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Les impacts toujours présents des anciennes mines d’uranium

Béatrice Héraud - 24/09/2010

mardi 28 septembre 2010

Après avoir exploité pendant plus de 50 ans des mines d’uranium, la France doit désormais gérer ces anciens sites pour en réduire l’impact environnemental et sanitaire. Un groupe d’experts vient de formuler des recommandations, après trois ans et demi de travail. Mais celles-ci sont loin d’être suffisantes selon la Criirad et des associations environnementales.

En 2001, la dernière mine d’uranium française fermait à Jouac, en Haute Vienne, mettant fin à 50 ans d’une exploitation du minerai devenue trop peu rentable. Entre 1948 et 2001, les mines principalement situées autour du Massif central, et particulièrement dans le Limousin, ont fourni 52 millions de tonnes de minerais dont 76 000 tonnes d’uranium et laissé 51 millions de tonnes de résidus de traitement ainsi que 166 millions de tonnes de stériles, des roches jugées insuffisamment riches en uranium pour être commercialisées mais qui émettent encore de la radioactivité. Aujourd’hui, ces 200 sites d’exploration, d’exploitation et de traitement ainsi que 17 sites de stockage de résidus de traitement des minerais (voir illustration) sont quasiment tous sous la responsabilité d’Areva. « Pour l’ensemble de ces sites la situation est sous contrôle mais il s’agit de garantir qu’elle le restera sur le moyen et le long terme », souligne Jean-Christophe Niel, directeur général de l’Autorité de sûreté nucléaire. Le dernier plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs demande par exemple des analyses complémentaires « afin de rendre plus robuste la démonstration de la sûreté à long terme des stockages » de résidus miniers. « Ceci est normal car la règlementation, les techniques, les attentes et les savoirs sur le sujet évoluent constamment ; par exemple, les normes européennes de radioactivités résiduelles extérieures sont passées de 5 millisieverts/an en 2002 à 1 mSv/an en 2010 ! », précise Laurent Balszyck, le porte-parole d’Areva sur la gestion des anciennes mines. En attendant, le réaménagement des sites, voire parfois leur réutilisation, continue de poser question.

L’impact environnemental et sanitaire des anciennes mines

« Dès 1992/1993, nous avons mis en évidence les problèmes posés par l’utilisation des stériles et le fait que le réaménagement était très mal fait avec une gestion insuffisante des résidus et une pollution des cours d’eaux par les métaux lourds radioactifs comme le radium. Malgré cela, Areva et les autorités publiques n’ont pas fait le nécessaire », affirme Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et responsable du laboratoire de la Criirad (commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité) qui travaille sur l’impact environnemental et sanitaire de ces anciennes mines. Des problèmes qui seront révélés au grand public par un documentaire –jugé « calomnieux » par Areva- diffusé en février 2009 sur France 3 « Uranium : le scandale de la France contaminée ». On y voyait notamment les équipes de la Criirad mesurer et trouver une radioactivité importante sur un parking de Gueugnon (Haute-Saône), dans une scierie de Saint-Priest-la-Prugne, dans la Loire, et sur d’autres terrains construits sur des anciens sites miniers ou sur des sous-bassement utilisant des stériles.

Matériau bon marché, voire gratuit, et considéré comme sans danger par la Cogema dans les années 70, le stérile a été utilisé par les particuliers et entreprises publiques dans les remblais de routes, de stades, d’écoles, de maisons… Problème : pour la Criirad, dans certains cas où ces matériaux sont excavés et utilisés pour remblayer le sous-bassement d’une habitation, l’impact radiologique peut dépasser les limites sanitaires par l’exhalation et l’accumulation de radon 222, qui peut sur longue exposition, favoriser l’apparition de cancer du poumon. De son côté, Areva, sur la page de son site internet dédiée au réaménagement des sites, écrit que « les remblais sont par essence stériles ; déduire, à partir de quelques points chauds observés, que la masse totale des stériles présente un niveau de radioactivité supérieur à la radioactivité naturelle ne fait pas sens. »

Une gestion des anciens sites contestée

Les stériles sont interdits dans la construction depuis 1984, mais il en reste encore dans un rayon de 20 à 30 kms autour des anciens sites, sans que l’on ne sache précisément où…« L’an dernier, nous nous sommes rendus compte que quelqu’un venait de s’en servir pour construire des chemins dans un camping », rapporte André Dubest, chef du service prévention des pollutions, des risques et contrôle des transports, de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement du Limousin. Areva doit ainsi survoler près de 3000 m3 d’anciens sites en hélicoptère pour recenser les stériles miniers disséminés. Un travail qui devrait s’achever en fin d’année et permettre par la suite d’établir un plan d’action.

