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La privatisation de l’occupation : Les mercenaires et les ONG

Yves ENGLER - 31 août 2010

mardi 14 septembre 2010

Les fanatiques du libre marché soutiennent que le secteur privé peut presque tout faire mieux que les gouvernements. Les plus fanatiques ne tolèrent pas le "presque" et affirment que même la police et l’armée devraient être privatisées.

Le développement des compagnies privées de sécurité (PSC) est généralement considéré comme le résultat du succès des arguments des fanatiques du marché.

Ce qui est moins commenté c’est la croissance parallèle des organisations non-gouvernementales (ONG) qui oeuvrent pour le développement de la santé, de l’éducation et des services sociaux, spécialement dans le tiers-monde, services qui étaient auparavant offerts pas les institutions publiques.

De manière intéressante, au moins une personnalité interne a fait le lien entre les deux. James Fennel, conseiller de Armorgroup et ancien employé d’ONG, explique que ces organisations ont des trajectoires historiques similaires : "Le rôle croissant des entreprises commerciales de sécurité peut être considéré comme allant de pair avec le développement de la politique de la contribution technique des ONG dans les 20 dernières années pour apporter une aide officielle aux pays du sud et les assister dans leur développement."

En plus de racines idéologiques similaires, les PSC et les ONG ont souvent des liens plus directs. Récemment CARE, Save the Children, CARITAS et World Vision ont tous loué les services de firmes privées de sécurité (PSC) pour protéger leurs activités à l’étranger.

Inquiètes pour leur image, les ONG occidentales préfèrent dissimuler leurs liens avec les PSC mais un certain nombre d’études techniques les mettent en lumière. Une étude a montré que "toutes les organisations humanitaires importantes ( c’est à dire les agences humanitaires de l’ONU et les ONG les plus importantes) avaient employé des gardes armés au moins une fois et environ 22% des plus importantes organisations humanitaires ont reconnu avec utilisé les services d’entreprises de sécurité durant l’année précédente [2007]."

USAID (United States Agency of International Development) a demandé aux ONG qui étaient en mission en Irak de louer les services de gardes de sécurité privés. Corez Levine, conseiller en droits de l’homme, explique : "Mon organisation, un petite ONG qui travaille à restaurer la société civile n’a pas fait exception. Environ 40% de notre budget de 60 millions de dollars a été employé à protéger les 15 internationaux qui composent notre équipe. Notre entreprise de sécurité était sud-africaine."

CARE Etats-Unis a aussi employé d’anciens militaires sud-africains pour protéger ses opérations en Irak. Peter Singer, auteur du livre "Les guerriers privés : le développement de l’industrie militaire privée" décrit la militarisation du travail des ONG en Irak. "La mesure dans laquelle les choses ont changé est illustrée par une ONG humanitaire qui a loué les services d’une PMF (firme militaire privée) pour protéger ses installations et son personnel en signant un contrat qui comportait l’emploi de tireurs d’élite."

L’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan ont augmenté les liens entre les ONG et les PSC de manière significative. En 2006 Singer a écrit : "Les représentants de l’industrie estiment qu’environ 25% des entreprises "haut de gamme" qui fournissent des services armés et plus de 50% des firmes qui fournissent du soutien logistique ont travaillé pour des clients qui étaient dans l’humanitaire." ArmorGroup, MPRI, KROLL, Olive, Southern Cross, Triple Canopy et Blackwater ont tous apparemment travaillé pour des organisations humanitaires.

