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Quand la misère chasse la pauvreté / La puissance des pauvres

samedi 25 septembre 2010

c’est une redite, ou presque, nous avons déjà évoqué les livres de Majid Rahnema qui nous "parle" des "biens communs"

mais nous avons trouvé une émission sur le net ou nous pouvons l’entendre...

N’hezitez pas !

écouter Majid Rahnema et Jean Robert parler du bouquin :

Afin de pouvoir écouter les émissions en lignes, vous devez télécharger Flash



terreaterre.ww7.be/la-puissance-des-pauvres


La Puissance des Pauvres

Majid Rahnema et Jean Robert

Actes Sud, Paris 2008

http://www.arbreapalabre.com

Cette nouvelle année démarrant timidement, j’entrepris sans véritable engouement, la lecture d’un livre qui de premier abord paraissait totalement anodin, mais qui s’est rapidement révélé édifiant. S’imbriquant parfaitement dans le contexte du Forum Social Mondial qui a lieu actuellement à Belem (Brésil), cette œuvre est le fruit d’une rencontre entre deux grands esprits et praticiens de notre temps : Majid Rahnema, Iranien, ancien ministre de l’enseignement dans son pays et longtemps coopérant pour l’UNESCO et Jean Robert, architecte des pays du sud et anarchiste de longue date. Cette coopération, réalisée grâce au génie d’un autre allumé du siècle dernier, Ivan Illich, propose une indispensable et intense réflexion sur la place de la pauvreté et du développement dans la société moderne.

Qu’est ce que la pauvreté ?

Contre toute attente, c’est un dialogue qui introduit ce livre. Dialogue entre ces deux hommes dont les voix s’élèvent rapidement contre les chantres du néolibéralisme et toute leur panoplie d’experts internationaux, employés à mettre en oeuvre les programmes de développement dans les pays qu’ils désignent selon leurs propres termes : En voie de développement, émergents ou sous-développés, c’est selon les chiffres.

Les classifications traditionnelles qui définissent la pauvreté à travers des données mathématiques (ex : moins de 1 ou 2 dollars par jour) est absolument impertinente devant les réalités anthropologiques. Nos deux acolytes nous invitent à revoir et revaloriser cette notion en lui apportant des attributs sociologiques et philosophiques trop souvent ignorés. La pauvreté dans laquelle a depuis toujours vécu l’essentiel de l’humanité est une pauvreté conviviale, voire même volontaire [1]. Dans les deux cas, elle s’inscrit dans un monde socialisé où les valeurs, les normes et les croyances s’imbriquent dans une représentation cosmologique harmonieuse, qui réuni directement l’homme à son environnement. Cette représentation constitue l’épistémè des individus chez Foucault [2].

La remise en cause de cet épistémè consentit et équilibré résulte généralement de l’introduction d’êtres et de savoirs-êtres extérieurs, générant des transformations irréversibles voire des destructions au sein même des sociétés vernaculaires. A travers ses techniques et sa logique, la société démocratique industrielle procède à une destruction généralisée de cet épistémè, généralisant une pauvreté d’un autre type : la misère. Concernant les pauvres comme les riches, ce phénomène a pris des proportions inestimables ces dernières décennies. Le développement est un Janus à deux faces...

L’éthique chez Spinoza :

Face à cette constatation nos deux compères s’érigent contre les théories développementistes des deux derniers siècles (qu’elles fussent d’inspiration libérale, socialiste ou communiste) et en appellent à la philosophie, notamment à certains de ses plus éminents représentants : Michel Foucault, Gilles Deleuze et surtout Baruch Spinoza. Ce dernier, le « plus philosophe des philosophes [3] », véritable lumière avant l’heure (il vécut au XVIIème siècle), définissait l’homme selon une dichotomie fondamentale : la Puissance (potencia) et le Pouvoir (protestas). Chaque individu serait en effet doté de ces deux attributs variables en fonction des caractéristiques internes propres à chacun (confiance, éthique…) et externes (ordre, morale….). « La puissance, immanente de chaque individu, est le fruit d’une maîtrise et plénitude intérieure tandis que le pouvoir, d’origine exogène, est l’exercice d’une force d’intervention sur les autres ». Le pouvoir étant bien souvent l’expression d’un manque de puissance. Selon lui, l’homme se doit d’explorer et de renforcer sa puissance intérieure afin de se libérer des émanations malsaines de son pouvoir.

Ce travail s’établissant à travers la construction d’une éthique endogène qui serait bâtie sur un équilibre entre la nécessité et la liberté, autrement dit entre la raison et le désir propre à chacun. C’est donc une société révolutionnaire qui est décrit ici, un ensemble d’individus sans pouvoirs qui se régiraient d’eux-mêmes autour de leur propre raison. L’immanence de leur propre puissance étant le pilier même de leur existence. L’ordre et la morale seraient effacés au profit d’une raison suffisante qui régulerait d’elle-même les effets pernicieux du désir.

