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Les immigrés des « dernières colonies françaises » face a leur destin.

Danik I. Zandwonis | caraibcreolenews.com | jeudi 3 novembre 2011

samedi 5 novembre 2011

Voir aussi tout en bas de la page l’
L’invitation aux deux projections en avant première de la série documentaire
NOIRS DE FRANCE
les vendredi 18 et lundi 21 novembre
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Paris. Jeudi 3 novembre 2011. CCN. La sortie prochaine d’une importante anthologie illustrée s’intitulant « la France Noire », la diffusion d’une série de 3 documentaires de Juan Gelas « Noirs en France* » et une importante expo sur le même sujet, obligent à se questionner, sur la situation de ces milliers de « noirs » expatriés ou non, vivant en France et originaires de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, de la Réunion…
Sont-ils désormais devenus des « français noirs » intégrés ou est-ce la « diaspora » de ces nations sans états colonisés depuis le 16è siècle par la France ? La question fait déjà débat.
Comment la « gauche » socialiste française aborde t-elle aujourd’hui la question coloniale ? CCN a interrogé Pascal Blanchard.


Historien, spécialiste du « fait colonial » et de l’histoire des immigrations en France, chercheur associé au CNRS au Laboratoire Communication et Politique (UPR 3255) Pascal Blanchard, est codirecteur du Groupe de recherche Achac. Il est le commissaire scientifique de l’exposition Exhibitions. L’invention du Sauvage (2011-2012) en partenariat avec le musée du quai Branly, et il a codirigé de nombreux ouvrages, notamment Zoos humains et exhibitions coloniales. 150 ans d’invention de l’autre (La Découverte, 2011). Il vient également de co-diriger La France Noire. Trois siècles de présences des Afriques, des Caraïbes, de l’océan Indien et d’Océanie (Paris, La Découverte). Parmi ses ouvrages principaux, citons La Fracture coloniale (2005) ou le coffret de huit ouvrages Un siècle d’immigration des Sud en France (2009) Il a donc accepté de répondre aux questions de CCN.
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CCN. D’abord qu’est-ce que l’Achac ??

Pascal Blanchard. C’est un collectif de chercheurs qui travaille depuis 20 ans (1989) sur les représentations et les imaginaires coloniaux et postcoloniaux, ainsi que sur les immigrations des « Suds » en France. Constitué autour d’un réseau de compétences, en partenariat avec différentes institutions, groupes de recherches ou universités, sa démarche consiste à mettre en œuvre des activités de recherches (avec la constitution d’un fonds iconographique), d’édition (livres, articles, catalogues, brochures pédagogiques, partenariats), de manifestations scientifiques (colloques, conférences, séminaires, forums) ou ouvertes au grand public (programmes pédagogiques, expositions, documentaires).

Depuis 1993, le Groupe de recherche Achac travaille sur plusieurs champs liés à la question coloniale ou à ses représentations, en liaison avec différentes équipes de chercheurs (plus de quatre cents auteurs ont travaillé sur ces programmes et ouvrages depuis la création du collectif en 1989). Avec le programme Stéréotypes, imaginaires et expositions ethnographiques (L’Appel à l’Afrique, Zoos Humains, L’Autre et Nous, Corps & Couleurs), le Groupe de recherche Achac propose d’analyser les prolongements contemporains de la représentation coloniale, en partenariat avec le GDR 2322 du CNRS (Marseille). Toujours en partant des images et des imaginaires de la culture et des idéologies, nous nous attachons à suivre les mécanismes complexes qui structurent la relation entre colonisé et colonisateur. Le dernier volet de ce travail a été publié par Liverpool University Press (2008), dans le cadre d’un ouvrage collectif, version revue et augmentée du travail de 2002, sous le titre : Human Zoos. Science and Spectacle in the Age of Colonial Empires. En 2011, à travers une nouvelle édition remaniée de l’ouvrage fondateur Zoos humains, mais aussi avec l’exposition Exhibitions. L’invention du sauvage au Musée du Quai Branly (accompagné d’un catalogue aux éditons Actes Sud) et d’un colloque en janvier 2012), ce travail prend une nouvelle dimension internationale.

