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Moi, la finance et le développement durable : savez-vous où va vraiment votre épargne ?

par David Naulin - lundi 2 août 2010

lundi 13 septembre 2010

Moi, la finance et le développement durable : savez-vous où va vraiment votre épargne ?

Sortie le 29 septembre 2010 au cinéma

Jocelyne Lemaire-Darnaud, une ménagère de plus de cinquante ans, ayant récupéré son temps de cerveau disponible, interroge la Finance sur sa responsabilité face au développement durable. Elle raconte : "Tout a commencé un jour par un appel de ma banque. On me proposait de placer de l’argent sur un livret développement durable. Mais quand j’ai posé la question : développement de quoi ? Et durable pour qui ? On n’a pas su me répondre ! Alors, j’ai pris ma caméra ! Ce film enquête est une réflexion sur la schizophrénie dans laquelle nous enferme le système capitaliste ultra-libéral. Nous dénonçons les abus des grandes entreprises, la destruction des territoires, le non-respect du droit humain, les drames sociaux et les licenciements sans nous interroger réellement sur la circulation de notre argent et de ce que cela produit. Comment fructifie-t-il ? On nous incite sans cesse à épargner en nous parlant de la rentabilité de l’épargne. J’ai choisi d’aller voir ce qu’elle nous coûte !!!!"

Moi, la finance et le développement durable - bande-annonce from dirtykoala on Vimeo.

Entretien avec Jocelyne Lemaire-Darnaud

"Le capitalisme est cette croyance étonnante que les plus mauvais des hommes feront les pires des choses pour le plus grand bien de tous." John Maynard Keynes - Economiste anglais, 1883-1946

Les intervenants par ordre d’apparition à l’écran : Emmanuel Delaville, Agence de notation Ethifinance - Michel Laviale, créateur du livret développement durable - Anne Catherine Husson Traoré, Novethic - Pierre Yves Chanu CGT et Michel Lamy CGC, comité intersyndical de l’épargne salariale - Yann Louvel, ONG Les Amis de la terre - Nada Villermain-Lécolier, Fonds de réserve des retraites - Père Etienne Perrot, économiste Jésuite - Robin Edme, président du FIR (Forum de l’investissement socialement responsable) - Geneviève Ferone, pionnière de l’investissement socialement responsable - Michel Lemonnier, Groupama (responsable du développement de l’ISR) - Marion de Marcillac, Eurosif (centre européen de recherche sur l’ISR) - Thomas Lamarche, économiste spécialiste de la responsabilité sociale des entreprises - Sœur Nicole Reille, a créé le premier fonds éthique social Français - Antonio Manganella et Thierry Philipponnat, Bureau entreprise Amnesty international - Sami Gotrane, Natixis (directeur de l’analyse ISR) - Nicole Notat, présidente de Vigeo (Agence européenne de notation sur la responsabilité des entreprises) - Stéphane Voisin et Valery Lucas Leclin, Brokers ISR Crédit Agricole et Société Générale - Manon Jolivet, Analyste ISR chez Vigeo - Jean François Descaves, Financière Dechamplain - Daniel Simard, président de Batirente (Fonds de retraite des travailleurs du québec) - Jacky Blanc, président de la NEF (société coopérative de finances solidaires).
Entretien avec Jocelyne Lemaire-Darnaud

D’où est venue l’idée de faire ce film ?

* "Dans mon précédent documentaire, Paroles de Bibs, un des ouvriers Michelin, Serge Ferry, se demandait pourquoi les actionnaires américains étaient sur la plage, à se reposer, alors que lui faisait les 3x8, et respirait des produits toxiques dans son atelier pour un salaire de misère. A travers cette colère légitime et au-delà de la question cruciale du rapport capital-travail, il s’interrogeait sur la responsabilité des actionnaires et des investisseurs. Je me suis dit que c’était un thème à creuser".

Alors vous êtes partie enquêter ?

* "J’ai voulu voir s’il existait aujourd’hui des institutions, des gens, qui essayaient de réfléchir à la schizophrénie dans laquelle nous fait vivre ce système financier ultra-libéral. Nous sommes nombreux à souhaiter un monde plus juste, un modèle de société qui respecte les femmes, les hommes ici et ailleurs. Nous sommes interpellés par les désastres écologiques. Alors il est légitime de s’interroger sur la circulation de l’argent et sur ce que cela produit".

Comme cette religieuse étonnante qui apparaît dans votre film…

* "J’ai fait la connaissance de Sœur Nicole Reille en 2003. Cette religieuse a créé en 1983 le premier fonds de placement éthique sur des critères non pas religieux mais sociaux en insistant sur le respect des salariés dans l’entreprise. elle avait donné une liste de vingt critères à la société qui gérait l’argent de sa congrégation : création d’emploi, participation à la valeur ajoutée, formation, possibilité d’expression au sein de l’entreprise, conditions de travail et sécurité, etc. C’était pour l’époque une approche « révolutionnaire » de la responsabilité des placements. La question qu’elle posait était : « mon argent peut-il croître à n’importe quel prix ? » Elle a été la première en France à penser très concrètement et pratiquement à des moyens d’agir sur le système financier, de façon responsable. Cette rencontre m’a encouragée à poursuivre mes recherches. cependant, je continuais à penser que ces affaires d’argent, d’investissement ne concernaient que les riches ou très riches, ceux qui ont des actions et un portefeuille à gérer…"

… le film commence par une proposition de placement qui vous a été faite sur un livret Développement durable.

