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Pour un tribunal Russell contre les crimes du nucléaire civil

| fukushima.over-blog.fr | vendredi 23 décembre 2011

vendredi 23 décembre 2011



Cet article a été publié dans la revue “les Z’indigné(e)s !” (n°1, novembre 2011), la revue des résistances et des alternatives (en librairie : 14
€).

 

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Hiroshima, Tchernobyl, Fukushima : des crimes contre l’humanité

 

Depuis 1945, plus de 2 400 explosions – dont la puissance de certaines [1] équivalait à plusieurs milliers de fois celle d’Hiroshima –
ont eu lieu, sans parler des « ratés » et des dizaines d’accidents catastrophiques dont les premiers connus datent de l’automne 1957 à Windscale (UK) et Maïak (ex-URSS), respectivement classés 5
et 6 sur l’échelle INES. Mais qui en connaît précisément les conséquences ? Aucune enquête épidémiologique internationale digne de ce nom n’ayant été diligentée à ce propos, un comité européen
sur les risques de l’irradiation (CERI) [2] a étudié, à la demande des députés verts, et confirmé l’impact de l’activité atomique depuis 65 ans sur les populations mondiales, ce dont on pouvait
se douter puisqu’on en retrouve les traces jusque dans les glaces du pôle Sud [3]. Les enjeux sont tellement énormes que les effets pathologiques de toutes ces contaminations à petites doses et
au long cours sont farouchement niés de concert par tous les pays ou les organisations intergouvernementales.

 

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Centre nucléaire de Maïak (photo AFP)

 

Tchernobyl : irradiations et multicontaminations « à rebonds »

Tout comme le 6 août 1945, le 26 avril 1986 est une date historique pour l’ensemble de l’humanité [4]. Dès les débuts du cataclysme,
les irradiations furent violentes, très supérieures à celles d’Hiroshima ou de Nagasaki [5], multiples, complexes et pérennes, quelle que soit la distance du lieu de l’accident : c’est une des
particularités de Tchernobyl par rapport aux bombardements de 1945.

En explosant, le réacteur n°4 de la centrale Lénine de Tchernobyl n’a pas seulement rejeté des gaz et des aérosols divers issus de la
désintégration atomique du combustible, comme le ferait une bombe, mais il a également rejeté « des particules chaudes solides » [6] de combustible : ce sont des fragments de toutes tailles qui,
combinés avec d’autres radionucléides, sont retombés sur le site ou à proximité de la centrale. Par la suite, des « particules chaudes liquides » se sont également formées dans le sol après les
pluies. Lorsque ces particules pénètrent dans l’organisme par l’eau et les aliments ingérés ou par l’air inhalé, elles produisent, même longtemps après leur émission, des doses élevées
d’irradiation ponctuelle interne. Cette remarque est importante pour la compréhension de la suite et des suites de l’accident.

 

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Explosion du réacteur de Tchernobyl (extrait du film La bataille de Tchernobyl)

 

Depuis le jour de la catastrophe, les irradiations ont été peu à peu supplantées par des contaminations de long
terme
et la situation radiologique évolue d’une manière que nul ne pouvait prédire. Deux exemples :

- Suite aux processus de désintégration du plutonium 241, la formation naturelle de l’américium 241, puissant émetteur de rayons
gamma, va constituer un aspect important de la contamination de nombreux territoires situés jusqu’à un millier de kilomètres de l’explosion. A cause de cette désintégration progressive, les
territoires dont le niveau de rayonnements gamma était faible sont devenus à nouveau dangereux.

- Par ailleurs, il y eut une forte redistribution des radionucléides dans les écosystèmes du fait de leur concentration par les
organismes vivants (bio-accumulation) et de leur migration, après quelques années, dans les parties du sol où plongent les racines : ces radionucléides sont alors devenus de plus en plus
accessibles aux végétaux, qui les reportent pour la deuxième fois à la surface du sol. C’est une des causes de l’expansion et de l’aggravation de la morbidité et de la mortalité atomiques dans
les territoires contaminés.