En même temps, avec le programme Immigration des Suds en France (XIXe - XXe siècles), le groupe de recherche Achac s’attache depuis 2001, en partenariat avec de nombreuses institutions, collectivités territoriales, des associations, groupes de recherches et universités, à écrire l’histoire des migrations coloniales sur le territoire hexagonal (Le Paris noir ; Le Paris Asie ; Le Paris arabe ; Marseille, Porte sud ; Sud-Ouest, Porte des outre-mer ; Lyon, Capitale des outre-mers ; Frontière d’empire du Nord à l’Est ; Grand-Ouest, mémoire des outre-mers...). En 2009, pour les vingt ans du groupe de recherche Achac, ces huit ouvrages ont été rassemblés dans un coffret unique rassemblant quatre mille documents, près de cent cinquante contributeurs et une anthologie complète de l’histoire de l’immigration des Suds en France. Enfin, en 2011, après deux années de recherches, vient d’être publié l’ouvrage La France noire, trois siècles de présence (éditions la Découverte) qu’accompagne une exposition en plusieurs exemplaires dans toute la France, dans les départements ultramarins et en Afrique subsaharienne. 
Depuis 1994, le groupe de recherche Achac développe un programme autour de la Culture coloniale en France qui concerne les conséquences, dans les métropoles, des enjeux coloniaux et ses influences idéologiques, pratiques et identitaires sur les sociétés coloniales (Images et colonies, Miroirs d’Empire, Culture coloniale, Culture impériale, Culture post-coloniale). Le dernier volet de ce travail a été rassemblé en 2008 dans une édition commune Autrement/CNRS Éditions, dans le cadre d’un ouvrage collectif, sous le titre : Culture coloniale en France. De la Révolution française à nos jours (sous la direction de Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Nicolas Bancel) et vient d’être réédité en 2011 par les Éditions Autrement dans leur format original. 

Avec le programme Idéologie coloniale et héritages post-coloniaux, le groupe de recherche Achac met en place différentes études et projets de recherches sur la « mémoire coloniale » afin de mesurer l’impact de ces questions dans les enjeux de citoyenneté contemporains, dont l’ouvrage La Fracture coloniale. La société française au prisme des héritages coloniaux (La Découverte, 2005 ; Poche, 2006) propose une première synthèse, prolongée en 2010 par l’ouvrage Ruptures post-coloniales. Les nouveaux visages de la société française (La Découverte, 2010). Les ouvrages La République coloniale (Albin Michel collection Bibliothèque des Idées, 2003 ; Hachette, 2006) et La colonisation française (Milan, collection Les Essentiels, 2007) ont également souligné les relations complexes et paradoxales entre la société française et l’entreprise coloniale. Enfin, dans le prolongement de ces problématiques, deux ouvrages collectifs viennent de mettre en perspective ces questionnements autour des « mémoires » : Les Guerres de mémoires. La France face à son histoire (La Découverte, 2008, sous la direction d’Isabelle Veyrat-Masson et Pascal Blanchard) et, dans le cadre de la revue Hermès (2008, n°52), Les Guerres de mémoires dans le Monde (sous la direction d’Isabelle Veyrat-Masson, Marc Ferro et Pascal Blanchard).


CCN. Comment expliquez-vous que la France ait autant de mal à son histoire coloniale ? 

P.B. Permettez-moi de dire avant tout que nous sommes très nombreux à travailler sur le colonialisme français, bien au-delà de ma seule personne. Et que justement, c’est le travail de ces nombreux chercheurs et chercheuses, depuis 25 ans, qui a fait que l’histoire coloniale est aujourd’hui plus présente dans les débats contemporains, plus présentes dans les manuels scolaires, plus présentes dans l’univers de la culture et des médias.

Notre retard est de l’ordre d’une génération. La question que nous nous posons aujourd’hui est donc bien celle d’un tropisme franco-français, où dans ce domaine (au sein des ex-puissances coloniales) nous sommes avec les Japonais (et à un moindre niveau les Belges et les Italiens) une nation profondément traumatisée par son passé colonial et esclavagiste, ce qui impacte la manière dont nous l’enseignons.

