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Rwanda : raconter l’histoire sans raconter d’histoires

Olivier Falhun | humanitaire.blogs.liberation.fr | 8 février 2012

lundi 13 février 2012



Rwanda : raconter l’histoire sans raconter d’histoires

  • Par Olivier Falhun

La publication d’un rapport d’expertise sur la destruction en vol de l’avion du président Habyarimana en avril 1994 a fait l’effet d’un coup de théâtre. Pour la majorité des médias, ce document innocenterait l’actuel président du Rwanda, Paul Kagame, de l’attentat considéré comme déclencheur du génocide des Tutsis du Rwanda.

Vérité « qui dérange » pour Le Monde, « irréfutable » pour Libération, cette expertise a généré une première vague d’articles de presse disqualifiant l’hypothèse d’une implication du Front patriotique rwandais (FPR) dans cet attentat. Les premiers effets de telles affirmations n’ont pas tardé : un article était posté ici même pour questionner ces conclusions péremptoires dix-huit ans après les faits. Ancien journaliste à Libération, Stephen Smith s’étonnait à son tour d’un tel traitement de l’information dans les colonnes de ce même quotidien par une tribune intitulée « Des preuves sans conclusions ». Filip Reyntjens constate pour sa part dans Le Monde qu’on « aime trop les histoires simples ». L’auteur de Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l’histoire résume ainsi ce que Jean-Hervé Bradol, Rony Brauman et Claudine Vidal écrivaient récemment sur le site de Marianne2 : « De tout temps, les conteurs comme leurs publics ont préféré les histoires où les bons combattent les méchants plutôt que celles où les salauds en affrontent d’autres ». 

Kibeho

Au rappel des centaines de milliers de morts rwandais et congolais imputables au FPR, à l’étonnement et aux doutes exprimés après une couverture médiatique sans nuance sur les auteurs de l’attentat, ont depuis répondu les accusations portées par les tenants d’une version tranchée des événements du 6 avril 1994. Pour Michel Sitbon, des intervenants comme JH. Bradol, R.Brauman, et C.Vidal « insultent tous ceux qui se battent pour que la responsabilité française dans le génocide des Tutsis soit prise en compte ». Il n’a manifestement pas lu une tribune publiée dans La Croix le 3 novembre 2004 où ces mêmes auteurs dénoncent la dénégation constante par certaines autorités françaises de leurs responsabilités dans le génocide. Qualifiant l’article de Marianne2 ou la prudence de l’hebdomadaire Politis [1] de « propagande des services français », M. Sitbon n’hésite pas également à parler d’intoxication et de négationnisme, relayant même un article publié sur un site dont on ne peut que malgré nous faire la publicité : « Rwanda : la grande manip ». Intitulé « MSF se crashe sur le rapport Trévidic », ce papier en rajoute dans l’insulte et donne la nausée par les accusations et les insinuations qu’il contient. Surtout, il passe une nouvelle fois sous silence les responsabilités de Paul Kagame et de son armée dans les crimes contre l’humanité perpétrés après le génocide, au Rwanda et en RDC.

Quant au rôle de la France, le quotidien Le Monde s’interroge dans son édition du 27 janvier par une tentative d’analyse de surplomb : « Quel événement récent suscite des positions aussi tranchées, des haines aussi personnelles, ou déclenche pareille fureur verbale ? (…) Le Rwanda rend-il fou ? » se demandent les journalistes Christophe Ayad et Philippe Bernard dans un article intitulé « Rwanda, une passion française ». Pour Marc Le Pape et Claudine Vidal, co-signataires d’une réponse proposée au quotidien du soir et intitulée « Où sommes-nous ? », ces journalistes ne sélectionnent dans la question rwandaise que ce qui leur permet de construire un récit fondé sur « une logique binaire, simpliste et média-centrée », opposant deux auteurs, Patrick de Saint Exupéry et Pierre Péan ; les convaincus d’une France complice et ceux qui considèrent qu’elle n’a rien à se reprocher ; ceux pour qui les crimes du FPR et de leur leader Kagame ne posent pas de problème et ceux qui l’accusent de l’attentat comme du reste. « Dans ce cadre, cet article ignore tous ceux qui détruiraient la symétrie de leur tableau, y compris dans le monde de la recherche où ils prolongent leur élan de classement » écrivent les deux sociologues.

Alors, que s’est-il vraiment passé ce 6 avril 1994 ? Une fraction extrémiste des Forces armées rwandaises est-elle à l’origine de l’attentat contre un président issu de leurs rangs ? A ce stade, la réponse semble relever davantage de l’intime conviction que de l’incontestable. Mais dans l’affrontement médiatique, les enjeux politiques sont inextricablement liés à la recherche d’une vérité réduite à un enjeu de lutte. Dans l’ordre imposé de cette bataille rangée, chacun doit se battre pour forcer l’histoire, au risque de raconter des histoires. « De la nécessité de ne pas écrire trop vite » reconnaît Denis Sieffert dans Politis. Pour l’éditorialiste qui s’est lui aussi pris les pieds dans le tapis avant de lire le rapport, l’expertise finalement « ne dit rien de ce qu’on s’est empressé de lui faire dire, et de ce qu’on a fait circuler ».

