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Haïti : Monsanto et le "Projet Winner"

Thalles Gomes - Primitivi - vendredi 21 mai 2010

samedi 22 mai 2010

Les médias ne parlant plus d’Haïti on se dit que tout s’est bien fini,
que la solidarité internationale a permis de faire sortir le petit pays
de la crise qu’il a subit en janvier dernier.

Et bien non, en fait tout commence, même si le pays tente de se
réorganiser et que la vie reprend doucement son cours Haïti n’en a
absolument pas fini avec les crises. Tout au contraire, comme annoncé
précédemment les vautours multinationales se sont jetés dessus avec
l’avidité des investisseurs découvrant de nouveaux marchés.

L’article de Thalles Gomes traite ici spécifiquement de l’action de
Monsanto soutenue par l’USAID, UPS et la Kuehne+Nage qui au sein du
Projet Winner (tout un programme) sont entrain de vassaliser entièrement
l’agriculture haïtienne à leurs produits.

Moins visible, mais qui causera au final beaucoup plus de dégâts et fort
possiblement des dégâts irréversibles cette invasion économique d’Haïti
est la digne héritière des agressions coloniales opérées depuis près de
206 ans par les États-unis et la France contre Haïti.

L’entreprise américaine Monsanto a donné des graines transgéniques à
Haïti. Ce fait a été dénoncé le 10 mai dernier dans un article écrit par
le curé anglais Jean-Yves Urfié, ex-professeur de chimie du Collége
Saint Martial, à Port-au-Prince. Urfiè écrit dans son article : “La
société transnationale Monsanto offre aux agriculteurs du pays un cadeau
mortel de 475 tonnes de maïs transgénique, avec les engrais et les
pesticides associés, qui seront remis gratuitement par le Projet Winner,
avec l’appui de l’ambassade des États-Unis en Haïti”. Selon lui, la
multinationale Monsanto a déjà commencé à distribuer les graines de maïs
transgéniques dans les régions de Gonaives, Kenscoff, de Pétion-Ville,
de Cabaré, d’Arcahaie, de Croix-des-Bouquets et de Mirebalais.

La forte répercussion de cette dénonciation a obligé le Ministre de
l’Agriculture d’Haïti, Joana Ford, à convoquer une conférence de presse
le 12 mai dernier à Port-au-Prince. Le Ministre Ford a affirmé "Haïti
n’a pas de capacité à administrer les OGM” avant de démentir que la
donation de Monsanto était du maïs transgénique. "Nous prenons toutes
les précautions avant d’accepter l’offre faite par la multinationale
Monsanto pour recevoir une donation de 475 947 kg de graines de maïs
hybride et 2 067 kg de graines de légumes. Nous devons aussi mentionner
que, en l’absence d’une loi qui réglemente l’utilisation d’Organismes
Génétiquement Modifiés en Haïti, je ne peux pas permettre l’introduction
de graines ‘Roundup Ready‘ ou toute autre variété de transgéniques", a
souligné le Ministre.

Selon Ford, les graines hybrides dont Monsanto fait la promotion sont
adaptées aux conditions tropicales d’Haïti. Ce dont fait partie d’une
campagne du Ministère de l’Agriculture pour relancer le secteur agricole
après le tremblement de terre du 12 janvier dernier. Le Ministre indique
également que dans cette optique plus de 65 000 hectares de terre sont
entrain de bénéficier d’une préparation par des tracteurs, des engrais
et des pesticides, et les agriculteurs recoivent une formation.

Monsanto elle-même s’est retrouvée obligée de se prononcer sur cette
affaire. “Nous croyons que l’agriculture est la clé pour la récupération
d’Haïti sur le long terme”, a affirmé la transnationale dans une note
publiée sur sa page internet. “Après la catastrophe, Monsanto a donné de
l’argent pour le redressement (d’Haïti)”, continue la note, “mais il
était évident que le don de nos produits - de maïs et les graines de
légumes de qualité - pourrait faire réellement la différence dans la vie
des Haïtiens”. Avec cet état d’esprit généreux la plus grande compagnie
de semences au monde a résolu de donner à Haïti l’équivalent de 4
millions de dollars en graines de maïs hybride, choux, carotte,
aubergine, melon, oignon, tomate, épinard, et melon d’eau. 60 tonnes de
ces graines sont arrivées sur le territoire haïtien durant la première
semaine de mai. 70 tonnes supplémentaires sont arrivées à Port-au-Prince
le 13 mai dernier. Il est prévu que pour les 12 prochains mois 345
tonnes supplémentaires de graines hybrides de maïs soient distribuées
aux agriculteurs du pays.