Cela étant posé, si l’histoire de l’immigration est effectivement quasi-absente des enseignements transmis jusqu’au secondaire (et encore cela est en train de changer), celles de la colonisation et des décolonisations sont aujourd’hui traitées dans les programmes scolaires et les manuels d’histoire avec beaucoup plus d’ampleur et de qualité qu’ils y a une génération, voir deux générations. Ils ont, en effet, beaucoup évolué sur ce point depuis les années 1980 — l’histoire de l’esclavage et de ses abolitions, fait néanmoins encore débat puisqu’aux Antilles le niveau d’enseignement et de savoirs n’est pas identique à celui de France. 
Certes on peut se montrer critique sur la place qu’occupe l’enseignement de la colonisation, on peut également juger la nature de cet enseignement, on peut noter une crispation récente aussi sur cette question — à travers le débat sur la repentance, ou l’article de loi de 2005 —, mais la notion de faible place (ce qui ne veut rien dire qui plus est) dans l’enseignement de l’histoire doit être relativisée (et contestée) à l’aune de la réalité de l’enseignement de l’histoire coloniale au sein de l’école. Rien que dans les manuels scolaires, cette question est aujourd’hui, présente dans une proportion qui ne fait plus débat. Enfin, les outils pédagogiques se sont multipliés sur ce thème ces dernières années : n° de TDC (textes et documents pour la classe) sur la colonisation ou les exhibitions ethnographiques ou la place des colonies dans les conflits mondiaux, dossiers spécifiques de la Documentation française, ouvrages de vulgarisation ou illustrés, films de fiction ou documentaires en dvd ou téléchargeables sur internet, expositions, festivals de films, sites spécialisés par dizaine sur le net… Nous ne sommes plus au temps où seul TF1 avait produit en DVD « Le temps des Colonies » raconté par Alain Decaux... Aujourd’hui la colonisation est une histoire accessible, enseignée et présente. Cela ne veut pas dire qu’elle ne fait toujours débat, comme le montre les réactions très vive de Pierre Nora, l’un des plus illustres historiens français, dans les colonnes du journal Le Monde le 17 octobre 2011 sur le fait que cette histoire serait spécifiquement “politisée”.


On ne peut donc plus considérer de façon totalisante que l’histoire de la colonisation est absente de l’enseignement au sein de l’école, ni des supports pédagogiques mis à disposition. Alors d’où vient ce sentiment d’un « manque » ? Sans aucun doute, ce sentiment doit être perçu à travers un spectre plus vaste que la simple étude quantitative et qualitative des manuels scolaires, de l’enseignement de l’histoire coloniale ou des supports pédagogiques mis à disposition. En fait, la question n’est pas là. En effet, cette analyse ne peut être détachée de la société dans laquelle cet enseignement est produit, ni évité de parler du contenu explicite de cet enseignement — de quoi parlons-nous réellement et comment ? —, ni des enjeux en mouvement derrière cet enseignement : enjeux politiques, enjeux de mémoire, enjeux territoriaux, enjeux identitaires, enjeux idéologiques…
Ce qui fait question dans ce débat, c’est la « peur » de notre société actuelle à appréhender ce passé, car nous pressentons que ce passé n’est pas neutre pour notre présent, qu’il l’affecte toujours. C’est cela qui fait question, à travers une problématique duale : dois-je enseigner cette histoire pour que ce savoir fasse lien entre nous au sein d’une société française, certes diverse, mais aussi fragile et en questionnement dans son processus intégrationniste ou dois-je reporter à plus tard l’analyse de ce passé en prenant le risque que la mémoire remplace l’histoire et que cette mémoire structure une revendication dite « communautariste » qui viendrait interroger la République sur son histoire intime ?


