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Keynes, le clairvoyant

Olivier Cabanel | agoravox.fr | vendredi 10 février 2012

vendredi 10 février 2012




Cet homme étrange, ne se levant que rarement avant midi, économiste intuitif, était-il le premier décroissant ? Il a été en tout cas, l’un de nos plus originaux de nos économistes.

« Une vie une œuvre », l’émission bien connue de « France culture », s’est donnée pour mission d’évoquer la vie de John Maynard Keynes, dans une diffusion éditée sous le titre de «  un économiste au service de la vie  ».

Cette émission réalisée par Marie Laure Ciboulet, présentée par Matthieu Garrigou-Lagrange a été diffusée le 4 février 2012. lien

Keynes voulait créer une monnaie mondiale sur laquelle se seraient basées toutes les autres monnaies, et s’il n’a pas été suivi à l’époque, il a été l’un des plus clairvoyants des économistes mondiaux. lien

Né en 1883, mort à la fin de la 2ème guerre mondiale, en 1946, il était d’abord un collectionneur averti de timbres, de tableaux, de monnaies, de livres rares, d’autographes, de manuscrits ; Ce joueur de bridge, professeur de Cambridge, rêvant d’être un artiste, un écrivain, est avant tout le père de « la macro-économie ».

Sa théorie, basée entre autres, sur la relance par l’Etat, revient au devant de la scène à la lumière de la crise actuelle.

Il se considérait avant tout comme un philosophe, bien avant de pencher pour le qualificatif d’économiste, et gagnait sa vie en pratiquant l’achat et la vente d’actions, rien de bien original au fond, mais était aussi un conseiller de talent auquel ont fait appel de grands dirigeants, comme Roosevelt, entre autres.

Il place tout en haut de son tableau d’honneur les artistes, puis les intellectuels, et ensuite les chefs d’entreprises, expliquant que ceux-ci rêvaient d’être des créateurs, ce qu’ils sont à leur manière, en concluant ce tableau par les spéculateurs, même s’il est l’un d’eux, et les rentiers qu’il déteste cordialement.

Sollicité par le gouvernement britannique pour participer à l’effort de guerre, dans l’administration pour s’occuper de l’organisation de la finance de l’économie de guerre britannique, il ne fait ni une, ni deux, il abandonne provisoirement l’ouvrage fastidieux sur la probabilité qu’il était en train de rédiger, part à Londres dans le side-car de la moto de son beau-frère ; En 2 ou 3 mois il va se rendre indispensable, et, alors qu’il n’a que 30 ans, et finira par représenter l’Angleterre aux côtés de Lloyd Georges lors du traité de Versailles, suite à la capitulation allemande, rencontrant à cette occasion Clémenceau, Wilson

Il va se montrer particulièrement clairvoyant lors de la conclusion de ce traité, et va démissionner bruyamment, dénonçant l’erreur manifeste des termes de celui-ci, convaincu d’avance que cet accord ne pourra déboucher que sur un nouveau conflit, déclarant « vous êtes en train de mettre en place les conditions d’une nouvelle guerre en essayant d’étouffer l’Allemagne, et en lui faisant porter toute la responsabilité du conflit ».

Il avait compris que les réparations demandées étaient plus que ce que les allemands pouvaient payer, amenant inévitablement la misère du pays, mettant en place une « machine à étouffer le pays  » avec les conséquences que l’on sait aujourd’hui : l’arrivée d’Hitler.

Il va d’ailleurs en écrire un livre : « les conséquences économiques de la paix  », livre qui va devenir par la suite quasi un best-seller, lui assurant ainsi une notoriété mondiale.

Extrait : « la politique qui consisterait a réduire à la servitude une génération d’allemands, a abaissé le niveau de vie de millions d’êtres humains, et a privé de bonheur une nation toute entière, serait odieuse et abominable, et elle le serait même si elle nous permettait de nous enrichir, même si elle ne semait pas la ruine de toute vie civilisée en Europe (…) et la justice n’est pas autorisée à faire retomber sur les enfants de l’ennemi les crimes de leurs parents ou de leurs maîtres ».

A la suite de sa décision, il va devenir un enseignant pour le moins original, refusant d’être salarié, venant de temps en temps faire ses cours, suivant les travaux de quelques élèves, et parallèlement, il sera autant journaliste, que spéculateur, afin de gagner sa vie.

Sa grande découverte, c’est d’affirmer, après avoir découvert, et rencontré Freud, que le fondement de l’économie c’est avant tout la psychologie.

Garder l’argent, l’accumulation, l’épargne, c’est quelque chose qui, d’après Freud, renvoie à l’enfance, et Keynes reprend ce concept, en y ajoutant celui de Midas, qui veut que « trop de désir d’argent peut conduire à la mort  », (lien) en ajoutant que le rentier, c’est celui qui est en train de nous tuer, en accumulant l’argent et asphyxiant ainsi l’économie.

