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Honduras : fragile démocratisation en demi-teinte

Rosmerlin Estupiñan-Silva | diploweb.com | vendredi 2 septembre 2011

dimanche 4 septembre 2011

La pression exercée par les noyaux durs du conservatisme hondurien continue à être considérable, notamment, à l’intérieur du pouvoir judiciaire, du Tribunal supérieur électoral (TSE), du Parlement et de la force publique.

La communauté internationale a assisté en 2011 au cours de l’examen périodique universel des droits de l’homme du Honduras à un essai de changement tactique qui semble se répandre à l’intérieur du pays à travers les médias. Il s’agit de l’usage des problèmes sociaux de la violence des maras et du narcotrafic, ainsi que des problèmes issus des catastrophes naturelles telles que la période de pluies comme un sorte de rideau de fumée pour masquer la violence politique, la censure, la répression et l’impunité.

LE 28 juin 2009, un coup d’État des forces armées honduriennes, bénéficiant du soutien du Parlement et de la Cour Suprême de Justice, a renversé le président du Honduras Manuel José Zelaya-Rosales (2006-2010). Par conséquent, ce pays a été suspendu de son siège à l’Organisation des États Américains (OEA) [1] et son gouvernement actuel (2010-2014), avec à sa tête Porfirio Lobo-Sosa (ancien président du Parlement), issu des élections organisées par les putschistes a été considéré comme inacceptable par le sous-continent latino-américain.

Après deux ans de rupture de l’ordre constitutionnel hondurien, le premier examen universel des droits de l’homme au Honduras a eu lieu le 4 janvier 2011. A cette occasion, des États du système des Nations Unies ont souligné leur préoccupation pour l’augmentation des violations des droits de l’homme contre les défenseurs, les femmes, les journalistes et les prisonniers parmi d’autres populations. La continuité de la brutalité policière et militaire, la torture et la disparition forcée et, d’une façon générale, l’ambiance d’impunité et la manque d’indépendance de la magistrature concernant les crimes commis font également partie des doléances [2].

Néanmoins, le 1er juin 2011, l’OEA a réadmis le Honduras en son sein. Cet événement fait suite à un « Accord de réconciliation nationale » signé à Cartagena (Colombie) entre le gouvernement ad interim et l’ex-président Zelaya-Rosales, avec pour médiateurs les gouvernements de la Colombie et du Venezuela [3]. En effet, le premier point de l’Accord, le retour de Zelaya-Rosales sur le sol hondurien a été effectif le 28 mai 2011. Ces évènements se prêtent à des analyses contrastées qui doivent prendre en compte les enjeux des acteurs honduriens aussi bien que ceux des acteurs internationaux.

Les enjeux du status quo hondurien

Avant l’accord de Cartagena, les efforts des forces politiques impliquées dans le coup d’État de 2009 n’avaient pas abouti à la légitimation du gouvernement ad interim de Lobo-Sosa. Le résultat était l’isolement sous-régional et les difficultés économiques des élites nationales, aggravées par la période des pluies, la perte des récoltes (dans un pays majoritairement agricole) et la diminution des importations des Etats-Unis (principal associé commercial). Comme Lobo-Sosa l’a remarqué devant la presse nationale, le Honduras n’a pas la solidité économique pour résister à un isolement qui, en outre, serait contraire à l’état actuel des choses international [4]. En effet, le coup d’État à produit la suspension du Honduras du Système d’intégration centroaméricain (SICA), chargé de négocier le traité de libre-échange avec l’Union européenne (UE). A cela se sont ajoutés le gel des fonds de la part de la Banque centroaméricaine d’intégration économique (Bcie) et de la Banque interaméricaine de développement (BID), ainsi que le retrait du corps diplomatique hondurien du Nicaragua, géant politique centroaméricain. La continuité de « l’état des choses inconstitutionnel » au Honduras a menacé la suspension du Sommet Union européenne (UE) - Amérique latine et Caraïbes (mai 2010) devant l’éventualité d’une présence du gouvernement hondurien ad interim, laquelle a été rejetée à l’unanimité par les États latino-américains.

Dans ce contexte, l’Accord de Cartagena a permis l’ouverture des portes nicaraguayennes, ainsi que le rétablissement des pleins droits du Honduras à l’intérieur du SICA. La rupture progressive de l’isolement hondurien donne à la faible économie de cet État des perspectives d’exportation vers l’UE et la non négligeable réintégration du Honduras à PetroCaribe (accord de coopération Sud-Sud concernant l’échange de pétrole contre des produits nationaux) tel que l’a annoncé le chancelier vénézuelien Nicolás Maduro le 25 mai 2011.

Bien que l’establishment hondurien ait de puissants enjeux dans la restitution de son image internationale et, en particulier, de ses rapports économiques et politiques sous-continentaux, il reste à savoir jusqu’où vont ses engagements envers le rétablissement de la démocratie hondurienne et jusqu’à quel point les revendications des mouvements progressistes honduriens vont être respectées.

