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Porter une arme incite à en voir dans la main des autres

Pierre Barthélémy | passeurdesciences.blog.lemonde.fr | lundi 26 mars 2012

mercredi 11 avril 2012

LeMonde

Porter une arme incite à en voir dans la main des autres
Pierre Barthélémy | passeurdesciences.blog.lemonde.fr | lundi 26 mars 2012

Alors que, par l’entremise de François Bayrou, l’affaire Merah se transporte vers la question de l’accès aux armes à feu, un autre faits divers tragique, le meurtre de Trayvon Martin, provoque depuis un mois un émoi croissant aux Etats-Unis, pays de la Winchester et du deuxième amendement. Voici les faits : le 26 février, Trayvon Martin, un jeune Noir de 17 ans, a été abattu dans la rue à Sanford (Floride) par George Zimmerman, un homme blanc de 28 ans qui effectuait des rondes de surveillance dans son quartier. Zimmerman a prétendu avoir agi en état de légitime défense et il a été remis en liberté le temps de l’enquête. Trayvon Martin n’était pas armé. Au moment de sa mort, il téléphonait à sa petite amie et tenait un paquet de bonbons ainsi qu’une canette de thé glacé.

Comment un paquet de bonbons, une canette de boisson et un téléphone ont-il pu se transformer en menaces aux yeux de George Zimmerman ? Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce genre de cas n’est pas isolé et il arrive régulièrement que des policiers tuent des personnes munies d’objets tels qu’une tong, une brosse à cheveux, une bouteille de sport, un téléphone portable, une bouteille d’eau de Cologne, un portefeuille ou encore un pistolet... d’arrosage. A chaque fois, les représentants des forces de l’ordre ont cru voir une arme à feu dans la main de leur victime. A chaque fois, ils se sont trompés. Le stress suffit-il à expliquer ces hallucinations meurtrières ou bien existe-t-il d’autres causes possibles ?

Dans un article à paraître prochainement dans le Journal of Experimental Psychology : Human Perception and Performance, deux chercheurs américains, Jessica Witt et James Brockmole, ont voulu tester une hypothèse surprenante : est-ce que le simple fait de porter ou de brandir soi-même une arme biaise le processus de reconnaissance des formes et des objets et incite à voir un pistolet dans la main de celui qui tient une chaussure ? Plusieurs indices les ont conduits à formuler cette hypothèse. Au-delà du fait que certaines émotions, attentes ou supputations peuvent influencer la capacité d’un observateur à détecter et à catégoriser les objets, il y a aussi les enseignements de ce que l’on appelle la "cognition incarnée" : l’idée selon laquelle les gens perçoivent leur environnement en fonction de leur capacité personnelle à y réaliser des actions. Ainsi, une expérience a montré que les personnes larges d’épaule voient les encadrements de porte plus étroits qu’ils ne sont en réalité. De la même manière, les bons joueurs de base-ball, de tennis, de golf ou de basket voient leur "cible" (la balle, le trou ou le panier) plus grosse que les joueurs moyens. Autre exemple : une cible lointaine semble plus proche quand on peut la toucher avec un pointeur laser. La familiarité avec les objets ou notre habileté à les utiliser affecte l’information perçue sur la distance qui nous en sépare, leur taille, leur orientation ou leur vitesse. Mais cela peut-il se transposer à l’identification de ces objets. Pour le dire autrement : les personnes qui portent une arme à feu ont-elles tendance à voir le monde avec les yeux d’un tireur ? Savoir que l’on peut ou que l’on va utiliser un pistolet modifie-t-il l’identification des objets tenus par les ennemis potentiels ?

Jessica Witt et James Brockmole ont, pour avoir une réponse, mené une série d’expériences basées sur le protocole suivant. On montrait à des cobayes, sur un écran d’ordinateur, des images sur lesquelles des personnes, dans différentes situations ou décors, tenaient des objets, dont des armes à feu, ce pendant un temps relativement bref (850 millisecondes au maximum) mais suffisant pour discerner les choses. En attendant les images, les participants maintenaient appuyé le clic d’une souris d’ordinateur, soit avec un pistolet pour jeu vidéo, soit avec une balle en mousse. S’ils voyaient une arme sur l’écran, ils devaient lever la main vers lui. S’il n’y avait pas d’arme, ils baissaient la main vers le sol. La pression sur la souris servait à mesurer le temps de réaction entre l’apparition de l’image et l’identification de l’objet qu’elle présentait.

Après tout ce que j’ai écrit auparavant, il n’étonnera pas grand monde d’apprendre que les cobayes tenant le faux pistolet dans la main avaient nettement plus tendance à voir des armes à feu que ceux à qui on avait attribué la balle en mousse. Pour vérifier que c’était bien le fait de porter l’arme (et pas le fait de l’avoir vue) qui créait ce biais, une expérience complémentaire a été menée. Les cobayes n’avaient rien en main, mais la moitié d’entre eux réalisait l’expérience en voyant, posée sous l’écran de l’ordinateur, une réplique de pistolet très réaliste, présentée comme sortant de l’artillerie, qu’ils n’avaient pas manipulée ni même touchée. Dans ce cas de figure, il n’y avait aucune différence entre les deux groupes testés... Voir une arme à feu n’induit pas de biais de perception, la brandir, si.

Les auteurs de l’étude rappellent le proverbe selon lequel quand vous tenez un marteau, tout se met à ressembler à un clou. Si l’on repense à toutes les bavures dont j’ai parlé au début, la cause est probablement à chercher dans la psychologie de certains propriétaires d’armes de poing, qui brûlent de s’en servir. Mais ces expériences qui montrent, selon leurs auteurs, que "le simple fait de brandir une arme à feu augmente la probabilité que des objets non menaçants soient perçus comme des menaces" indiquent que ce phénomène constitue à n’en pas douter un facteur de risque aggravant. Pour Jessica Witt et James Brockmole, leur découverte devrait être intégrée par ceux qui conçoivent les entraînements des policiers. Mais comment fait-on pour l’intégrer à l’entraînement des simples quidams qui se prennent pour l’inspecteur Harry ?

Pierre Barthélémy (@PasseurSciences sur Twitter)


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