 

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Contamination de la végétation (extrait du film La bataille de Tchernobyl) 

 

Quelques-unes des maladies provoquées par Tchernobyl

- La contamination radiologique de Tchernobyl a influé sur le fonctionnement de tous les organes du système endocrinien.
L’effondrement de la fonction hormonale du thymus joue le rôle principal dans le développement de la pathologie du système immunitaire.

- Les maladies des organes circulatoires sont une des causes principales d’invalidité et de mort des « liquidateurs ».

- Le vieillissement accéléré provoqué par la catastrophe de Tchernobyl a déjà touché des centaines de milliers de personnes et en
touchera des millions dans le futur.

- Le saturnisme est devenu une des pathologies importantes de Tchernobyl. En effet, entre 2 400 et 6 720 tonnes de plomb ont
été déversées au cours des opérations d’extinction. Une partie importante de ce plomb a été rejetée dans l’atmosphère suite à sa fusion, à son ébullition et à sa sublimation dans l’incendie du
réacteur.

En outre, les conséquences génétiques causées par la catastrophe de Tchernobyl toucheront pendant des siècles des centaines de
millions de personnes, dont :

- celles qui ont subi le premier choc radiologique (irradiation externe forte et brutale), parce que la quantité des radionucléides
rejetés dans l’écosphère fut infiniment supérieure et bien plus virulente que celle d’Hiroshima ;

- celles qui vivent, et vivront pendant les 300 ans à venir, dans les territoires contaminés par le strontium 90 et le césium 137, ou
celles qui vivront dans les territoires contaminés par le plutonium et l’américium pendant des milliers d’années ;

- les enfants des géniteurs irradiés, pendant des générations, où qu’ils vivent par la suite.

 

Le secret, la falsification officielle des données et les malversations

Il n’y a pas de données instrumentées disponibles de la contamination de tous les pays d’Europe par l’ensemble des radionucléides de
Tchernobyl, et désormais il n’y en aura plus jamais. S’appuyant sur ce manque, le rapport « Forum Tchernobyl » (2005) de l’AIEA et de l’OMS ne discute que des données concernant les territoires
du Bélarus, de l’Ukraine et de la Russie d’Europe, passant sous silence la contamination des autres pays européens.

Or, même si la densité actuelle de la contamination n’est pas élevée dans un territoire, l’énorme contamination des premiers jours et
des semaines qui ont suivi la catastrophe (on sait par reconstruction que, dans certains territoires, l’activité des retombées radioactives dépassait 10 000 fois les niveaux du fond naturel),
jointe à la faible contamination persistant sur des décennies, ont pu influer et influeront considérablement sur la santé des habitants et sur l’environnement.

D’autre part, la suppression des institutions chargées d’examiner les suites pathologiques de Tchernobyl, le détournement des équipes
de chercheurs de l’étude des problèmes engendrés par la catastrophe, le harcèlement et l’emprisonnement de certains médecins spécialisés, sont autant de tentatives concertées et persistantes pour
cacher la vérité [7].

Aussi l’exigence avancée par les spécialistes de l’AIEA et de l’OMS de la nécessité d’une « corrélation certaine » entre la charge
radioactive d’une personne concrète (jamais reconstituable avec précision, et pour cause) et l’atteinte à sa santé pour qu’il y ait démonstration évidente du lien de la maladie avec l’irradiation
de Tchernobyl, relève-t-elle de manœuvres intellectuelles particulièrement malhonnêtes.

En plus de ces malversations, en ex-URSS, en Ukraine, au Bélarus, et au sein des principales organisations intergouvernementales
concernées (CIPR, AIEA et OMS) les volontés de minimiser les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl sont légion. En voici quelques exemples.