Il y a 5 ans, ce débat a pris une nouvelle ampleur (et visibilité) avec les articles de loi n°1 et 4 votés en février 2005 au Parlement. D’un coup, l’histoire de la colonisation est devenu un sujet polémique, lié à notre présent, un débat national en quelque sorte. En fait, d’un coup, on pouvait enfin mesurer de visu les enjeux politiques et idéologiques de cet enseignement : fallait-il en parler de façon positif ou négatif ? Quel impact cela avait-il sur le présent ? En quoi parler de ce passé aurait-il un lien avec l’identité nationale (repentance ou non, travail de mémoire ou non, vision la France et de notre identité nationale…) ? D’un débat invisible et qui n’existait pour ainsi dire pas, on était, en quelques mois, passé à un débat national, polémique, parlementaire, identitaire… qui allait émerger dans de nombreux livres et articles tout au long de 2005 et 2006 et qui allait, par exemple, être un des pivots du discours du futur président de la République en mai 2007. En effet, au soir de sa victoire, il va parler de « haine de soi » et de « haine des autres » au sujet de la « repentance » et de la « guerre des mémoires » (et tout le monde a alors compris, dans ce dialogue codé, que l’on parlait alors d’esclavage et de colonisation).


On assiste aujourd’hui à un tournant majeur, en France, dans le rapport à l’histoire de la colonisation et de l’esclavage. Et encore, ces débats trouvent leur genèse dans la période précédente, l’un avec le débat sur la guerre d’Algérie à partir du 30e anniversaire du conflit et l’autre, sur l’esclavage, à partir de 1998 et du 150e anniversaire de l’abolition de 1848. Mais, à partir de février 2005, en exprimant la posture « officielle » de la France sur cette page fondamentale de son histoire outre-mer longue de quatre siècles, après quarante-cinq ans de politique du silence, les Parlementaires ont fixé la ligne rouge entre histoire et mémoire, je cite le contenu du premier article (non abrogé à ce jour) pour bien mesurer les enjeux alors en mouvement : « La nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française » . 

Les Parlementaires ont, comme le montre ce texte, donné à cette question une portée politique indéniable. En même temps, après cette longue période de silence même si les historiens ont travaillé sur ce passé, cette question par son absence dans les enjeux historiques contemporains majeurs est depuis les indépendances un véritable enjeu en matière d’enseignement de l’histoire dans la mesure où sa marginalisation correspond à la fois à un choix politique et à une place en reflet avec celle-ci au cœur de la recherche et de l’université : marginale et silencieuse. Pour faire simple : sa marginalisation dans l’enseignement n’est ni plus ni moins le reflet de sa marginalisation dans la pensée politique française et sa place secondaire dans les enjeux universitaires et de recherches, la recherche française à regarder avec mépris les travaux sur la colonisation et avec dédain ceux qui s’inscrivaient dans le post-colonialisme, sans même parler de la marginalisation dans l’imaginaire nationale, comme le montre la place réservée dans les lieux de mémoire de Pierre Nora pour lequel un seul événement mérite de l’intérêt en la matière : l’exposition coloniale de 1931. Pour les politiques, ce silence permettait d’éviter d’entrer dans une guerre électorale aux forts relents électoralistes, mais aussi d’interroger les héritages de ce passé ultramarin dans le présent, des banlieues aux DOM-TOM, des débats sur l’intégration à ceux sur les discriminations. 

Dans une telle perspective, pour répondre à la question pourquoi « la France ait autant de mal à son histoire coloniale ? », il faut avant tout répondre à la question comment faire pour mieux « appréhender le passé colonial dans la France d’aujourd’hui », ce n’est plus une question de savoir-éducation, mais bien une question de transmission-opposition dans une société qui est en posture d’hypersensibilité sur cette question. Il n’y a pas un fond neutre, mais bien un contexte qui induit la modélisation à venir et à trouver pour « enseigner » le passé colonial. Le contexte est donc aussi important que le savoir. En sommes, dans ce débat, aujourd’hui, ce n’est pas ce que l’on enseigne qui compte, mais bien la réception de ce que l’on enseigne et ce que cela peut changer dans notre vision du monde et de nous-mêmes… 


CCN. Dans les dernières colonies françaises d’Amérique chez certains qualifient la situation actuelle de "post coloniale" d’autres disent que nous sommes encore à l’époque du colonialisme, quelle est votre position sur cette question ? 