Ouvrir des marchés

Le tremblement de terre du 12 janvier a provoqué la mort de 300 000
personnes et a laissé plus d’un million d’Haïtiens sans domicile. Les
conséquences ont été dévastatrices. Mais, bien qu’il ait atteint 7
degrés sur l’échelle Richter, il est peu probable que le tremblement de
terre ait détruit les structures de fonctionnement d’une société
transnationale comme Monsanto. Le don de 475 tonnes de graines hybrides
peut être vue comme une action de générosité de la part de la
transnationale envers le peuple haïtien. Cependant les conditions dans
lesquelles ce don a été effectuée sont regardées de plus près, cette
générosité devient une simple tactique entrepreneuriale pour augmenter
les bénéfices.

Les gains de Monsanto de décembre 2009 à fin février 2010 ont été de 887
millions de dollars. Durant la même période l’an passé, ses gains ont
été de 1,09 milliard de dollars, ce qui signifie une chute de 19%. Selon
Hugh Grant, directeur exécutif de la transnationale, la cause principale
de cette chute a été la diminution des ventes d’herbicides et de
produits chimiques.

Début avril, durant une conférence en présence d’annalistes, Grant a
affirmé qu’il ne pourrait pas recourir à l’augmentation des prix pour
contrecarrer cette chute, puisque les agriculteurs ne semblent pas
disposés à payer des prix plus hauts pour les nouveaux spécimens de
graines transgéniques, dont certaines d’entre elles sont deux fois plus
chères que les variétés les plus cultivées aujourd’hui. "Le retour que
j’ai des propriétaires fonciers indique que si nos prix étaient
différents, la courbe d’adoption des graines serait différente" avait-il
déclaré.

Quant il n’est pas possible de faire monter le prix de ses produits, la
seule solution pour Monsanto est de contrecarrer cette chute en ouvrant
de nouveaux marchés. Et ce n’est pas un hasard qu’à peine un mois après
la conférence de Hugh Grant dess graines de Monsanto arrivent à Haïti.

Ce qui n’a pas été dit ni par Monsanto, ni par le Ministère de
l’Agriculture haïtien, c’est ces graines hybrides de maïs ne pourront
accomplir leurs promesses de productivité et d’adaptation au climat
tropical haïtien que si elles sont traitées par les herbicides, les
engrais et les produits chimiques spécifiques, qui sont justement
produits par Monsanto. Cela signifie que les agriculteurs haïtiens qui
reçoivent les graines hybrides ne réussiront à les rendre productives
que s’ils acquièrent les herbicides et les engrais de Monsanto.

De plus, les agriculteurs ne pourront pas replanter les graines issuent
de ce maïs, puisque l’une des caractéristiques de ces graines hybrides
cest que seule la première génération est fertile. S’ils veulent
continuer à semer les paysans haïtiens devront acheter de nouvelles
graines à Monsanto.

À ce rythme, avec l’augmentation de la consommation de graines et
implicitement d’herbicides, d’engrais et de produits chimiques Monsanto,
la prévision du curé Jean-Yves Urfié pourra devenir réalité : “Bientôt,
il y aura que des graines Monsanto en Haïti. Et alors, ce sera la fin de
l’indépendance des agriculteurs”.

Vainqueur

Monsanto n’est pas seule dans cette entreprise. Le transport et toute la
logistique de distribution des graines en Haïti se fait au profit de
deux autres entreprises américaines : la Kuehne + Nage Emergency and
Relief Logistics et l’UPS Foundation.

Ken Sternad, président d’UPS, a insisté pour se prononcer sur cette
action : “Cela fait parti de nos efforts continus pour appuyer le
redressement d’Haïti, l’UPS a l’orgueil de donner ses services aux
bateaux de semences, car le pays commence à se diriger vers la
construction d’un avenir soutenable".

Cet “avenir soutenable” dont parle Sternad et qui attire l’intérêt de
tant d’entreprises étrangères est définit dans le Projet Winner lancé le
8 octobre 2009 par l’USAID (Agence des États-Unis pour le Développement
International) [1]. Le Projet Winner investira 126 millions de dollars
dans les cinq prochaines années afin de construire une nouvelle
infrastructure agricole en Haïti, avec comme objectif l’augmentation de
sa productivité. Entre-temps, ce programme fournira une assistance
technique spécialisée, en plus de services techniques et des facteurs de
production agricoles, comme les pesticides et les engrais.