- Dans aucun des livrets militaires des 60 000 militaires en service qui ont participé aux travaux de « liquidation » n’a été
enregistré le dépassement de la norme de 25 rœntgens alors en vigueur. Mais l’examen clinique de 1 100 militaires liquidateurs a révélé chez 37 % d’entre eux les symptômes hématologiques de
la maladie des rayons, indiquant à l’évidence que ces personnes ont reçu plus de 25 rœntgens.

- La médecine officielle n’a commencé à reconnaître la fréquence de la cataracte « tchernobylienne » que 8 ou 9 ans après sa
découverte.

- Même chose en ce qui concerne le cancer de la thyroïde, la leucémie et les affections du système nerveux central.

 

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Soins portés à un liquidateur (extrait du film La bataille de Tchernobyl)

 

Les conséquences de Tchernobyl sur la santé publique

En résumant sommairement les données publiées dans le rapport du CERI, la contamination radioactive de Tchernobyl a touché près de 400
millions de personnes (205 millions en Europe et environ 200 millions hors d’Europe). L’analyse des courbes de la morbidité générale des enfants vivant dans les territoires contaminés de
l’ex-URSS est particulièrement désespérante : seulement 20 % d’entre-eux sont en bonne santé. Dans certaines régions du Polessié il n’y en a plus un seul. En Allemagne, les dents des enfants nés
après la catastrophe contenaient 10 fois plus de strontium 90, tout comme on retrouve de l’uranium dans les dents de lait des enfants anglais résidant près de Windscale (depuis rebaptisé
Sellafield) 53 ans après cette autre catastrophe atomique. Le nombre des victimes de Tchernobyl croîtra pendant plusieurs générations. Au cours des 15 premières années suivant la Catastrophe, il
peut être estimé de la manière suivante :

Bélarus, Ukraine, Russie d’Europe 237 000

Reste de l’Europe 425 000

Asie, Afrique, Amérique du Nord 323 000

Monde entier 985 000 [8]

 

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Enfant malade (extrait du documentaire Controverses)

 

Tchernobyl : une catastrophe nucléaire au temps de l’Anthropocène [9]

Les catastrophes atomiques ont ceci de particulier qu’elles délimitent toujours une fracture multidimensionnelle de l’histoire du
vivant :

- La perte irrémédiable de tout un monde vivant sur d’immenses territoires, un printemps sans les cris des oiseaux, et des arbres
roussis par un gigantesque et silencieux incendie.

- Une mortalité si nombreuse, et dans des conditions si inhumaines, que le travail de deuil s’avère impossible à réaliser, surtout « 
au temps de la mort sèche » [10].

- Un événement imprévu et inconcevable, qui dépasse nos facultés d’imagination, et dont les conséquences futures sont elles-mêmes
imprédictibles.

- Des irradiés/contaminés subissant une atteinte aussi bien mentale que physique, dont certains effets s’étaleront sur plusieurs
générations, pour donner naissance à des lignées d’êtres difformes.

Autrement dit, « un avant et un après » sans retour possible. Un trou dans la mémoire symbolique des humains, dans leur inconscient,
ce qui nous prépare « un retour du refoulé » à la mesure de l’événement. Mais de plus, et c’est là le « double effet paradoxal » des catastrophes atomiques, elles n’ont pas de fin, pas de terme
prévisible : c’est un monstre qui pousse et dévore de l’intérieur l’humanité, dont la morbidité persistante est difficilement évitable. La catastrophe atomique « colonise l’avenir et n’offre
aucune possibilité d’échapper au destin tragique : aucune culture n’est prête à affronter ce pari » [11].

 

Le négationnisme et ses conséquences au temps de l’Anthropocène

Les Etats et les organisations intergouvernementales (UNSCEAR, CIPR…) ont délibérément minimisé les conséquences sanitaires de
Tchernobyl : ce parti pris des jugements concerne également l’OMS [12] et sa fameuse thèse d’une trentaine de morts jusqu’en 2005. Mais il y a bien pire depuis le 6 août 1945 (cf. note 1 et note
15 de fin de texte).