P.B. La question ne se pose pas en ces termes. La situation est clairement postcoloniale, mais cela n’a aucune connotation politique. C’est une manière de lire et de comprendre les héritages dans le présent. Je ne pense pas que nous sommes dans une situation à l’identique coloniale, dans la mesure où le suffrage universel s’exprime, où les citoyens s’expriment, où les enjeux politiques peuvent s’exprimer. Cela n’a rien à voir avec les années 30 ou les années 60 du Bumidom. Même si les “traces du colonial” peuvent être visibles dans le présent.


CCN. Les colonisés « dom » qui vivent en France, se considèrent comme des "français descendants d’esclaves" ou des "français noirs » une dénomination que nous réfutons. Comment comprenez vous ces postures ? Est-ce que ces" franco-caribéens noirs immigrés", ne seront pas demain des " harkis " quand nos pays auront accédé à l’indépendance ?

P.B. Question complexe à laquelle le livre la France noire, comme les trois épisodes de Noirs de France essayent de répondre avec précision. Il me semble que la nouvelle génération, née en France n’a pas le même lien avec la Caraïbe que les aînés, c’est ici qu’elle va devoir en grande partie bâtir son destin et cette situation nouvelle interroge de facto les identités les postures et la nature même du regard sur le futur. Je ne pense pas que les Algériens qui vivent en France sont des Harkis de l’Algérie devenue indépendante ! Si demain, des territoires comme Mayotte, la Réunion, La Guadelouoe, la Martinique ou la Nouvelle-Calédonie, accédaient à l’Indépendance , une question de fond se poserait à des dizaines de milliers de personnes en France, mais les réponses seront de fait individuelles.



CCN. Dans nos pays caribéens nous sommes très méfiants à l’égard des socialistes français, qui n’ont jamais eu une analyse correcte de la question coloniale : Comment le comprendre ? Du point de vue de l’idéologie coloniale le PS actuel est-il si différent de l’UMP ?

P.B. Deux choses pour vous répondre : la gauche française et les socialistes n’ont de toute évidence pas encore commencé leur propre réflexion sur le passé colonial. Par contre, je ne pense pas que la pensée de gauche soit identique à celle de l’UMP sur ces questions, cela ne veut pas dire que les deux cultures sur le passé colonial ne produisent pas en fin de compte des effets négatifs.


Pour être plus clair, je reviendrai aux derniers travaux sur le passé colonial de la gauche. Comme l’avait fait, il y près de 20 ans, Jean-François Sirinelli avec les trois volumes de son Histoire des droites en France (Gallimard, 1992), l’ouvrage en deux tomes (Histoire des gauches en France), dirigé par Jean-Jacques Becker et Gilles Candar publié en 2004, avait consacré deux chapitres distincts à la question coloniale au XXe siècle vue de “ gauche ” (tome 2), qui font suite à l’article sur la même thématique dans le tome précédent de Gilles Manceron (La gauche et la colonisation). La césure chronologique retenue sur le XXe siècle — avant et après 1945 —, assez classique en matière de découpage historique, a été confiée, ce qui en soit est à souligner, à deux jeunes historiennes : Emmanuelle Sibeud (La gauche et l’empire colonial avant 1945) et Sylvie Thénault (La gauche et la décolonisation). 
On le voit bien dans cet ouvrage, il ne s’agit pas d’ “ une gauche ”, mais bien “ des gauches ”. Car, justement, sur la question coloniale, les clivages sont nombreux et les engagements loin d’être uniforme. En outre, pour l’entre-deux-guerres, on ne peut se limiter aux discours, il faut tenir compte des débats internes des gauches — et de toute la société française —, sur l’immigration dite “ exotique ” en France, l’association permanente entre anti-colonialisme / anti-communisme et, à partir des années 20-30, l’engouement général pour ce domaine colonial qui vient de “ sauver ” la nation en guerre et qui s’expose avec emphase à Vincennes. 
Que l’on parle de colonialisme réformateur ou réformiste, de “ volonté ” de changer le système de l’intérieur ou que l’on dénonce (sur les pas de l’auteure) le “ mauvais procès ” fait à “ la gauche ” d’avoir “ abandonné la partie au début des années 1930 ”, il y a bien une difficulté — voire un grand écart qui s’avère aujourd’hui intenable — à tenter de donner un sens cohérent au double discours de la gauche française avant la Seconde Guerre mondiale en matière de pratique et de politique coloniale.


