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Ordinateurs, télévisions, tablettes... Sommes-nous accros aux écrans ?

Monique Dagnaud | slate.fr | lundi 16 janvier 2012

dimanche 22 janvier 2012

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A trop vivre avec la télé et les ordinateurs, notre cerveau serait en train de se transformer. Et pas de bonne manière. Examinons les alertes des scientifiques.

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La vie par écrans interposés ? Une exaltation continument relancée. A chaque seconde, un échange, une information, une image, un récit, une enfilade de surprises. Soi, et le monde pour soi, grâce à un clic. Qui aurait imaginé un jour éprouver un tel nirvana, embrasser tant de liens et être autant auto suffisant ?

Et voilà que des scientifiques
viennent gâcher la fête. A trop vivre de l’autre côté de l’écran, nous serions
en train de perdre raison. Des drogués,
des somnambules : notre cerveau serait en train de se transformer. Même si ces
prophéties ne sont pas si nouvelles, le temps consacré aux écrans s’étant
démultiplié au cours des dernières années — les Français y passent la moitié de
leur temps de loisirs, examinons ces alertes.

D’abord celle qui concerne
l’écran le plus regardé : la télévision. Le
neuroscientifique Michel Desmurget
, dans son livre TV Lobotomie (Max Milo, 2011), armé des centaines de travaux qui
établissent une corrélation entre l’exposition aux images télévisuelles et la
dégradation des compétences cognitives et sociales, en appelle, après bien
d’autres chercheurs, à une prise de conscience collective.

Il désigne plus que tout son rôle
néfaste dans l’environnement éducatif des enfants. Selon lui, la télévision formate le développement du cerveau, entrave
la progression linguistique, génère des troubles de l’attention, subordonne la
façon de penser, contraint l’imagination… bref, cette maîtresse du logis « constitue du point de vue ontogénétique un
temps stérile, parfaitement inutile. Elle n’enseigne rien, ne câble rien, et en
dernière analyse ne sollicite aucune des compétences fondamentales que le cerveau
en formation doit construire »
, écrit-il.

Où sont les virtuoses du multitasking ?

Les thuriféraires de la Web
culture peuvent-il se réjouir de cette vision à charge contre « l’ancêtre
d’internet » ? Pas du tout. De fait, le chercheur, rappelant que selon plusieurs
études la majeure partie des jeunes n’utilisent que les applications les plus
simples de cet outil et sont loin d’être des virtuoses de la recherche dans le
réseau et du multitasking, inclut internet dans sa dénonciation.

Ces
accusations contre la société des écrans s’inscrivent dans la suite d’autres
analyses récentes, par exemple, celles du journaliste Nicholas Carr (Internet rend-il bête ?,
Robert Laffont, 2011), ou celles du philosophe Jannis Kallinikos (Governing Through Technology. Information
Artefacts and Social Practice, Palgrave Macmillan, 2010
).

Ces travaux pointent la main
invisible (du marché) qui, derrière l’architecture sans cesse perfectionnée des
moteurs de recherche ou des réseaux, incite l’internaute à circuler sans répit
et le plus vite possible, moyen pour l’opérateur de maximiser les recettes
publicitaires qu’il tire de cette déambulation.

« Les profits de Google sont directement liés à la rapidité à laquelle
les gens absorbent de l’information… Chacun de nos clics crée une rupture de
notre concentration, une perturbation ascendante de notre attention…. Google
est vraiment au sens propre dans le business de la distraction »,
écrit
Nicholas Carr.

Les sites d’information, ou communautaires comme Facebook et
Twitter, fonctionnent sur le même modèle, l’injonction à la rapidité de
consultation, en lançant des alertes de plus en plus rapprochées. Résumons : nos
cerveaux survolent cette marée d’informations, et, et happés dans les mâchoires
de l’urgence, perdent l’aptitude à la réflexion en profondeur.

Les médias influent-ils sur les comportements ?

Aucune raison de douter de la
bonne foi des contempteurs de la civilisation des écrans. Le passage d’une société de l’écrit à une
société des images, d’une lecture de type linéaire propice à la réflexion,
d’une part, à une circulation dans des hypertextes qui favorise « la lecture en diagonale, la pensée hâtive
et distraite, et l’apprentissage
superficiel »
(Nicholas Carr), de l’autre : tout ceci mérite considération
et interrogations.

Toute l’œuvre de Marshall McLuhan est
consacrée aux effets de la technologie sur les sens, et ce théoricien des
communications n’a cessé d’affirmer que les transformations dans les modes de
sollicitation du cerveau induisaient des changements culturels cruciaux : ce qui
était plus intuitif que prouvé à son époque s’est trouvé largement confirmé par
les travaux des neurologues.