Figures de la défaite déshonorante du Japon, les « hibakushas », assimilés aux pestiférés par peur d’une contagion fantasmée, furent
l’objet de la honte publique, décourageant ainsi la plupart des rescapés de participer à un quelconque travail de mémoire, témoignages dont on a vu avec Primo Levi, Robert Antelme, David Rousset,
Charlotte Delbo, Elie Wiesel, Jorge Semprun, Jean Améry et les autres survivants l’importance capitale dans l’Europe intellectuelle de l’après-guerre. Les édiles japonais procédèrent à une « 
reconstruction » rapide de la ville qui eut pour but d’effacer méticuleusement toutes les traces de leur défaite et… de ce crime effroyable. Contrairement à ce qui s’est produit pour la Shoah,
vainqueurs et vaincus se sont associés pour aveugler l’humanité, avec succès jusqu’à ce jour, sur la nature des crimes commis à Hiroshima et Nagasaki. Un exemple : avec l’aide des autorités
japonaises, les Etats-uniens ont mené sur place des études sur les conséquences de ces bombardements, études qui furent versées dans les archives secrètes de Washington, longtemps inaccessibles.
En plus du mépris des victimes en souffrance dont cela témoigne, ce sont sur ces mêmes archives que les Etats et les organisations internationales se basent encore aujourd’hui pour nier les
effets des faibles doses à long terme !

 

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Hibakusha

 

Plus de traces, tel est le credo commun à tous les criminels et négationnistes (cf. ce qu’en dit plus précisément Günter
Anders). Il en fut de même à Tchernobyl et en sera de même à Fukushima. Le travail de mémoire est ainsi forclos comme on tente d’enfermer un déchet radioactif dont on sait pertinemment
qu’on en retransmet la dangerosité aux générations suivantes.

Un autre versant de la politique négationniste face à tous ces dangers consiste en un raisonnement de type scientiste qui les
transforme en risques statistiques. Ce que vise à cacher cette manipulation intellectuelle du risque, c’est qu’en cas de catastrophe (« le risque résiduel »), ce sont toujours les Etats qui sont
appelés à la rescousse car les moyens privés sont à l’évidence insuffisants pour y faire face. Mais depuis Tchernobyl et Fukushima les habitants de tous les pays de la planète doivent savoir
qu’ils ne peuvent plus compter sur leurs gouvernements pour les protéger efficacement, ni avant et encore moins après une catastrophe atomique. C’est pourquoi nous pouvons dire que les
populations du monde entier, après avoir été évacuées du choix politique – aucune société civile ne fut jamais consultée sur le nucléaire – courent le risque d’être évacuées de leurs territoires
nourriciers, d’être « expulsées de leurs vies ».

 

La catastrophe de Tchernobyl aurait pu être encore plus grave

La catastrophe trouve son origine dans le projet inouï consistant à « expérimenter en vraie grandeur » : il s’agissait, dans le cas
d’un arrêt d’urgence, d’utiliser le dégagement calorifique résiduel pour une production supplémentaire d’énergie électrique ! Autrement dit, le monde vivant est devenu le laboratoire à grande
échelle de la technoscience (et ce, depuis longtemps). Mais le rejet du seul réacteur n°4 a provoqué une contamination des dizaines de fois supérieure à la contamination due aux bombes lâchées
sur Hiroshima et Nagasaki, et le « nuage de Tchernobyl » a fait au moins deux fois le tour de la Terre, ce qui fait de Tchernobyl la plus grande catastrophe technologique de
l’anthropocène à ce jour
.