C’est par ce projet que seront distribuées les 475 tonnes de graines de
Monsanto. En fait, ces graines n’arriveront pas directement dans les
mains des paysans haïtiens, elles seront tout d’abord acheminées aux
magasins administrés par l’USAID et seront ensuite vendues pour un prix
“significativement réduit” aux agriculteurs. “Notre but est d’arriver à
fournir 10 000 agriculteurs durant cette saison”, indique Jean Robert
Estime, directeur responsable du Projet Winner. “Les graines aideront à
nourrir et fourniront des opportunités économiques pour les
agriculteurs, leurs familles et la communauté haïtienne en général”.

Pour comprendre ce que sont ces “des opportunités économiques”, il faut
connaître les acteurs qui sont derrière le Projet Winner. Son directeur
responsable, Jean Robert Estime, a servi comme Ministre des Affaires
étrangères durant les 29 ans de la dictature de Duvalier en Haïti,
époque dans laquelle plus de 30 000 Haïtiens ont été assassinés et le
pays a ouvert ses portes aux produits alimentaires étrangers. Grâce à
cette ouverture, Haïti importe aujourd’hui 80% des aliments qu’il consomme.

Architecte et coordinatrice du Projet Winner, l’USAID est un organisme
gouvernemental américain créé en 1961. Selon sa page internet
officielle, il a la mission de “promouvoir les intérêts de la politique
externe des États-Unis dans l’expansion de la démocratie et des libres
marchés, en améliorant la vie des citoyens du monde en développement”.
Avec siège à Washington/DC, l’USAID est présente sur les cinq
continents. Son travail appuie “la croissance économique et les avancées
de la politique externe des États-Unis”.

Nouveau tremblement de terre

Chavannes Jean-Baptiste, coordonnateur du Mouvman Peyizan Papay (MPP) et
membre de la Via Campesina haïtienne déclare qu’en fait “Il s’agit d’un
nouveau tremblement de terre plus dangereux a long terme que celui qui
s’est déroulé le 12 janvier. Il ne s’agit pas d’une menace, mais d’une
très forte attaque contre l’agriculture, les paysans et les paysannes,
la biodiversité, les graines créoles que nous défendons, et à ce qu’il
reste de notre milieu environnemental en Haïti”

Chavannes accuse le gouvernement haïtien de profiter du tremblement de
terre pour vendre le pays aux forces impérialistes et aux sociétés
transnationales. “Nous ne pouvons pas accepter cela”, fait remarquer le
leader paysan, “nous devons commencer la mobilisation contre ce projet,
contre l’arrivée de Monsanto en Haïti. Nous avons besoin d’une forte
unité en Haïti et d’une forte solidarité internationale pour affronter
Monsanto et toutes les forces mortifères qui veulent en finir avec la
souveraineté de ce petit pays qui a conquis son indépendance avec le
sang de ses enfants et de ses filles dès 1804”.

Comme premier pas dans cet affrontement, le MPP a demandé aux paysans
d’enterrer et de brûler toutes les graines de maïs provenant du
Ministère de l’Agriculture. De plus, la Via Campesina d’Haïti organise
une grande marche les 4 et 5 juin prochains, à l’occasion du Jour
International de l’Environnement. La marche partira de la région de
Papay à destination de la ville de Hinche, capitale du département
Central. (Traduction ALAI)

Thalles Gomes, journaliste brésilien, depuis Port-au-Prince - Haïti.

Source : agence ALAI "Monsanto y el Proyecto Vencedor" -
Traduction : Primitivi


Notes

[1] Il est a noter plusieurs choses sur l’USAID, cette Agence
gouvernementale étasunienne à soutenue en Amérique Latine les pires
dictatures et la déstabilisation de plusieurs pays, elle continue
d’ailleurs cette mission. Par contre la même USAID se fait en Europe une
bonne publicité en soutenant les Révolutions Colorées, elle aide
d’ailleurs à la diffusion dans les anciens pays du bloc de l’est d’un
petit livre édité par l’Institut Enstein intitulé "From Dictatorship To
Democracy" (disponible gratuitement sur internet) et qui indique aux
mouvements étudiants et d’opposition desdits pays à renverser le pouvoir
en place. En conclusion l’USAID ne promeut absolument pas la démocratie
mais uniquement les intérêts des USA et l’ouverture de nouveaux marchés
aux entreprises US.


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