[1] Rwanda, une vérité qui se dérobe - Politis - Non disponible en ligne

© MSF - Camp de Kibeho, Rwanda - 1995.



transmis par Michel Lang
Mon, 13 Feb 2012 17:59:41 +0100




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Messages

  • Rwanda : les médecins des services français frappent encore…
    Michel Sitbon | parisseveille.info |samedi 11 février 2012

    Chouette, une polémique ! Me voilà nommément pris à partie par un blog d’amis de Médecins sans frontières. Son auteur n’apprécierait pas que j’ai dénoncé ici ses petits camarades pour les mauvais services qu’ils rendent à la vérité, lorsqu’ils opposent un déni amusant au rapport du juge Trévidic sur l’attentat contre Juvénal Habyarimana déclencheur du génocide des Tutsi du Rwanda en 1994.

    De quoi discute-t-on ? Voilà dix-sept ans aujourd’hui que je dis et redis la même chose. Mon premier article sur le sujet était publié dans le n°1 de Maintenant en janvier 1995. En 1998, j’ai fait paraître un livre, Un génocide sur la conscience, où je développais le même raisonnement. Et depuis cinq ans, j’anime même une revue La nuit rwandaise spécialisée sur la question de l’implication française dans ce génocide. En tant qu’éditeur, j’ai publié nombre d’auteurs, Mehdi Ba, Gérard Prunier, Vénuste Kayimahe, Benjamin Sehene, Jean-Paul Gouteux, Jacques Morel, qui auront tous contribué à une connaissance approfondie du sujet. Au total, il y a là des milliers de pages non d’opinion mais d’information (dont je suppose que le monsieur qui m’interpelle ne se sera pas donné la peine d’en lire).

    D’autres ont contribué à la connaissance de ce dossier. Je pense en particulier à la journaliste belge, Colette Braeckman, mais aussi à Pascal Krop, et François-Xavier Verschave, qui, dès 1994, publiaient des livres mettant en cause ce que Krop avait qualifié en titre de son ouvrage de « génocide franco-africain ». D’autres journalistes tels Jean-Chatain, Jean-François Dupaquier, ou Patrick de Saint-Exupéry, se sont aussi distingués dans cette bataille pour la vérité. On en oublie bien sûr, mais il faut saluer particulièrement les efforts de l’association Survie pour que soit pris en compte cet effroyable crime post-colonial.

    Pendant le génocide, le 18 mai 1994, Alain Frillet et Sylvie Coma publiaient un dossier de huit pages dans Libération dénonçant la complicité active de la France dans l’horreur alors en cours dans ce petit pays d’Afrique. On y apprenait, entre autres, que des livraisons d’armes au bénéfice des assassins se poursuivaient encore, et que François Mitterrand s’était préoccupé personnellement de faire venir en France la veuve du président Habyarimana, figure importante du groupe génocidaire rwandais.

    J’en oublie d’autant plus facilement que je n’ai pas tout lu, et j’aurais raté, en 2004, dans La Croix un article signé par quatre de ces proches de MSF qui écrivaient des phrases que l’on peut assurément contresigner : « Le génocide des Rwandais tutsis a bien eu lieu, la France a une responsabilité considérable dans ce qui est arrivé au Rwanda, et la dénégation constante de cette responsabilité rejaillit sur tout le corps politique français. »

    C’est en effet de cela que l’on parle. Nos auteurs, Rony Brauman, Jean-Hervé Bradol et Claudine Vidal, alors avec le renfort dAndré Guichaoua, en appelaient à “une démarche d’humilité en direction du peuple rwandais consistant à reconnaître la simple vérité : alors que « tout le monde savait qu’il y avait une énorme perspective de massacres », selon les propres termes d’Hubert Védrine, les responsables politiques français n’ont pas mis tous les moyens à leur disposition pour paralyser les autorités politiques et militaires rwandaises qui préparaient le génocide”.

    Sans attendre 2004, le même Bradol était à la télé, le 18 mai 1994, jour de la parution de ce fameux numéro de Libé, pour inviter le gouvernement français – et la Présidence de la république – à intervenir aussitôt en lançant un appel à l’arrêt du génocide dont il avait de bonnes raisons de penser qu’il pourrait être d’une grande efficacité pour démobiliser les assassins en leur retirant leur seule légitimité : l’appui sans faille du “pays des droits de l’homme”.

    Alors de quoi discute-t-on ?..

    lire la suite sur parisseveille.info

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