Mais il y a plus grave. Le Pr. Vassili Nesterenko, physicien nucléaire qui fut directement en charge des conséquences de la
catastrophe, explique [13] que 1 400 kg [14] du mélange uranium-graphite au contact de l’eau constituaient une masse susceptible de provoquer une explosion atomique d’une puissance de 3 à 5
mégatonnes, soit entre 50 et 80 fois la puissance de l’explosion d’Hiroshima, si une quantité suffisante du corium, qui avait déjà percé la cuve du réacteur, avait transpercé la dalle de béton
qui le séparait des masses d’eau contenues dans les sous-sols du réacteur. « Une explosion d’une telle puissance pouvait provoquer des radiolésions massives des habitants dans un espace
de 300-320 km de rayon (englobant la ville de Minsk) et toute l’Europe pouvait se trouver victime d’une forte contamination radioactive rendant la vie normale impossible. […] Mon opinion est que
nous avons frisé à Tchernobyl une explosion nucléaire. Si elle avait eu lieu, l’Europe serait devenue inhabitable. »
[15].

 

Explosion centrale Fukushima

Explosion du réacteur 1 de Fukushima Daiichi

 

Fukushima, une réplique de Tchernobyl

Au Japon, vu leur état, les systèmes de refroidissement ne pourront plus jamais être remis en service. Tandis que l’on
injecte de l’eau borée dans les cuves et de l’azote pour inerter l’atmosphère des bâtiments, une énorme quantité d’eau y est quotidiennement déversée pour les refroidir afin d’éviter que les
coriums transpercent l’enceinte et atteignent ces mêmes masses d’eau, ce qui pourrait être très grave. Et ce n’est pas un, mais quatre réacteurs, dont le n°3 qui fonctionnait au MOX [16]
français, qui sont concernés. Sans parler des conséquences d’une éventuelle réplique sismique, que l’on ne peut malheureusement pas écarter vu l’emplacement de la centrale. Dans ces
conditions, qui peut prédire les effets cumulatifs possibles de ce type de situation, au Japon ou ailleurs ? Or, ce qu’il fut possible de mettre en place à Tchernobyl pour éviter la catastrophe
planétaire ne le sera vraisemblablement plus jamais nulle part sauf, peut-être pour quelque temps encore, en Chine.

En ex-URSS, il était possible d’enrôler 800 000 « liquidateurs », les services de secours civils de tout un immense pays, des
centaines de pompiers, dix mille mineurs, une armée encore puissante avec ses dizaines de milliers de réservistes, et ce sur ordre du secrétaire du Politburo. Le déploiement de tels moyens ne
sera plus possible dans d’autres cas similaires, et il est douteux que l’appel aux autres pays soit suffisant : en démocratie libérale, il y aura peu de volontaires pour mourir dans des
souffrances que l’on sait atroces.

 

La perspective d’avoir à survivre en territoire contaminé ne peut être exclue

Dans les territoires contaminés par les dépôts de Tchernobyl, il est dangereux de s’occuper d’agriculture, il est dangereux d’arpenter
les forêts, dangereux de pêcher le poisson et de chasser le gibier, il est dangereux de consommer les denrées produites localement sans contrôler leur radioactivité, dangereux de boire le lait et
même l’eau. Tout ce qui constituait depuis des millénaires la plus sûre et la plus fidèle des sources de vie – l’air, les eaux naturelles, les fleurs, les fruits de la terre, les forêts, les
fleuves et les mers – tout cela est devenu en quelques jours source de danger pour l’homme et l’animal. La catastrophe ukrainienne nous l’a enseigné, il faut également prendre en compte les
effets délétères sur la santé des « faibles doses », inhalées ou ingérées via l’alimentation, qui vont ensuite se fixer dans l’organisme et produire leurs effets des années plus tard.

Les appareils automatiques de spectrométrie de radiation interne du corps humain, tels le SCRINNER en usage en Biélorussie, sont
conçus pour mesurer l’activité des radionucléides dans le corps humain. Ces appareils devraient être d’usage courant dans tous les pays sous le vent de centrales atomiques en activité. Par
ailleurs, dans de véritables prescriptions publiques à grande échelle, il faudrait préciser les avantages et les limites des pastilles d’iode et des mesures de confinement, les gestes qui
sauvent, les « périmètres d’évacuation », les plans d’urgence… C’est pourquoi, dans tous les pays, les organisations de la société civile doivent considérer l’importance de la création d’un
système de contrôles radiologiques indépendant du système officiel.