ArmorGroup est une des entreprises favorites des ONG. En 2002 ses client comprenaient UNICEF, CARE, CARITAS, et la Croix Rouge. ArmorGroup fait de la publicité auprès des ONG. Ils ont embauché un ancien responsable de CARE-Angleterre, James Fennel, et se présentent comme le leader de la corporation en ce qui concerne les standards éthiques. C’est peut-être vrai, mais la firme a pourtant été éclaboussé par quelques scandales. En août dernier, un de ses employés a tiré et tué deux collègues et blessé un interprète irakien. Avant d’être embauché par ArmorGroup, Danny Fitzsimons a eu quelques accrochages avec la loi en Grande Bretagne et a été licencié par une autre PSC pour instabilité de caractère. Corporate Mercenaries fait état d’un autre scandale : "Defense System Colombia (DSC), un organe subsidiaire de DSL (maintenant ArmorGroup), a été soupçonné de fournir des informations secrètes détaillées à la célèbre XVIième Brigade de l’armée colombienne pour identifier des groupes opposés à [la compagnie pétrolière] BP présents dans la région de Casanare. Ces fuites semblent avoir eu une incidence sur des exécutions et des disparitions."

Southern Cross est une autre PSC qui travaille pour des agences humanitaires et qui se dépeint comme une entreprise aux aspirations morales. Mais elle a aussi un passé trouble. Southern Cross a été fondée dans la Sierra Leone en 1999 par Cobus Classsens un officier d’Executive Outcomes qui fut créé par les anciennes Forces Spéciales de l’Afrique du Sud de l’apartheid.

Avant d’être démantelé Executive Outcomes incarnait tout ce qu’il y a de pire dans les entreprises de sécurité privées. Aujourd’hui, c’est Xième Service, auparavant Blackwater, qui détient ce sinistre record tout en ayant des liens propres (ce n’est pas un jeu de mot ! NdT) avec des ONG. Un rapport de 2006 de Humanitarian Policy Group affirme que Blackwater est employé par des groupes humanitaires et en février dernier, Bashir Bilour, le ministre de la province de la frontière nord-ouest du Pakistan (NWFP) a reconnu que "Blackwater se trouve au Pakistan et opère dans la NWFP ainsi que dans d’autres secteurs". Selon Bilour "Blackwater avait été engagé pour garder le personnel du consulat et les employés d’ONG étrangères."

Un groupe qui prétend avoir des objectifs "humanitaires" ou de "développement" ne devrait évidemment jamais embaucher Blackwater mais comment définir une limite à ne pas franchir ?

Embaucher même la plus morale des PSC pose déjà tout une série de problèmes éthiques.

En louant les services des PSC, les organisations humanitaires concourent-elles au boom que connaissent les compagnies privées de sécurité ? Les PSC aiment le plus souvent faire état de leurs liens avec les ONG car elles croient que cela aide à "légitimer leur activité commerciale".

Koenraad Van Brabant pose une question plus importante. En embauchant des PSC les ONG "contribuent-elles à augmenter la sécurité publique dans son ensemble" ou "cautionnent-elles une privatisation de la sécurité qui permet à ceux qui en ont les moyens de vivre en sécurité pendant que les autres vivent dans la peur" ? Le personnel des ONG a sûrement les moyens de se payer des services de sécurité mais ce n’est pas un luxe que la plupart des gens peuvent se permettre.

Dépendantes des contrats des gouvernement occidentaux, les ONG suivent souvent les militaires dans les zones de guerre. Ce qui fait qu’elles sont souvent perçues comme les agents hostiles d’un pouvoir occupant. Et en conséquence elles ont besoin de services de sécurité.

Est-il si surprenant que les ONG qui fournissent les services que les institutions publiques offraient auparavant se tournent vers les firmes privées de sécurité qui font exactement la même chose ?

Yves Engler

Yves Engler est le co-auteur de "Canada et Haïti : la guerre contre la majorité pauvre". Son livre le plus récent est "Canada et Israël : construire l’apartheid". Pour plus d’information visitez son site Web : yvesengler.com

pour consulter l’original : http://www.counterpunch.org/engler0...

Traduction : D. Muselet pour le Grand Soir
URL de cet article
http://www.legrandsoir.info/La-privatisation-de-l-occupation-Les-mercenaires-et-les-ONG-Counterpunch.html

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