* "En 2008, j’ai reçu un coup de fil de ma banquière me proposant de placer 3 000 euros de droits d’auteur que je venais de percevoir, sur un livret développement durable. Ma première réaction a été de dire : « Oui. si mon argent peut servir la planète ! » Mais le lendemain, je l’ai rappelée et je lui ai tout simplement demandé : « mais développement de quoi et durable pour qui ? » elle m’a dit : « Je ne sais pas, je me renseigne et je vous rappelle. » Je n’ai jamais eu de nouvelles. Là, j’ai repensé à Sœur Nicole, et je me suis dit que j’avais trouvé mon film. La responsabilité des placements, c’était aussi la mienne, la nôtre ! Alors j’ai repris ma caméra !"

Nous avons tous un compte courant, voire un livret d’épargne, et nous ignorons absolument comment les banques utilisent cet argent. ce que vous nous apprenez dans le film fait froid dans le dos : nous sommes, sans le savoir complices d’un système terrible ! et a priori très loin de ce qu’il faudrait faire pour avancer vers un développement vraiment durable.

* "Oui, c’est pour cela que quiconque veut agir pour un monde plus équitable doit d’abord s’interroger sur la circulation de son argent. On a vu des films comme celui d’Al Gore qui nous donnait comme conseils lors de sa conclusion de rouler en vélo, de changer d’ampoule et de prier… Ben voyons ! il faut arrêter de survoler le problème".

En hélicoptère ?

* "C’est drôle ! Plus sérieusement la question que je pose dans ce film est : comment pouvons-nous placer notre argent sur des comptes en banque, je ne parle pas de spéculation ici, sans jouer contre les autres ou la planète ? Pour recevoir sa paie, tout salarié est obligé d’avoir un compte courant. Nous n’avons pas la possibilité de rester en marge du système bancaire. Et tout incite à mettre un peu d’argent de côté pour plus tard, pour les enfants. On croit se protéger mais ce n’est pas ainsi que ça se passe dans les faits. Je dirais même d’une certaine façon que dans la plupart des cas c’est le contraire. La plupart des banques, les assurances, les grands investisseurs utilisent ces ressources pour financer des projets ou des entreprises qui vont dans le sens opposé du monde qu’il faudrait construire. Mon but est de montrer à quel point nous sommes ignorants de notre propre rôle. Quand j’ai découvert que je confiais mon argent à une banque qui finance des bombes à sous-munitions, j’ai été écœurée. Nous ne le savons pas, sachons-le et prenons nos responsabilités. Il faut savoir que les bombes à sous-munitions, non seulement tuent et mutilent des enfants, mais ravagent les terres, et empêchent de les cultiver".

Pour mesurer l’engagement des entreprises dans le développement durable, il existe maintenant des agences de notation spécifiques.

* "Depuis 2001, la loi NRE incite (sans contrainte) les grandes entreprises à joindre à leur rapport financier, un rapport développement durable. Les agences de notation extra financières notent donc les entreprises sur leur responsabilité pour permettre aux investisseurs de faire des choix plus responsables. La question qu’il faut soulever est celle de la transparence des entreprises et de l’accès à l’information. mais aussi celle de l’indépendance de ces agences. Je suis donc allée voir nicole notat présidente de Vigeo, leader européen des agences de notation extra financière créée en 2001…"

Le film fonctionne sur une alternance d’entretiens et de scènes de la vie quotidienne d’une ménagère, vous. Pourquoi ce dispositif ?

* "Ce film est un peu une scène de ménage entre la finance et moi ! et nous ! Plus sérieusement, quand je me lance dans un documentaire, je suis très soucieuse de le faire de la façon la plus juste. Je défends l’idée - qui n’est pas dans l’air du temps - qu’un documentaire cinéma peut être un film d’enquête basé sur des d’interviews. L’important, c’est l’enquête. J’essaie donc de trouver un processus narratif en accord avec mon projet. Je suis comme le spectateur auquel je m’adresse, avant de filmer et en filmant, je reste spectateur avec une caméra d’avance, j’invite les autres à partager un même questionnement. Par ce film, j’invite au débat qui n’a pas lieu ailleurs. C’est la force du documentaire tel que je le conçois. c’est pourquoi j’ai décidé d’incarner, un peu ironiquement, un peu naïvement, cette ménagère qui a récupéré son temps de cerveau disponible. Je découvre en même temps que je donne à découvrir. Bien sûr, certains n’apprendront rien, ils savent déjà parfaitement comment circule leur argent ! Mais iront-ils voir ce film ?"