 

L’industrie nucléaire, une banalisation radicale du mal

A travers son concept de « banalité du mal », Hannah Arendt a démontré dans les années soixante que des crimes contre l’humanité
avaient été perpétrés par des hommes ordinaires parce qu’ils ne se posaient pas de questions sur les fins de leurs « activités ». A partir du moment où ils étaient liés par un serment de fidélité
à leur hiérarchie (ou à une idéologie, toutes choses qui sont aujourd’hui érigées en valeurs universelles par la raison calculatrice dans le monde du « travail » et ailleurs), ils tenaient ces
activités pour légitimes.

Ce concept de « banalisation du mal » n’est pas issu de supputations sur une « nature humaine », mais bien d’une analyse
socio-historique de ce qui s’est passé en Europe entre 1933 et 1945 et de ce qui en a préparé l’avènement. Soixante ans après, à moins de croire en un monde fixiste, il faut oser tirer les
conclusions de ce qu’Hannah Arendt avait écrit.

Historiquement, la banalisation du mal occidental s’est répandue à grande échelle à partir du moment où le travail et les êtres
humains ont été « industrialisés » avec l’appui massif de la technoscience, c’est-à-dire coupés de leur réalité nourricière, terrestre, pour être encasernés, prolétarisés, disqualifiés,
déréalisés et finalement déshumanisés. A partir de ce moment, tout a été possible dans l’ordre de la banalisation et tout est devenu acceptable dans l’ordre du mal, puisque toutes les fins
humaines ont été discréditées au seul profit de l’aliénation productiviste et marchande.

Les choses ne se sont pas arrangées depuis : cela est vérifiable sur tous les plans, y compris psychique [17]. Alors, il faut avoir le
courage de dire que cette banalisation du mal est devenue omniprésente et que, en conséquence, nos sociétés ne sont plus que des « totalitarismes démocratiques » nous menant au(x) désastre(s)
définitif(s), ce qui devrait être analysé comme tel dans l’ordre du politique. Porteuse de mort généralisée du vivant sur la planète, l’industrie nucléaire en est un exemple particulièrement
frappant. Mais les gouvernements et la plupart des médias occidentaux (la guerre froide, qui devait durer quarante ans, y a bien pourvu) ont tout fait pour recouvrir, les 6 et 9 août 1945, cette
défaite historique de l’humanité d’un épais manteau d’admiration et de dévotion devant le génie et la puissance des chercheurs, de la science, de la technique, de l’industrie… Un nouveau dieu est
apparu ce 6 août 1945, à la puissance inquiétante certes, comme tous les dieux, et à la gloire duquel de nouveaux hymnes ont été forgés illico presto.

Le largage des bombes atomiques, puis « l’expérience Tchernobyl », furent non seulement un crime contre l’humanité mais, fait nouveau,
un crime contre la Nature, ce que l’on appellerait aujourd’hui un Ecocide. Si le refoulement de ce type de catastrophe systémique pour l’écosphère persiste, il ne sera pas sans conséquences pour
l’avenir de l’humanité et sa manière d’en écrire l’histoire.

Une conclusion s’impose donc : il faudrait mettre sur pied un tribunal international, du type de celui de Bertrand Russell, jugeant
les crimes atomiques contre l’humanité à Tchernobyl et ailleurs, depuis le 6 août 1945 jusqu’à Fukushima en passant par Fallujah.

 

Ce texte a été signé par :

 

Paul ARIES, philosophe et écrivain, intellectuel de référence du courant de la décroissance. Dernier
ouvrage publié : La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance.