L’exemple le plus pertinent reste le parcours personnel de Marius Moutet. À l’origine “ avocat ” d’un grand nombre de militants “ indigènes ” et dirigeant actif de la LDH, il devient l’un des plus efficaces ministres des Colonies du Front populaire (poste qu’il occupera une seconde fois en 1946), s’entourant d’une jeune garde qu’Emmanuelle Sibeud présente comme “ volontariste ” (Delavignette ou Brévié)… mais elle omet de préciser qu’ils poursuivront leur action — comme acteur majeur qui plus est — de la Révolution impériale sous Vichy. Autre oubli, celui-là essentiel, il concerne les anarcho-syndicalistes des années 1900-1913, regroupé au sein de L’Assiette au Beurre (journal satirique illustré), qui sont les premiers à gauche à poser les bases d’un refus “ en bloc ” et très explicite (“ L’Algérie aux Algériens ” titre un numéro illustré par Jules Grandjouan de mai 1903) face à cette République coloniale qui s’engage outre-mer dans une impasse et trahit ses valeurs “démocratiques ”. 
À l’issue d’un long processus marqué par des renoncements successifs et des capitulations face au lobby colonial, l’arrivée du Front populaire, comme le souligne Emmanuelle Sibeud, est perçu comme un tournant qui s’annonce “ majeur ”. C’est bien au carrefour de ce paradoxe “ français ” que se situe l’analyse la plus pertinente de cette relation franco-coloniale dont, semble-t-il, nous ne sommes pas encore sortis et qui mérite, dans l’avenir, d’être revisitée par les chercheurs.

Pour nous éclairer dans cet ouvrage, l’article de Sylvie Thénault, sur les quinze années qui précèdent les indépendances, est très bien structuré et, surtout, il met en exergue les contradictions — mais aussi les engagements — des “ gauches ” (et non de la “ gauche ”) françaises tout au long de ces années de conflits. On l’oublie trop souvent, mais la France de 1945 à 1961 a été, jour après jour, en guerre. Du 8 mai 1945/2 septembre 1945 jusqu’à la fin du conflit algérien, cette situation est celle d’une IVe République et d’une Ve République (naissante) en “ pacification permanente ”. Cette période voit aussi s’imposer, dans l’univers des “ gauches ”, des personnalités politiques qui en matière coloniale vont marquer de leur empreinte — dans tous les sens du terme — leur temps. Qu’ils s’agissent de François Mitterrand, de Pierre Mendès France, d’Alain Savary, de Gaston Defferre ou de Guy Mollet, mais aussi des futurs leaders historiques issus des colonies comme Aimé Césaire, Raymond Vergès, Léopold Sédar Senghor ou Félix Houphouët-Boigny. Elle montre alors, avec précision, comment la question coloniale, au-delà d’une simple lecture des enjeux de “ terrain ”, touche au cœur la société française, mais aussi l’évolution doctrinale de la gauche socialiste, donnant par exemple corps à une opposition à la majorité mollétiste qui conduira au PSA (1958), puis au PSU. De même, elle insiste sur l’impasse des différentes majorités gouvernementales qui se succèdent, ainsi que sur “ l’absence de projet ” anticipant les indépendances et le fait que cette question était le plus souvent “soumise à d’autres impératifs ” au sein des partis de gauche. Surtout, elle précise, dans une implacable démonstration — et celle-ci est valable pour une majorité des socialistes… comme des communistes —, que tout au long de ces années de “ conflits ”, une “illusion d’une colonisation bénéfique a ainsi maintenu les gauches dans une politique niant le fait national et en réprimant les manifestations ”.