Aujourd’hui, Bruno Chareyron reconnaît qu’il y a eu quelques progrès mais bien insuffisants par rapport aux enjeux. Ainsi, « à Saint-Pierre-du-Cantal, qui était la zone la plus choquante sachant que le lieu de l’ancienne mine a été réutilisé en terrain de foot, camping, lotissement, etc, Areva a réalisé des travaux cet été mais tout n’a pas été décontaminé. Sur le terrain de foot où nous avons retrouvé, à un mètre du sol, un débit de dose 6 fois supérieur à la normale par exemple, ils ont juste recouvert le terrain avec des terres neutres alors qu’il faut enlever les résidus d’extraction d’uranium qui sont en dessous », explique ce responsable de la Criirad. Et certaines villas, construites sur un lotissement où « des déchets radioactifs sont encore présents », dépassent « très largement les recommandations de l’OMS », affirme la Criirad. Pour Areva cependant, il faut rappeler que « ce village a les pieds dans le gisement d’uranium depuis 200 ans » et que « toutes les recommandations de travaux de la commission locale d’information et de suivi (CLIS) ont été effectuées ».

Se pose également le problème de la contamination de l’eau. Les sédiments de plusieurs cours d’eau en aval des mines d’uranium sont chargés en éléments radioactifs. Et selon plusieurs associations environnementales, comme Sources et Rivières en Limousin, ils « continuent de polluer les champs, les étangs voire l’eau potable » (en Haute-Vienne notamment, celle de Limoges aujourd’hui traitée ou celle de Saint Sylvestre où la Criirad a relevé en décembre 2009 des taux record en radon 222, non pris en compte par la règlementation). « Le lac de St Pardoux en Haute-Vienne par exemple a été curé de ses boues radioactives en 2006 par Areva, mais aujourd’hui les études de terrain montrent que malgré le bassin de traitement, la pollution est revenue à son niveau antérieur. Il faut être sûr que l’on récupère bien toutes les eaux qui sortent des sites », dénonce Antoine Gatet, juriste de l’association. « Effectivement on constate que le phénomène perdure mais la radioactivité est bien en deçà du seuil règlementaire et nous travaillons sur de nouveaux procédés de traitement pour capter le radium à la source », affirme de son côté Laurent Blasczyck.

Un manque de règlementation claire

« Le dossier des mines d’uranium a souffert d’être à cheval entre le monde minier et le monde nucléaire et de relever à la fois du code de l’environnement, du code minier et de celui de la santé », estime Robert Guillaumont, président du GEP Limousin, un groupe d’experts pluraliste sur les sites miniers d’uranium du Limousin, qui a rendu des recommandations sur la gestions des anciens sites miniers à Jean-Louis Borloo, le 15 septembre dernier. Au titre de celles-ci, des études sur l’impact de ces sites notamment sur les populations et les éco-systèmes - sachant qu’il n’en existe aucune pour ces dernières- ; une meilleure surveillance, notamment avec la multiplication des contrôles inopinés ; une meilleure information des parties prenantes ; et une évolution de la règlementation. Le tout devant « conduire à la mise en place d’une stratégie claire de la gestion des anciens sites à horizon 10 ans »…

Des recommandations jugées « peu courageuses et en retard sur les réalités locales » par Sources et rivières en Limousin. Et pour cause : la plupart de celles-ci ont été mises en place il y a un an et demi, notamment par une circulaire édictée peu après le reportage de France 3, et se retrouvent également dans le nouveau plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs qui vient d’être transmis au Parlement… « Certes le GEP reconnaît le problème de gestion des sites et la nécessité de faire des études sur les écosystèmes mais il n’y a aucune préconisation opérationnelle. Au niveau local, les pouvoirs publics ont pris la mesure du problème : depuis deux ou trois ans, on a une vingtaine de rapports sur les installations classées avec des relevés de pollution, de non-conformité mais on attend encore de savoir quels sont les niveaux de contamination des eaux et des sols à partir desquels il faut intervenir », souligne le juriste de l’association qui a participé aux travaux du GEP sans en valider le contenu. L’association, connue pour avoir bataillé avec Areva sur le terrain judiciaire pour dénoncer la pollution sur les anciens sites, entend donc récidiver en 2011.

Béatrice Héraud

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De la mine au photovoltaïque

Peut-on produire de l’énergie verte sur les anciennes mines d’uranium ? Le nombre de dossiers de projets de parcs photovoltaïques situés sur de tels sites pullule en tous cas dans les préfectures. En Loire-Atlantique par exemple, Juwi Enr vient d’obtenir un permis de construire pour développer le plus gros parc photovoltaïque de l’Ouest sur le site de l’ancienne mine de l’Ecarpière (Gétigné). D’une superficie d’environ 12 ha, il devrait alimenter en électricité plus de 1900 habitants par une puissance de 3,8 MWc à l’automne 2011. Mais si les candidats se pressent, les élus devraient être bien moins nombreux, prévient Areva. « Le photovoltaïque paraît effectivement plus adapté que la construction d’une école ou d’un hôtel, estime Bruno Chareyron, responsable du laboratoire de la Criirad. Mais cela n’empêche pas qu’il faudra y faire un état des lieux de la radioactivité résiduelle avec des mesures fiables et vérifier la stabilité de ces sols du fait des galeries sous-terraines. Il faut procéder au cas par cas ». Sur l’ancienne mine de Bellezane dans le Limousin où un autre projet de ce type est actuellement en réflexion, la Dréal recommande la prudence et demande par exemple que des études soient réalisées pour s’assurer que le projet ne dégradera pas l’environnement (couverture du site et ruissellement des eaux).


Voir en ligne : Les impacts toujours présents des anciennes mines d’uranium

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