.com.py/nacionales/anr-se-desliga-de-nombramiento-de-candia-amarilla-415557.html

|16| http://latercera.com/noticia/mundo/2012/06/678-468392-9-insulza-advierte-por-destitucion-de-lugo-nadie-quisiera-que-esto-se-transforme.shtml

|17| http://www.portalguarani.com/detalles_museos_otras_obras.php?id=60&id_obras=1167&id_otras=174

|18| http://www.agronegocios.com.py/?p=19761

|19| http://diarioprimeraplana.com/index.php?option=com_content&view=article&id=1546:sugieren-precio-de-energia-electrica-para-multinacional-rio-tinto-alcan-&catid=41:economia&Itemid=89

Silvio Núñez est chercheur.



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Rio Tinto Alcán et le coup d’Etat au Paraguay (2ème partie)
Silvio Núñez | cadtm.org | jeudi 12 juillet


par
Silvio Núñez


Comme nous l’avions relaté dans la première partie de notre article, de hauts fonctionnaires gouvernementaux, responsables de la rupture institutionnelle au Paraguay, ont intensément manœuvré en faveur de la multinationale canadienne Río Tinto Alcán (RTA), principale bénéficiaire - tout comme les multinationales du complexe agro-exportateur - du changement de Chef d’Etat.

Diego Zavala : représentant de RTA ou conseiller du gouvernement ?

L’avocat Diego Zavala est devenu célèbre au Paraguay pour avoir négocié la rançon de son frère Fidel Zavala suite à un enlèvement revendiqué par la supposée guérilla de l’EPP |1| entre octobre 2009 et janvier 2010. Ses liens avec le gouvernement étaient alors des plus étroits, particulièrement avec le Ministre de l’Intérieur Rafael Filizzola, pré-candidat actuel à la Vice-présidence selon Efraín Alegre, sénateur libéral et candidat potentiel à la présidence |2|. En outre, Rafael Filizzola est cousin germain et opposant politique à Carlos Filizzola, Ministre de l’Intérieur de Lugo durant le massacre de Curuguaty |3|. Il est aussi le déclencheur du procès politique à l’encontre de Lugo. A présent, le Vice-ministre de l’Intérieur de l’époque et partisan de Rafael Filizzola, Carmelo Caballero, a été désigné Ministre de l’Intérieur |4| de Federico Franco.

Les premiers articles de presse sur Diego Zavala et Río Tinto Alcán sortent en octobre 2010. Très curieusement, la confusion semble régner dans les médias - comme au sein de l’opinion publique - quant au rôle joué par Diego Zavala. Ainsi, le site PARAGUAY.com signale le 26 octobre 2010 dans son article Les investissements de Río Tinto stimulent le gouvernement de Lugo :« De son côté, le représentant de l’entreprise à Asunción, Diego Zavala, a dit aux journalistes que le raffinage de l’aluminium emploiera mille travailleurs de manière directe et quelque neuf mille travailleurs de manière indirecte » |5|. Diego Zavala est qualifié de manière similaire dans l’article paru à la même date dans Última Hora |6|.

D’autre part, trois jours après la parution de ces articles, le quotidien ABC Color explique le rôle de Diego Zavala : « Participeront également l’avocat Diego Zavala, en sa qualité de coordinateur institutionnel pour le gouvernement paraguayen des investissements de cette entreprise, et l’économiste, Fernando Masi. » |7|.

En tant que représentant de RTA, Roberto Codas, frère du Directeur général d’Itaipú Gustavo Codas, a également participé à la réunion du 26 octobre 2010 au Palais (du Gouvernement) |8|.

Visite de l’entreprise au Canada

Quelques jours avant la publication dans le journal ABC Color de l’article mentionné dans le paragraphe précédent, le Vice-président d’alors, Federico Franco, a visité l’entreprise Río Tinto Alcán au Canada. Selon ABC Color : « Le Vice-président de la République, Federico Franco, a visité le site industriel dans la région de Saguenay dans la province du Québec (Canada). Après la visite et un examen minutieux, il a mentionné que l’entreprise ‘ est leader mondial de l’aluminium tout en assumant sa responsabilité sociale, en mettant grandement l’accent sur la sécurité au travail et en permettant le développement de la communauté locale là où l’entreprise est implantée’ » |9|.