Toutefois l’axe du déterminisme
technologique emporte des limites, car il est difficile d’isoler, dans sa
pureté du diamant, l’effet média parmi l’ensemble des paramètres cumulatifs (historiques, sociaux
culturels, familiaux, individuels, etc)
qui influent sur les comportements : par exemple, sur l’échec scolaire ou les
attitudes violentes, deux préoccupations souvent imputées à la responsabilité
des médias d’images.

« Il serait sage de
réserver tout jugement de valeur dans l’étude des médias, puisqu’il est
impossible d’en isoler les effets »,
notait raisonnablement l’auteur de Pour comprendre les médias.

Par ailleurs, d’autres travaux
infirment la toute puissance des médias électroniques. La sociologie
fonctionnaliste
américaine, en s’écartant de la théorie des effets, et en
empruntant d’autres pistes (modes d’utilisation, gratification attendue, thème
de l’agenda : « A quoi les médias font-ils penser ? », mécanismes de
formation de l’opinion, etc) montrent que les interactions entre les médias et
la société, qui procèdent d’un mouvement bi-directionnel, sont infiniment plus
complexes que ne le suggère l’approche par la causalité directe.

Engourdissement

Les études sur la réception,
enfin, grande spécialité de la sociologie anglaise des médias (école de
Birmingham), désignent un spectateur actif, qui s’appuie sur sa propre
expérience, sa culture, son environnement immédiat, sa capacité de
socialisation, pour interpréter les messages, construire ses propres défenses et
s’approprier des textes médiatiques.

Cela étant, il est vrai que les
pratiques d’écrans croissent de façon spectaculaire
, en raison de la profusion des supports (télé,
tablettes, smartphones), de leur nomadisme,
et de l’infinité des contenus qui y circulent. Les outils de
communication en réseaux, promesses de toujours plus de gratifications et
d’excitations, ont fait entrer les secteurs de l’information dans le domaine
des marchandises à caractère addictif, décuplant de façon considérable une propension
déjà observée à propos de la télévision.

Plutôt que de porter l’attaque contre
les contenus et les usages, tellement diversifiés qu’aucune opinion à leur
endroit ne pourra jamais faire consensus, l’approche pertinente, semble-t-il,
c’est donc bien de s’alarmer de la dépendance possible à l’égard de la glisse
sur écrans. L’ivresse qu’y trouve l’usager est bien supérieure à celle procurée
par le feuilletage de livres et par beaucoup d’autres activités récréatives.

S’y mêlent en effet le plaisir de
l’exploration curieuse et le sentiment de puissance que procure le fait d’être
le commandant de bord du voyage. Or la
surconsommation médiatique produit à la longue plusieurs « engourdissements »,
comme l’indiquait Marshall McLuhan : de la mémoire, de la concentration, de certaines facultés
comme la raison et la perception.

Comment retrouver le graal de la
pensée méditative –que Nicholas Carr, et bien d’autres, appellent de leurs
vœux ? La plupart des auteurs préconisent l’ascèse médiatique –ou tout comme.

Nicholas Carr a quitté Boston et est allé vivre dans une petite ville du
Colorado où la connexion ADSL étant déficiente, il a résilié tous ses comptes aux réseaux
sociaux, se contentant d’une liaison internet pour quelques heures par jour.

Envie de décrocher ?

Michel Desmurget érige comme
modèle les méthodes éducatives des familles sans télévision (rappelons : 10 %
dans les milieux de cadres et 2 % dans les milieux ouvriers), ou celles qui en
restreignent drastiquement l’usage à une poignée d’heures par semaine : des familles
où les enfants sont incités à lire, faire du sport, se promener, s’adonner à
des jeux qui mobilisent la participation et la créativité, et où les phases
d’ennui sont tenues comme formatrices.

Cette radicalité dans la diète
laisse entendre que les médias génèrent une telle addiction qu’une rupture brutale est nécessaire pour en venir
à bout, comme pour l’alcool —au premier verre, l’alcoolique repique. Mais qui
est capable et a vraiment envie d’un tel sevrage ? Qui a, à ce point, envie de
se dissocier de la culture commune, celle que tout le monde connaît et
pratique ?

Rappelons que Marshall McLuhan, prophète
controversé à son époque, devenu idolâtré à l’ère d’internet, n’avait pas une
vision si dramatique des outils de communication modernes, et qu’il en louait
certains aspects. Il voyait dans la télévision et les nouveaux médias un moyen
de retribaliser les sociétés, d’induire
« en profondeur » une participation du public, de revitaliser la vie sensorielle
et l’imagination.

Monique Dagnaud


L’AUTEUR
Monique Dagnaud

Sociologue, directrice de recherche au CNRS, auteur de La Teuf, essai sur le désordre des générations, Le Seuil, 2008, et de Martin Hirsch, le parti des pauvres, histoire politique du RSA, Ed de l’Aube, 2009. Elle vient de publier « Génération Y - Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion » aux Presses de Sciences PO.





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