Tout au long de ce récit de ces “ années noires ”, émergent aussi des combats dont une partie de la gauche française a été le moteur et qui soulignent l’évolution progressive de sa prise de conscience face à des partis trop souvent aveugles et repliés sur leur pré-carré national. La lutte contre la torture, dès l’Indochine, puis en Algérie est la plus évidente, mais le combat pour la libération d’Henri Martin lors du conflit indochinois dont le PCF est le fer de lance est aussi une de ces épopées militantes qui marque une génération. Certes, au moment du vote des pouvoirs spéciaux, une partie des militants ne comprendront pas les prises de position du PCF ou des socialistes, ce qui oblige à une lecture sur plusieurs strates de cette relation complexe gauche-colonisation.


À l’aune de cette étude, deux couples d’une gauche coloniale émerge (et s’opposent) : celui de Pierre Mendès France/Michel Rocard — le premier initiateur en Indochine comme en Afrique du Nord d’une “ autre politique ” et, le second, acteur volontariste des accords de Matignon (juin 1988) après la crise calédonienne — et, d’autre part, le couple Guy Mollet/François Mitterrand — qui reste comme le symbole de l’engagement jusqu’à l’aveuglement des gauches françaises Outre-mer. Dans le cas de François Mitterrand, du ministère de la France d’Outre-mer au conflit algérien, de son action à la tête de l’UDSR (qui regroupe la grande majorité des élus “ coloniaux ” de la IVe République) à la présidence de la République (avec la cellule africaine de l’Élysée et jusqu’au génocide rwandais), sa “ politique ” aura marqué pendant près d’un demi-siècle notre relation “ coloniale ” au monde.

Trois exemples nous semblent pertinents pour illustrer ce continuum dans le présent au sein de la gauche du non-dit sur la question coloniale qui est à la base de la question, me semble-t-il que vous me posez. Le premier est d’ordre mémoriel : l’absence de mise en œuvre de la moindre action importante ou musée pour donner aux générations actuelles un minimum de connaissances sur cette histoire coloniale commune au cours des deux septennats mitterrandiens ou de l’époque de Lionel Jospin.


Le second exemple est l’incroyable aveuglement de la gauche française sur la question de l’intégration et de la présence des immigrés, issus de cet ex-empire colonial, dans les politiques mises en place.


Enfin, le dernier exemple est le silence des personnalités politiques de “ gauche ”, depuis 5 ans, sur les réalisations gouvernementales en matière de mémoire coloniale ou d’histoire de l’immigration (à part quelques exceptions au moment du discours de Dakar). Que ce soit pour l’installation d’un Mémorial des outremers à Marseille ou pour l’installation symbolique — sous la direction du député européen UMP Jacques Toubon — du futur centre sur l’histoire de l’immigration, à Paris, dans l’ancien Palais des Colonies datant de 1931, de la Porte Dorée.

Ce silence pesant est-il celui d’une gauche qui regarde — toujours — son passé “ colonial ” avec tant de traumatismes qu’elle aurait décidé, dès lors, de laisser la droite et l’extrême droite construire, à sa place et seules, l’histoire et la mémoire de cette page d’histoire nationale dans notre pays ?


CCN. France Noire, c’est l’expo que vous proposez bientôt, quels sont les objectifs ? Sera-t-elle vue dans la Caraïbe ?

P.B. Je pense que vos lecteurs trouveront toutes les explications et présentations sur le site du Groupe de recherche Achac ( www.achac.com), mais nous avons pour projet (avec toutes les difficultés organisationnelles que cela comporte) de présenter dans toute la France cette exposition (éditée en plusieurs exemplaires), ainsi que dans les départements d’outre-mer et enfin dans plusieurs pays africains. Nous, nous sommes donné 12 mois pour cela.


CCN. Où en est l’anticolonialisme français d’aujourd’hui ? 