A propos du commentaire du Vice-président de l’époque, mentionnons qu’en 2012 RTA a fait face à des dépôts de plaintes au Canada du fait de licenciements massifs de travailleurs. On dénonce le fait que RTA a choisi de vendre l’énergie à meilleur prix en contrepartie d’une réduction de la production d’aluminium et du licenciement de plus de 700 employés |10|.

A noter également les déclarations du Vice-président témoignant de son intérêt à concrétiser l’accord le 15 mai 2011 |11|, jour de la fête nationale où le Paraguay célébrait ses 200 ans d’indépendance.

Visite à Oman et au Bahreïn

Comme l’indique le quotidien Última Hora |12|, RTA a invité en février 2011 trois ministres à visiter des usines dans le Sultanat d’Oman : Francisco Rivas, Ministre de l’industrie et du commerce - le seul ministre confirmé dans son poste par le Président actuel Federico Franco -, Efraín Alegre, Ministre des travaux publics et des communications, qui a voté, en tant que sénateur libéral, en faveur de la condamnation de Fernando Lugo, et Dionisio Borda, Ministre des finances, indépendant, à présent démissionnaire et remplacé par le libéral Manuel Ferreira. Cependant, selon le Décret n° 6.146/11, seuls Rivas et Alegre auraient effectué ce déplacement et se seraient également rendus au Sultanat d’Oman |13|.

Un an plus tard, tandis que l’actualité sur le Bahreïn traitait exclusivement du printemps arabe, le gouvernement paraguayen reçut une invitation à se rendre à l’usine d’aluminium Alba, entreprise à actionnariat public majoritaire. La visite se déroula en février 2012. Río Tinto Alcán couvrait les frais d’hébergement et de séjour. L’entreprise avait demandé qu’un haut fonctionnaire du secteur énergétique fasse également partie de la délégation. Finalement, celle-ci fut composée de Francisco Rivas, Ministre de l’industrie et du commerce, d’Oscar Rivas, Ministre de l’environnement à présent démissionnaire |14|, et du conseiller de Francisco Rivas, Fernando Masi |15|.

Lors de la première visite, on ne prit pas en considération le fait que ce petit pays du Moyen-Orient, peuplé d’1,2 million d’habitants, était dirigé de manière autoritaire par une monarchie dictatoriale au pouvoir depuis 228 ans. On ne prit pas davantage en compte, lors de la seconde visite, le fait qu’après les manifestations qui se tenaient depuis un an et qui ont rassemblé près de 300 000 manifestants, il y eut plus de 1 500 arrestations arbitraires, plus de 1 800 cas de torture dénoncés et plus de 2700 travailleurs licenciés pour avoir participé aux manifestations |16|.

Mise sur pied de l’ETI

L’analyse du projet d’investissement de RTA a impliqué la mise sur pied, en janvier 2011, par Décret du Pouvoir exécutif n° 5938/11, d’une Equipe Technique interinstitutionnelle (ETI) coordonnée par le Ministre de l’industrie et du commerce et « composée des Ministères de l’industrie et du commerce, des travaux publics, de l’environnement, de la Chancellerie, de la Banque centrale du Paraguay et de l’Administration nationale d’Electricité (ANDE) » |17|. Dans le cadre de ce long processus d’analyse du projet, le consultant britannique CRU Strategie a été engagé.

La centrale hydroélectrique Itaipú Binacional a payé 470 000 $ US à CRU Strategie pour son travail de consultance grâce à un contrat direct « douteux » |18| conclu entre la firme binationale et CRU Strategie à la demande d’Héctor Lacognata |19| - alors Ministre des relations extérieures, ex-membre du Parlasur (Parlement de la communauté sud-américaine MERCOSUR) pour le parti Patria Querida (Patrie bien aimée) et conseiller de Miguel López Perito, ex-Chef de Cabinet de Fernando Lugo |20| -, Germán Fatecha |21| libéral, alors Président de la ANDE, et Francisco Rivas. Selon des critiques émises par la presse paraguayenne, CRU Strategie serait liée à RTA |22|.