Keynes va opposer la macro-économie et la micro économie, celle qui est l’addition de micro décisions prises des individus, à l’échelle d’un marché précis, limité, expliquant que cette micro-économie, ce sont de petits détails, à l’opposé de la macro économie qui est l’étude de l’économie à l’échelle d’un pays, mettant au devant de la scène l’état lui-même, lequel ne se substitue pas aux investisseurs habituels, mais vient donner l’impulsion nécessaire au développement d’un pays, capable d’intervenir lors d’une crise par exemple. lien

Keynes bat aussi en brèche le « sophisme de la vitre cassée » : un gamin casse une vitre, et va donc involontairement donner du travail à un vitrier, sauf que creuser un trou et le reboucher n’est pas productif et que l’argent qui a servi à la réparation de la vitre aurait pu permettre l’achat, par exemple, d’une paire de chaussures. lien

A une autre échelle, une guerre va provoquer plus tard une reconstruction, amenant de la croissance, sauf que l’on ne fait que reconstruire ce qui avait été détruit, procurant ainsi un progrès illusoire.

Il défend une espèce de morale esthétisante en disant, il ne s’agit pas de « donner de l’argent aux pauvres  » mais pour faire fonctionner l’économie, il est rationnel de donner de l’argent à ceux qui ont besoin de consommer, au lieu d’épargner et de spéculer, et il faut verrouiller la spéculation afin de maitriser l’économie, puis la faire passer au second plan, afin qu’on puisse parler de beauté et d’amour.

Que penserait-il aujourd’hui de ceux qui réclament l’instauration d’un logique R.U. (revenu universel) ? lien

Il est prémonitoire en quelque sorte du concept de Léon Paul Fargues et de son « droit à la paresse  », ou de Paul Ariès, promoteur de la décroissance. lien

Keynes pense que les hommes seront meilleurs « s’ils sont dans la beauté », s’ils ont accès à la culture et que dans ce cas, ils seront moins tentés par l’accumulation.

Il défend aussi l’idée que les hommes ne doivent pas trop travailler, et que le progrès technique devrait pouvoir leur libérer du temps libre pour les loisirs et la culture, prophétisant que cela se arrivera dans les années 2020/2030.

Nombreux sont ceux qui aujourd’hui demandent à ce que l’argent gagné par les machines, les robots, chers à Asimov, soient redistribué aux travailleurs remplacés par ceux-ci.

Certains s’interrogent encore aujourd’hui sur l’opportunité des machines, et proposent même un retour en arrière, puisqu’il y a eu, et il y aura peut-être encore, des « briseurs de machines », ceux évoqués par François Jarrige, dans son livre « au temps des tueuses de bras  ». lien

Dès 1800, sous la houlette d’un certain Ned Luddham, un mouvement, baptisé le luddisme, poussa des ouvriers à casser des machines, (lien), ce qui n’empêche pas Joanna Pomian, dans son reportage subjectif, de prendre le contrepied, évoquant le cas de Ferrari, le célèbre constructeur de voitures, affirmant que jamais un robot, dans ce domaine d’excellence, ne pourra remplacer la machine. lien

D’autres pensent que nous sommes devenus des robots, ce que l’on pourrait accepter en regardant cette vidéo, ou lorsque l’on voit un robot officialiser l’union d’un couple de japonais, découvrant à quel point les machines repoussent les limites des attributions humaines. lien

Mais revenons à Keynes.

Il n’aime pas la société dans laquelle il vit, car justement, elle ne produit pas de la beauté.

Il va d’ailleurs participer activement à en faire la promotion en faisant connaitre les peintres français dans son pays.

Favorable d’abord à l’étalon or, il va abandonner cette idée, pensant que cela ralentit la croissance, et devant la crise financière de 1930 qui menace l’Europe, et la guerre qu’il sent poindre, il va défendre le concept d’une monnaie étalon internationale qu’il va appeler le « bancor » et qui ne serait surtout pas le dollar.

Il ne sera pas écouté, et ce sont les USA qui imposeront leur loi, lors des accords de Bretton Woods, même s’il obtiendra quand même la création d’un fond monétaire international. lien

Mais cette macro économie voulue par Keynes, si elle existe aujourd’hui, a connu les dérapages que l’on sait, avec la mondialisation, le chômage et l’inflation dont Keynes pensait à tort que l’un excluait l’autre, avec son lot de paradis fiscaux, qui aujourd’hui dominent en grande partie la finance, avec aussi la « revanche des créanciers  », lesquels ont imposé la libéralisation, et la spéculation qui va avec.

L’émission complète est sur ce lien.

Dans le droit fil de la pensée Keynésienne, un prix Nobel d’économie, Paul Krugman vient de donner, pour la modique somme de 485 € par personne, une conférence qu’il a conclu par cette phrase cruelle à l’adresse des « experts » de la finance venus l’écouter : « le bon sens ne s’applique plus dans un monde où la vertu est devenue un vice et la prudence, une folie ».

Comme dit mon vieil ami africain : « à quoi ça sert à rien de devenir l’homme le plus riche du cimetière  ? ».

L’image illustrant l’article provient de « philippulus.daily-bourse.fr »

Olivier Cabanel




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