P.B. Je pense que cela n’a plus beaucoup de sens aujourd’hui, en tant que concept fort des années 1940-1970. Nous sommes entrés dans une nouvelle dynamique, à mon sens plus forte, qui tente de croiser une approche postcoloniale des questions historiques, qui essaye de croiser histoire des diaspora et des nation, et enfin une capacité à exprimer un refus des situation de domination qui laisse à chacun un panel de potentiel bien plus large en terme d’engagement politique que celui dont disposait nos aînés. 

* diffusée début 2012 sur France Télévisions.


NOIRS DE FRANCE - Teaser from Phares et Balises on Vimeo.




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INVITATIONS AUX DEUX PROJECTIONS
 
EN AVANT-PREMIERE
 
DE LA SERIE DOCUMENTAIRE (3 FILMS)
 
NOIRS DE FRANCE
 
LES VENDREDI 18 NOVEMBRE
 
ET LUNDI 21 NOVEMBRE 2011
 
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Une production Compagnie des Phares et Balises, en coproduction avec l’INA,
avec la participation de France Télévisions, Public Sénat et TV5 Monde,
avec le soutien de l’Acsé, du CNC et de l’image animée, de la Procirep et de l’Angoa
 
 
 
Noirs de France est une série de trois documentaires produite par La Compagnie des Phares et Balises, co-écrite par Juan Gélas et Pascal Blanchard et réalisée par Juan Gélas. Les trois films suivent un parcours à travers le temps depuis la fin du XIXe siècle : Le temps des pionniers (1889-1939 / volet 1) ; Le temps des migrations (1940-1974 / volet 2) ; Le temps des passions (1975-2011 / volet 3).
 
 
Vendredi 18 novembre 2011 à partir de 14h45
à l’Auditorium de l’Hôtel de ville de Paris
5 rue de Lobau - 75004 Paris
Episode 1 (Le temps de pionniers, 1889-1939)
et Episode 2 (Le temps des migrations, 1940-1974)
 
 
 
Vendredi 18 novembre seront projetés les deux premiers volets de la série documentaire Noirs de France (Le temps de pionniers, 1889-1939 et Le temps des migrations, 1940-1974) en présence de Juan Gélas et Pascal Blanchard.
 
Cette projection sera accompagnée de la première présentation de l’exposition L’histoire des Afro-Antillais en France, en quinze panneaux, ainsi que de l’ouvrage La France noire (La Découverte) sorti le 3 novembre 2011.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Lundi 21 novembre 2011 à partir de 19h15
à La Flèche d’Or
102 bis rue de Bagnolet - 75020 Paris
Episode 3 (Le temps des passions, 1975 à nos jours)
et table ronde/débat après la projection
 
 
 
Lundi 21 novembre sera projeté le troisième volet de la série documentaire (Le temps des passions, 1975 à nos jours).
 
Cette projection sera suivie d’une table-ronde animée par Pascale Boistard (Mairie de Paris) et Pascal Blanchard co-auteur du documentaire (Groupe de recherche Achac), en présence de Audrey Célestine, Claudy Siar, Christiane Taubira, Jean-Claude Tchicaya, Louis-Georges Tin, Anasthasie Tudieshe et Françoise Vergès. Cette soirée sera également accompagnée de la présentation de l’exposition L’histoire des Afro-Antillais en France, en quinze panneaux, ainsi que de l’ouvrage La France noire (La Découverte) sorti le 3 novembre 2011.





RETROUVEZ DES A PRESENT, EN AVANT-PREMIERE, LA BANDE-ANNONCE DU FILM DOCUMENTAIRE EN SUIVANT LES LIENS CI-DESSOUS :

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Les réservations se font exclusivement auprès de la mairie de Paris. 
 
Réservation indispensable pour chacun de ces deux évènements
au 01 42 76 67 20 ou genevieve.theraulaz@paris.fr
 
 
 


 
 
Groupe de recherche Achac
80 rue Laugier - 75017 Paris



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Voir en ligne : France. Colonisés, français noirs ou néo harkis ? Les immigrés des « dernières colonies françaises » face a leur destin.

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