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La fumette, c’est la santé

| liberation.fr | jeudi 13 octobre 2011

jeudi 13 octobre 2011

Il arrive sur son vélo électrique, un casque protecteur sur la tête. C’est quand il en descend qu’on comprend. Nicolas marche d’un pas saccadé, un peu comme un robot. Il doit vite s’asseoir, car ses jambes sont faibles. Nicolas, 31 ans, souffre d’une sclérose en plaques (SEP) mais ne se plaint pas : « Je suis vaillant, par rapport à d’autres malades. J’arrive avec mon vélo. Les autres seraient bien contents d’ouvrir un pot de compote. » La maladie neurologique incurable lui est tombée dessus sans prévenir. « Il était bien parti dans la vie. Et à 15 ans, il s’est pris un missile sur la tronche », résume son avocat. En 1995, dans son collège de Mulhouse, on le vaccine contre l’hépatite B. « J’ai dit : "Ce truc, j’en veux pas", mais on se fout de ton avis. » Quinze jours plus tard, Nicolas boite. On croit d’abord à un déséquilibre du bassin, il porte des semelles orthopédiques. Sans succès. Fini le cross, le foot, le hockey sur glace. « D’année en année, ça s’est lentement dégradé. » Il se raccroche à un drôle d’espoir. « Pendant treize ans, je me suis dit : "Ça ira mieux demain." » En 2007, la fracture d’un orteil l’amène à l’hôpital. Scanner, IRM, ponction lombaire. « Ils hésitaient entre soixante maladies. »Le diagnostic tombe : sclérose en plaques. « Le neurologue me l’a dit par téléphone. Des gens plus faibles seraient allés se jeter sous un train. » Il ne peut pas prouver la relation causale avec la vaccination. Mais pour lui, elle ne fait pas de doute.


Un soir, il y a des années, il tire sur un pétard. Surprise : « Ça va mieux dans les jambes. » Le cannabis comme remède décontractant, bien mieux que les médicaments opiacés, trop forts : « Ils fichent un coup de maillet sur la tête. Si c’est pour être complètement à l’ouest, absentŠ » Il fait pousser l’herbe dans son appartement strasbourgeois, la consomme dans des gâteaux : ça atténue les douleurs et améliore la motricité. Il a aussi ses propres traitements. Un médecin suisse le fournit en homéopathie, un acupuncteur strasbourgeois le soulage. Grâce à cela, il joue de la batterie dans un groupe de métal, A vif ! « De la zik de prolétaire. Avec un chauffeur livreur, un mécanicien industriel, un employé chez Darty. C’est mon oxygène. » Mais il a du mal à appuyer sur la pédale de la grosse caisse. Quand son neurologue lui conseille d’arrêter, il répond : « Prêtez-moi une pelle, que je m’enterre dans la forêt. On n’a déjà plus la santé, et il n’y a pas de traitement. Si en plus, on nous enlève l’espoir. »


Au fil du temps, sa maladie évolue en dents de scie. « Il y a trois ans, je ne tenais plus un stylo, je ne sortais presque plus, je me cassais la gueule tout le temps. Maintenant, ça va mieux. Mais dans six mois, je peux être en fauteuil. Pour les toubibs, c’est un mal mystérieux. » Il est fils unique d’un directeur technico-commercial dans une société de peinture, et d’une mère au chômage, qui souffre d’une polyarthrite rhumatoïde. Avec son BEP de vente, son bac STT, et son diplôme de sociologie, spécialité « médiation citoyenne », il est au chômage. Handicapé à 79%, il touche, depuis juillet 2010, « 751,40 euros par mois ».


Arrive le 13 juin, lundi de Pentecôte. En début d’après-midi, on sonne à sa porte. Les flics. « Ils étaient huit. » Nicolas se retrouve plaqué au mur. « T’es en état d’arrestation. Les pieds de beuh, c’est toi qui les fais pousser ? » Il a été dénoncé, certains pieds étaient visibles. « Avec le printemps de folie, niveau météo, ça avait poussé grave, et ça penchait par la fenêtre. » Il pense à une voisine, avec laquelle il s’est engueulé. S’est-elle vengée ? Il n’a pas de preuves. Les policiers le fouillent, tombent sur sa carte de handicapé. Leur ton change. « T’es malade ? » Il les trouve « un peu emmerdés, bien conscients qu’ils n’avaient pas serré Pablo Escobar ». L’interrogatoire se poursuit. « Ton portable ? - J’en ai pas. - Ton véhicule ? - J’en ai pas. - Tu deales ? - Non. » Les policiers le savent : avant de débarquer, ils ont surveillé son domicile. Pas d’allées et venues. Et il manque des signes extérieurs de richesse. Aucune fringue de marque, « 92 euros sur [son] compte, et une télé de 1991. » Un flic : « C’est pas une télé de dealer. »