La puissance des pauvres

Face au pouvoir aliénant de la société occidentale, nos deux compères parient donc sur la résurgence des puissances des pauvres et défendent un retour à la pauvreté véritable et consentie (comme le prônait Gandhi à son époque [4]) en se restructurant autour des piliers des sociétés vernaculaires. De nombreuses expériences basées sur ces principes sont actuellement en pratique dans divers endroits du monde. Pour ne nommer qu’eux : les néozapatistes du Chiapas, les sans-terres du Brésil, ou encore les indiens du mouvement Janadesh. On ne parle alors ni de révolution, ni d’utopie, mais de désirs révolutionnaires et surtout, de Réalité.

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Notes de bas de page :

 [1] Voir page 46
 [2] Michel Foucault, les mots et les choses, une archéologie des sciences humaines, Paris, 1966, p.179
 [3] Gilles Deleuze, Spinoza. Philosophie pratique, Paris, 2003, p.174
 [4] Un chapitre du livre est totalement dédié à l’illustre révolutionnaire indien : Ghandi ou la puissance des pauvres, p. 125


A propos du livre de Mahjid Rahnema

Quand la misère chasse la pauvreté

lalignedhorizon.org/

Du livre de Mahjid Rahnema Quand la misère chasse la pauvreté (Fayard/Actes Sud, 2003), il ressort très clairement que le développement, sous toutes ses formes, y compris son dernier avatar (durable) n’est pas compatible avec un véritable renouvellement économique et social qui fasse la place aux pauvres. L’économie sociale (on pourrait ajouter, pour faire bonne mesure, et solidaire), dans ses formes les plus courantes, y apparaît comme complice de ce développement imposé aux pauvres et qui ne tient compte ni de leur réalité ni de leurs aspirations. Me revient en mémoire l’exemple de ces amis éleveurs récemment rencontrés qui, au début de leur installation agricole il y a vingt ans, furent poussés par les services de développement de la Chambre d’Agriculture de l’Aude à élever des bovins, et qui, résistant aux sirènes du "développement agricole", se sont maintenus depuis dans un élevage de chèvres volontairement limité, ce qui leur permet de vivre d’autres valeurs que celles de la société dominante, de consacrer du temps à une solidarité vécue, à l’action syndicale etc Voici ce qu’écrit Mahjid Rahnema dans le livre précité :

"La société met au point tout un ensemble de stratégies à caractère social, éducatif, économique, sanitaire, etc, de mesures de persuasion et de dissuasion, de programmes de formation, de rééducation et d’intégration sociale, pour "moderniser" les pauvres, les transformer en sujets de désirs et de besoins. L’assistance sociale proprement dite ne sera alors plus considérée comme la fourniture de bouées de sauvetage elle se sera transformée en instrument dynamique et préventif incitant chacun à alimenter la machine productive C’est à l’économie sociale’ qu’il revient d’avoir jeté les bases d’un véritablegouvernement de la pauvreté’ (p 256) Cette économie sociale n’a jamais cherché à remettre en question le pricipe d’expansion de la production " (qu’on, en juge par l’exemple de l’évolution des coopératives agricoles françaises !). "Elle a pris au contraire très au sérieux les avertissements de Malthus au sujet de son paysan irlandais’(cf p 253 : un pauvre assez semblable à ceux des sociétés vernaculaires, un archétype humain plutôt menaçant pour l’avenir de l’économie qui ne semblait aucunement attiré par la possession d’objets, heureux de son état. Véritable anti-homo oeconomicus, il représentait une menace permanente pour la croissance économique) et estimé que ce dernier ne devait pas être considéré comme un adversaire du pouvoir, mais comme l’un de ses futurs alliés. La société avait donc tout intérêt à prendre soin de lui, à l’éduquer pour en faire un sujet de désir et de besoins ; pour qu’il intériorise les nouvelles valeurs et consente de son plein gré à mettre son travail au service de cette société de consomation (p 258)". Je pense, en lisant ces lignes, à l’évolution qui a affecté les paysans français depuis 1960, et qui en est l’illustration parfaite, jusqu’au désastre actuel qui en résulte pour beaucoup sinon pour la plupart. L’’Etat providence’ apparaît comme l’outil premier de cegouvernement de la pauvreté’ : "il prend en charge la question de la pauvreté Il est infiniment plus préoccupé de se protéger des pauvres que de leur accorder un statut de citoyen à part entière, qui pourrait mettre en cause les structures discriminatoires de la société (p 261) Les promoteurs des grandes réunions internationales régulièrement organisées en faveur de l’aide aux pauvres évitent soigneusement tout débat sur les causes profoncdes de la misère et de l’injustice. En effet ils savent pertinnemmment qu`un examen attentif de ces causes dévoilerait l’imposture perpétuée aujourd’hui à l’échelle mondiale sous le masque de l’aide " (p267) L’auteur critique ensuite Stiglitz qui, constatant (dans la Grande Désillusion que "la mondialisation ça ne marche pas" n’en propose pas moins des solutions de "chirurgie esthétique" pour améliorer la situation (p 278). "Aussi le temps est-il venu de voir la vérité en face : il faut soit se résigner à une version modernisée de servitude volontaire (le développement durable par exemple que l’auteur critique à la page précédente) et accepter toutes les conséquences du nouveau système de gouvernance que l’économie de marché nous a déjà imposé, soit nous mettre individuellement et collectivement, chacun à notre niveau de possibilités, à la recherche de nouveaux paradigmes . " (p 282).

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