Pourquoi n’être pas allée directement interpeller les dirigeants des grandes entreprises et des banques ?

* "La question m’avait déjà été posée pour Paroles de Bibs. On me demandait sans cesse : pourquoi n’êtes-vous pas entrée dans l’usine ? Parce que c’était bien plus fort d’entendre les ouvriers en parler ! Surtout que s’il y a bien des gens que l’on n’entend jamais, c’est eux ! C’est un des axes de mon travail, donner la parole à ceux qui ne l’ont pas assez dans l’espace public. Là, le problème est le même. Aller interpeller directement les patrons des grands banques pour essayer de leur faire dire à quel point ils sont cyniques. Quel intérêt ? Le regard critique ne peut pas être réduit à ce type de confrontation. En allant à la rencontre de personnes peu médiatisées qui, au sein même de la grande nébuleuse de la finance et à des niveaux divers tentent de suivre une autre logique que celle de la stricte rentabilité, je propose d’ouvrir un débat qui n’a pas lieu ailleurs dans ces termes. comment pouvons-nous, nous, chacun de nous, agir. Les intervenants de mon film proposent des pistes. En dressant un portrait des acteurs et des institutions de la finance dite responsable, et sans hésiter à épingler certains de ses travers, on obtient de toute façon un portrait en creux de celle qui ne l’est pas du tout ! En donnant la parole à ces acteurs méconnus du système financier qui pensent autrement, j’invite les gens à se poser des questions sur leur propre responsabilité".

Et le magicien dans le film. Quel est son rôle ?

* "C’est à la fois une allégorie ludique mais aussi un coup de surligneur. En magie, tout le monde a beau savoir qu’il y a un truc, on se laisse bluffer. La finance, c’est pareil : vous placez un peu d’argent, pouf, vous avez 5% de plus. mais comment sont apparus les 5% ? Ce qui a permis qu’ils existent reste un mystère. Le magicien, à chaque fois, renvoie à la problématique du film".

L’argent apparaît, disparaît. mais qu’y a-t-il derrière ces flux ? Que produisent-ils en termes de responsabilité ? Le magicien apporte une touche ironique et vous distillez la vôtre, en dépoussiérant. Ménagère et cinéaste. c’est votre façon d’appeler à un grand ménage ?

* "Quand on s’approche de la problématique de la finance et du développement durable, c’est difficile de rester sérieux, il y a un tel hiatus. Les scènes de ménage ne sont pas gratuites, elles ont un sens intrinsèque. C’est ma façon de faire de l’humour réfléchi ! Par exemple quand je dépoussière le piano, c’est un clin d’œil aux agences de notation. c’est une façon de dire aux spectateurs qu’eux aussi peuvent mettre des notes aux entreprises et ajouter des fausses notes dans le système un peu trop huilé des agences de notation… Je lave beaucoup dans ce film aussi… Vous l’aurez remarqué !"

Notre argent pourrait donc contribuer à établir un monde meilleur ?

* "L’argent est seulement un outil d’échange que nous devons nous réapproprier. son rôle a été détourné par l’exploitation et la spéculation. La question à se poser aujourd’hui n’est pas ce que nous rapporte notre épargne mais bien ce qu’elle nous coûte ! Il faut demander des comptes au système financier sur ce que produit notre argent. La clé du changement ne peut venir que de la transparence que nous devons et pouvons exiger. Que font les banques, les assurances, les caisses de retraite, les instituts de placement… avec notre argent ? Où le placent-ils ? Nous vivons dans un système libéral où soi-disant on peut choisir. Alors choisissons et mettons-les en concurrence, sur nos valeurs cette fois-ci ! Créons des alternatives. On peut toujours souhaiter, voire militer pour un monde plus équitable mais tant qu’on ne s’interrogera pas sur la circulation de l’argent et la façon dont l’épargne prospère, rien ne pourra changer. Destruction des territoires, mépris des hommes, exploitation des salariés voilà ce que rapporte notre argent quand il est géré de façon irresponsable… si on demandait à la majorité des gens s’ils étaient d’accord, ils ne le seraient pas. Tandis que notre épargne pourrait servir à créer ou à soutenir des entreprises responsables qui répondent à nos attentes, qui créent de l’emploi pour les jeunes, qui se préoccupent de l’environnement, à impulser une relocalisation de la production, de l’économie. C’est ça le vrai développement durable. Certes, pour l’instant, il n’y a pas beaucoup d’instruments de placement réellement « responsables ». Mais il y en a et au moins, on sait dans quelle direction aller : la rentabilité de l’argent ne devrait plus être l’unique priorité, on voit où cela mène. Pour finir, il faudrait aussi sortir de la peur du lendemain. créer de l’emploi en payant le travail à sa juste valeur. Ce sont les gens qui travaillent qui créent de la richesse et qui enrichissent l’économie d’un pays ou d’une société, pas l’inverse".


Voir en ligne : Moi, la finance et le développement durable

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