Trente-neuf plants sont saisis, de taille adulte ou en boutures, ainsi que le matériel de culture. Nicolas passe trente heures en garde à vue, avec sa copine, « alors qu’elle n’a jamais fumé un pétard de sa vie ». Il en ressort avec une convocation au tribunal correctionnel, pour détention de cannabis.
Le 3 octobre, au procès, il espère s’en tirer avec du sursis. Surprise. Le parquet réclame « une application humaine de la loi ». « Ça me l’a coupée », dit Nicolas, scotché par l’« humanité » du magistrat. Et par la décision « miraculeuse » : reconnu coupable, il est dispensé de peine. Rarissime. Sa copine est relaxée. Les juges ont été touchés : « Il inspire plus pitié qu’autre chose, raconte le procureur adjoint de Strasbourg, Gilles Delorme. Je me voyais mal requérir une sanction avilissante, en remettre une couche alors qu’il souffre le martyre. » Dans un dossier pareil, il aurait d’habitude requis six à huit mois de prison avec sursis. Nicolas se satisfait de la dispense de peine, ne compte pas faire appel. Et reconnaît : « Les opiacées, ce n’est pas la solution. Ça ensuque. Dans des pays proches, on soigne par les dérivés du cannabis. Ça donne des résultats semble-t-il satisfaisants. » Pour l’avocat de Nicolas, sa personnalité a fait la différence : « Il est sans amertume, ne râle pas, ne cherche pas à apitoyer. Ça force le respect. » Me François Trapp n’a pas essayé d’en faire un exemple : « Ça n’aurait pas été lui rendre service. Si j’avais plaidé la dépénalisation, comme on le faisait parfois dans les années 80, ils lui auraient mis une peine. » Et pour lui, le jugement n’est pas une reconnaissance du cannabis thérapeutique. Répondant à un cas exceptionnel, il ne peut faire jurisprudence. Mais « une petite graine peut germer ». Nicolas constate : « Ça tendrait juste à prouver qu’il y a une évolution des mentalités. » Servira-t-elle ? Même fort de sa victoire, Nicolas ne veut pas militer. Il ne se voit pas en porte-étendard, et préserve sa tranquillité en restant anonyme et en ne s’engageant pas pour la dépénalisation généralisée. Il rêve d’un « assouplissement de la loi » pour les malades. Qu’on leur délivre une autorisation de consommer. « L’idéal, ce serait un club de cultivateurs, où les malades chercheraient leur produit à un prix sport. Ou que l’Etat encadre une production pour malades, comme aux Pays-Bas. » Seize Etats américains autorisent le cannabis médical, ainsi que certains pays européens. « Chercher son cannabis à la pharmacie, c’est quand même plus simple que gérer une culture et payer l’électricité. »
C’est pourquoi il a voté Baylet à la primaire PS. Il est plutôt vert, sinon. Sur son vélo électrique, payé par la région dans le cadre des aides aux handicapés, il a collé un autocollant, en anglais : « Une voiture de moins. » Et sur son sac à dos : « Arrêtez de manger des animauxŠ Meat is murder. » Il dit qu’il prend désormais des médicaments pour soulager la douleur. Et espère décrocher un boulot de caissier à mi-temps dans un magasin d’alimentation bio. La vie continue, l’espoir aussi.



En 6 dates
1980 - Naissance à Mulhouse (Haut-Rhin).
1995 - Vaccination contre l’hépatite B.
2002 - 1er joint.
2008 - Diagnostic de sa sclérose en plaques.
13 juin 2011 - Arrêté pour culture de cannabis.
3 octobre 2011 - Reconnu coupable, mais dispensé de peine.




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Transmis par Anne & Ahmid
Thu, 13 Oct 2011 10:15:19 -0700

PAMF


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