 

Marc ATTEIA, docteur en mathématiques appliquées, professeur honoraire de l’Université de Toulouse,
auteur de Le technoscientisme, le totalitarisme contemporain, Yves Michel, 2009.

 

Marie-Christine GAMBERINI, traductrice, référente de l’association Les Amis de la Terre France
sur le nucléaire et l’énergie.

 

Alain GRAS professeur émérite de l’Université Paris I et directeur du Centre d’études des
techniques, des connaissances et des pratiques
, cofondateur de la revue Entropia, auteur de Le choix du feu. Aux origines de la crise climatique, Fayard,
2007.

 

François JARRIGE, maître de conférence à l’Université de Bourgogne, auteur de Face au monstre
mécanique. Une histoire des résistances à la technique
, imho, Paris, 2009.

 

Baudouin JURDANT, professeur émérite à l’Université Paris 7, traducteur de Paul Feyerabend, auteur de
l’ouvrage Les problèmes théoriques de la vulgarisation scientifique, Ed. Les Archives contemporaines, Paris, 2009.

 

Paul LANNOYE, docteur en Sciences physiques, député européen honoraire, administrateur responsable du
Groupe de réflexion et d’action pour une politique écologique (GRAPE) en Belgique, co-traducteur en français du rapport du CERI, éditions Frison-Roche.

 

Serge LATOUCHE, professeur émérite d’économie de l’Université Paris XI et objecteur de croissance,
auteur de Vers une société d’abondance frugale ; Contresens et controverses sur la décroissance, Mille Et Une Nuits, Fayard, 2011.

 

Frédérick LEMARCHAND, sociologue, co-directeur du pôle RISQUES, Université de Caen, membre du Conseil
scientifique du CRIIGEN. Coauteur de Les Silences de Tchernobyl et du film La vie contaminée, Conseiller de l’exposition internationale Il était une fois
Tchernobyl
.

 

Corinne LEPAGE, ancienne ministre de l’environnement, députée européenne, enseignante à l’IEP. Dernier
ouvrage : La vérité sur le nucléaire ; le choix interdit, Albin Michel, 2011.

 

Stéphane LHOMME, président de l’Observatoire du nucléaire, auteur de L’insécurité
nucléaire ; bientôt un Tchernobyl en France
, Yves Michel, 2006.

 

Jean-Marie PELT, président de l’Institut Européen d’Ecologie et professeur honoraire de
l’Université de Metz, dernier ouvrage : Heureux les simples, Flammarion, 2011.

 

Pierre RABHI, agriculteur, écrivain et penseur français d’origine algérienne, chevalier dans l’ordre
national de la Légion d’Honneur, Pierre Rabhi est un des pionniers de l’agroécologie.

 

Jacques TESTARD, agronome et biologiste, docteur en sciences, directeur de recherche honoraire à
l’Inserm ; ex-président de la Commission française du développement durable (1999-2003). Co-auteur de Labo-planète. Ou comment 2030 se prépare sans les citoyens, Mille et une
nuits, 2011.

 

Jean-Marc ROYER, ingénieur, ex-cadre supérieur ADP, ancien dirigeant du syndicat de cadres SICTAM/CGT
Orly, en cours de publication : Décoloniser l’imaginaire occidental. I. La science creuset de l’inhumanité.

 

 

 

 

[1] 100 Mt : Andreï Sakharov, Mémoires, Seuil, 1990, p 246. L’IRSN parle de 50 Mt.

 

[2] Comité Européen sur le risque de l’Irradiation (CERI), Recommandations 2003 du CERI, Ed Frison Roche, 2004. Synthèse et commande du
rapport :
www.euradcom.org. Pour le CERI, environ 65 millions de morts sont imputables à l’industrie atomique depuis 1945 !

 

[3] Claude Lorius, Voyage dans l’Anthropocène, Actes Sud, 2010.

