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François Ruffin en soldat du protectionnisme universaliste

Vincent Barros | marianne2.fr | mercredi 19 octobre 2011

jeudi 20 octobre 2011

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En plein débat sur la démondialisation, le journaliste François Ruffin publie un ouvrage pour le moins opportun : « Leur grande trouille. Journal de mes tentations protectionnistes ». En croisade contre le dogme du libre-échange, le fondateur du journal satirique Fakir tend à justifier par une enquête de terrain le combat d’économistes favorables à un protectionnisme européen. « C’est notre dernière arme », alerte Ruffin.



Les détracteurs, déjà ciblés et déclarés, du nouveau livre de François Ruffin diront qu’il est dans l’air du temps... Que son enquête de terrain est aussi vaine que l’alternative économique qu’elle entend servir. Peut-être. En attendant, force est de constater que le livre en question – Leur grande trouille. Journal de mes « tentations protectionnistes » - tombe à pic. Car en effet, c’est bien de protectionnisme qu’il s’agit, dernière hérésie dont on cause sur le papier, les ondes et les plateaux télé.
 
Par la voix d’Arnaud Montebourg, et les voix électorales qui l’ont plébiscité lors des primaires socialistes, le débat autour de la démondialisation s’impose. Ce même débat, fondateur pour le socialisme européen, inspirait déjà les prises de position de Jaurès. Un bon siècle plus tard, François Hollande, candidat à la candidature présidentielle, est invité à en tirer les enseignements. Sinon politiques, du moins électoraux.
 
Mercredi dernier, La Tribune consacrait sa Une et deux pages à ce « vent de protectionnisme qui souffle sur la planète ». L’on y apprenait que le Sénat américain était sur le point d’adopter un projet de loi protectionniste visant à sanctionner les pays dont la monnaie est sous-évaluée. Dans son collimateur, la Chine ! Le Brésil, lui, applique déjà des droits de douane sur les produits issus de pays qui sous-évaluent leur monnaie, tandis que l’Argentine a mis en place depuis 2008 quelque 140 mesures protectionnistes destinées à favoriser la consommation de biens domestiques.

Le Bien ou le Mal

Le débat cristallise les tensions. Pour Nicolas Sarkozy, Montebourg « refuse le monde ». François Hollande s’interdit même d’employer le mot qui fait peur. « Le protectionnisme est porteur de toutes les dérives ! Nationalistes ! Xénophobes ! Extrémistes ! », s’emballent ses adversaires.
 
Le libre-échange pour « la prospérité et la paix du monde » ou le protectionnisme comme « prélude au fascisme » ? Le Bien ou le Mal ? C’est la curée. Et voilà qu’un littérateur picard, François Ruffin, décide de s’en mêler… Loin des joutes oratoires, le fondateur du journal satirique Fakir, qui s’était fait connaître par Les petits soldats du journalisme (2003), publie cette fois « une enquête au cœur de nos entreprises et de nos dirigeants qui démontre que l’ouverture à tout crin de nos frontières sème le vent, la tempête et la misère ».
 
Pendant dix ans, Ruffin a visité des usines, vu des ouvriers manifester, désespérer, et avec, toujours, au bout, la défaite. « Ça m’a lassé. Le dégoût est monté lentement, comme une marée. Mais là, avec les Parisot, il s’est installé, définitif », écrit-il.
 
Engagé à gauche, le journaliste lance la contre-offensive. Face aux patrons, au Medef, il joue de leur grande trouille protectionniste. « Voilà leur talon d’Achille. Contre leur libre-échange, des barrières douanières. Des taxes aux frontières. Des quotas d’importation. La grosse artillerie. C’est notre dernière arme. Les seules batteries qui les feront reculer », écrit Ruffin, qui s’entête et reprend l’histoire. L’Acte unique européen en 1986, le Traité de Maastricht en 1992, le Traité de Lisbonne en 2007 : toutes ces étapes vers « une politique mondialiste libre-échangiste » (Maurice Allais) ont été votées « sous les injonctions du Capital ». Ruffin rappelle que la fameuse « concurrence libre et non faussée » de Jacques Delors était approuvée en premier lieu par le lobbying patronal.

« L’hypothèse interdite »

A la lecture de son journal de bord, vivant et accessible, on chemine à ses côtés, on écoute, on constate : on explore avec lui « l’hypothèse interdite ». Les réflexions de six « intellos » orientent sa démarche réflexive : Jean-Luc Gréau, Maurice AllaisFrédéric Lordon, Jacques Sapir, Emmanuel Todd et Ha-Joon Chang. Que des économistes militant pour un protectionnisme européen.
 
Leurs arguments sur les dumpings social, fiscal et écologique trouvent une résonnance pertinente dans les témoignages recueillis par Ruffin en dix années de reportages : ces travailleurs victimes « de la course au moins disant » avant l’issue des délocalisations, ces syndicalistes pleurnichards qui prétendent combattre le libéralisme sans s’attaquer au libre-échange, ces ministres qui vantent leurs cadeaux fiscaux et coups de rabot comme des « efforts sans précédant », ces esclaves de l’intensification des transports routier et maritime aux conséquences écologiques inconsidérées, ces douaniers devenus « auxiliaires d’importation » selon leurs propres mots, ces patrons faussement compassionnels mais irresponsables, disent-ils, « des problèmes structurels liés à cette mondialisation, à cette eu-ro-pé-a-ni-sa-tion » (dixit Bernard Arnaud), et enfin ces relais médiatiques qui participent du règne de la mondialisation dans les consciences ; en déguisant notamment le « libre-échange des marchandises » en « libre-échange des cultures », en « ouverture à l’autre et au monde », en « apologie du métissage ».

Pas une politique en soi, encore moins un idéal, mais un moyen

Les adversaires de Ruffin auront tôt fait de le taxer de poujadisme, de nationalisme. Lui leur oppose des témoignages, des chiffres, des faits. Et plaide à l’évidence pour une relocalisation. « Protectionniste, je ne le suis pas par principe », tempère-t-il dans son épilogue. Le protectionnisme n’est pas ici une politique en soi, encore moins un idéal. « C’est un moyen qui, aujourd’hui, pourrait rendre à la politique sa primauté, desserrer l’étau de la concurrence, rouvrir le champ des possibles. C’est une coquille vide, et qui peut se remplir du pire, ou du meilleur : le bras armé d’ambitions rouges et vertes, un protectionnisme moins défensif (industriellement) qu’offensif (socialement, écologiquement) ».
 
Les tableaux Excel de l’Organisation mondial du commerce (OMC), constate Ruffin, comportent plus de dix mille « lignes tarifaires » : « c’est dire l’extrême souplesse dont on dispose, une plasticité qui permet, par exemple, de relever les taxes de 15 % sur les roues de vélo en aluminium en provenance de Hong Kong, de 18 % sur celles en carbone, de 25 % sur celles qui arrivent du Vietnam, etc. Ce cas par cas est à portée de souris, loin des caricatures », insiste Ruffin, qui ne met que des mots sur une aspiration démocratique. « Du détail de ces décisions, je laisse aux techniciens le soin de débattre », et aux patrons libre-échangistes de s’indigner.

Leur grande trouille. Journal de mes « tentations protectionnistes », François Ruffin, éditions Les liens qui libèrent, 230 pages, 18 €.

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