Positions face au projet d’investissement de RTA

Après l’euphorie initiale à l’égard du projet d’investissement de RTA au Paraguay, dont le montant est passé de 2 500 à 3 500 millions de $ US, au cours des années 2011 et 2012 les positions se sont partagées voire polarisées. Ainsi, le 17 décembre 2011, deux jours avant l’Audience publique sur le projet d’investissement convoquée par le gouvernement, le quotidien La Nación publie |23| : « Fernando Lugo a indiqué que les investissements de Río Tinto Alcán ne créeraient pas tant de postes de travail mais qu’il s’agit plutôt d’un « appât » pour attirer d’autres capitaux de l’étranger. Il a ajouté que la demande d’un subventionnement via la réduction du prix de l’électricité en faveur de l’industrie prévue par la compagnie basée au Canada allait trop loin. Il a expliqué qu’en cinq ans, l’Etat y laisserait un milliard de dollars s’il acceptait de diminuer le prix comme le proposent les investisseurs. « Nous ne sommes pas ici pour offrir autant d’argent », avança le président » |24|.

L’article d’ABC Color du 23 avril 2012 présente un résumé de la situation. Les réactions des hauts fonctionnaires du gouvernement sont divisées.

Contre le subventionnement de RTA : la ANDE (Administration nationale de l’électricité), le Ministère des travaux publics et des communications (le MOPC dont dépend le Vice-ministre des mines et de l’énergie), la Commission des Sociétés binationales hydroélectriques (CEBH) dépendant du Ministre des relations extérieures (MRE). Leur position est fondée sur le fait « que le tarif ne peut descendre sous 60 $ US le mégawattheure puisque Itaipú Binacional perçoit pour cette même unité 48,8 $ US auxquels il faut encore ajouter à titre de compensation 8,4 $ US, ce qui fait un total de 52,2 $ US. Et ce montant n’inclut pas les pertes ».

En faveur du subventionnement : les représentants du Ministre de l’industrie et du Commerce (MIC), le Ministre des finances (MH), le Secrétariat technique de la planification (STP) et Itaipú Binacional. Il s’agit de « ceux qui ont fait remonter devant l’Exécutif le rapport technique qui recommande d’appliquer à RTA le tarif de 32 $ US le mégawattheure » |25|.

Conséquences pour RTA du coup d’Etat parlementaire au Paraguay

Comme nous le disions dans la première partie de cet article, deux éléments ont fortement attiré l’attention. Le premier est que le Canada ait été le troisième pays, après le Vatican et l’Allemagne, à reconnaître le nouveau gouvernement du Paraguay, prenant en considération l’apport fiscal important de RTA au gouvernement du Canada |26|. Le second élément consiste, grâce au coup d’Etat parlementaire, à avoir éliminé la majorité, sinon la totalité, des voix opposées au sein du gouvernement aux conditions imposées par RTA pour s’installer au Paraguay.

Aujourd’hui, nous avons entendu les premières déclarations sur RTA du nouveau Président de la ANDE (Administration nationale d’électricité), Carlos Heisele, du Parti Colorado : « Soyons clairs, la ANDE ne peut pas subsidier, n’est pas en condition de subsidier. De toute manière, on devrait en parler au sein de l’Equipe économique pour voir qui peut subsidier  » |27|.

Quelques minutes plus tard, la nouvelle suivante était publiée dans ABC Color : « ‘Le Président de la République, Federico Franco, a donné des instructions au Ministre de l’Industrie et du Commerce dans le but d’entamer au plus vite les négociations avec Río Tinto Alcán’ a informé le titulaire du portefeuille d’Etat, Francisco Rivas Almada. Il a dit que l’idée était d’avancer pour définir tous les points abordés dans les discussions avec l’entreprise et qu’il prévoit un investissement d’environ 4 milliards $ US… Il convient de mentionner que le Président actuel est un fervent partisan de l’arrivée de ce « méga » investissement dans la production d’aluminium… » |28|.

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Traduit de l’espagnol par Anne Deprez







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