 

[4] La grande majorité des informations qui suivent sont extraites du livre d’Alexeï V. Yablokov, Vassili B. Nesterenko, Alexeï V. Nesterenko, « 
Tchernobyl, conséquences de la catastrophe pour l’homme et la nature », annales N°1181 de l’Académie des sciences de New York, dont le choix de textes traduits en français est dû à
Wladimir Tchertkoff avec la collaboration de Lisa Mouravieff. Version américaine partiellement consultable en ligne sur :
http://books.google.fr/. D’autres sites en proposent le digest français.

 

[5] Dans ces bombes, il y avait quelques kilos d’uranium ou de plutonium contre plusieurs centaines de tonnes à Tchernobyl !

 

[6] Au moment de l’accident, l’activité de certaines « particules chaudes » atteignait 10 à 12 mille becquerels, ce qui pouvait provoquer la mort en
quelques heures.

 

[7] Yuri Bandajevski fut arrêté en juillet 1999, prétendument dans le cadre des mesures d’urgence destinées à combattre le terrorisme. Arbitrairement
détenu, puis accusé de corruption et condamné le 18 juin 2001 à huit années de prison, malgré la rétractation publique de son accusateur, au terme d’un procès digne de ceux des années 30, il fut
incarcéré jusqu’en 2005. Vassili Nesterenko, directeur de l’Institut indépendant biélorusse de protection radiologique Belrad, qu’il a créé en 1989 avec l’aide d’Andreï Sakharov, Ales Adamovitch
et Anatoli Karpov, a été menacé d’internement en asile psychiatrique par le KGB, a subi deux attentats, et est décédé le 25 août 2008 après une opération à l’estomac.

 

[8] Alexeï V. Yablokov, Vassili B. Nesterenko, Alexeï V. Nesterenko, op. cit. Ces chiffres ont été largement revus à la hausse soit par l’académie des
sciences de NY, soit à la suite de la conférence internationale de nov. 2010 : La gazette nucléaire n° 259 février 2011, http://resosol.org/Gazette/2011/259p23.html

 

[9] Ere caractérisée par le fait que l’homme en est devenu la force géologique principale (Georgescu-Roegen, A. Gras, J. Grinevald ou C.
Lorius).

 

[10] Allouch Jean, Erotique du deuil au temps de la mort sèche, EPEL, 1995.

 

[11] Frédéric Lemarchand, sociologue, membre du Conseil scientifique du CRIIGEN, article du 17 mars 2011, Les Echos.

 

[12] Un accord a été signé en 1959 entre l’AIEA et l’OMS obligeant celle-ci à soumettre sa position à celle de l’AIEA dans tous les cas où le nucléaire
est en jeu.

 

[13] Dans le film « Tchernobyl. La vie contaminée, vivre avec Tchernobyl » de David Desramé et Dominique Maestrali.

 

[14] Il reste encore en 2011 l’équivalent de quelques dizaines de tonnes d’uranium sous le sarcophage…

 

[15] Lettre du professeur Nesterenko à Wladimir Tchertkoff, Solange Fernex et Bella Belbéoch, janvier 2005.

 

[16] Combustible constitué d’un mélange d’oxydes d’uranium, mais aussi de plutonium, ce qui d’une part réduit les marges de sécurité (sa température de
fusion étant plus faible et plus rapidement atteinte) et d’autre part accroît sa dangerosité, quelques milligrammes suffisant à déclencher une mort rapide.

 

[17] Melman Charles, Lebrun Jean-Pierre, La nouvelle économie psychique, une nouvelle façon de penser et de jouir aujourd’hui, Eres,
2009.

 

 

Signez la pétition !

http://www.tribunalrusselnucleaire.org/

sur le même sujet :
Pour un tribunal Russell contre les crimes du nucléaire civil en 2012 !
truks-en-vrak - jeudi 31 mars 2011


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Voir en ligne : Pour un tribunal Russell contre les crimes du nucléaire civil

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