Les enjeux des mouvements progressistes honduriens

La vague de violence contre les mouvements sociaux, les groupes d’opposition et les journalistes qui a été déclenchée est catastrophique pour l’avenir du pays si l’on considère qu’elle a atteint les couches des dirigeants sociaux, des jeunes et professionnels, dans le pays centroaméricain ayant le plus haut niveau d’analphabétisme et de pauvreté ainsi que le plus bas niveau d’organisation sociale. L’impact des 12 assassinats contre des journalistes et des 23 assassinats contre des leaders paysans perpétrés après la prise du pouvoir de Lobo-Sosa (janvier 2010) jusqu’en août 2011, ne serait bien mesuré que si l’on considère que la population totale est d’à peine environ 8 millions d’habitants, majoritairemente paysanne, et que la communication reste hautement centralisée dans les principales villes du pays. En effet, la précarité des voies de transport et les difficultés du terrain ne laissent que la radio et la presse comme témoin des évènements nationaux quotidiens et les paysans comme leurs protagonistes [5].

D’autre part, le Front national de résistance populaire (FNRP) créé par la société civile après le coup d’État a besoin de se transformer en parti politique pour pouvoir briser le bipartisme régnant depuis la création de l’État hondurien en 1821. En ce sens, le retour au pays des leaders politiques en exil, y compris l’ex-président Zelaya-Rosales le 28 mai 2011, est déterminant pour faire face aux élections primaires de 2012 ainsi qu’aux élections générales de 2013. La réussite du FNRP dans les périodes électorales est, sans doute, indispensable pour rendre possible l’approbation d’un référendum pour des réformes constitutionnelles. En effet, malgré la réforme en 2010 des articles 5 et 205 de la Constitution politique hondurienne adoptant le référendum et le plébiscite comme des formes de participation citoyenne [6], toute réforme constitutionnelle soumise à référendum ou plébiscite, devra néanmoins compter avec 2/3 des votes du Parlement pour être adoptée. De toute évidence, l’enjeu majeur des mouvements progressistes au Honduras est, comme avant le coup d’État, la réforme constitutionnelle : seul un changement structurel des institutions honduriennes peut rendre exigible les droits des ressortissants face au pouvoir en place. Il est important de signaler qu’au XXIème siècle, les structures semi-féodales et les armées privées des grands propriétaires terriens, subsistent au Honduras. Dans ce cadre, les pouvoirs publics et privés, nationaux et internationaux présents au pays sont très peu habitués au respect de l’exercice de la citoyenneté telle qu’elle est garantie par les instruments du Droit international des droits de l’homme.

Les risques et les perspectives face à la situation hondurienne

La pression exercée par les noyaux durs du conservatisme hondurien continue à être considérable, notamment, à l’intérieur du pouvoir judiciaire, du Tribunal supérieur électoral (TSE), du Parlement et de la force publique.

La communauté internationale a assisté au cours de l’examen périodique universel des droits de l’homme du Honduras à un essai de changement tactique qui semble se répandre à l’intérieur du pays à travers les médias. Il s’agit de l’usage des problèmes sociaux de la violence des maras et du narcotrafic, ainsi que des problèmes issus des catastrophes naturelles telles que la période de pluies comme un sorte de rideau de fumée pour masquer la violence politique, la censure, la répression et l’impunité. Par conséquent, un regard attentif s’impose de la part des organes responsables de la surveillance du respect des droits et des libertés fondamentales dans le continent américain et au sein des Nations Unies.

Sur le plan politique, les points de l’Accord de Cartagena, notamment l’exercice politique électoral du FNRP et les réformes démocratiques des institutions, sont encore à vérifier sur le terrain, surtout lorsqu’une partie du pays (la zone du bas Aguán au département de Colón) continue sous militarisation depuis 2009 et compte jusqu’en août 2011 plusieurs assassinats ciblés, l’appropriation illégale de terre par les agro-industriels et des détentions arbitraires massives [7].

Finalement, dans le scénario international, l’Accord de Cartagena est un reflet de l’état de l’art de la politique continentale. D’un côté, la Colombie joue son rôle ancestral d’ambassadrice des intérêts des États-Unis dans le continent. De l’autre côté, le Venezuela joue son rôle plus récent d’ambassadeur des intérêts des puissances sous-continentales grandissantes. L’avenir du Honduras reste stratégique compte tenu de son rôle historique de centre des manœuvres politiques et militaires des États Unis en Amérique centrale et face aux Caraïbes [8]. Enfin, de par sa position géostratégique au cœur du carrefour des Amériques, place le Honduras est au centre des projets d’interconnexion des réseaux sud-nord fournisseurs d’agrocarburants et de matières primaires du continent américain.

Rosmerlin Estupiñan-Silva
Avocate colombienne, Diplôme d’Études Avancées (DEA) en Droit international (Espagne 2008), Maîtrise de Droit public (France 2010) et Docteur en Droit (Espagne 2011). Elle a également travaillé en Colombie comme conseillère juridique, avocate et assistante d’exécution des projets en matière des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Courriel : estupina@alumni.uv.es

Copyright Août 2011-Estupinan-Silva/Diploweb.com


[1] OEA, doc. AG/RES.2 -XXXVII-E/09- (4-7-2009) : Résolution relative à la suspension du droit du Honduras de participer à l’OEA. (Résolution adoptée à la deuxième séance plénière tenue le 4 juillet 2009 (Original : espagnol).

[2] ONU, doc. A/HRC/16/10 (4-1-2011) : Rapport du Groupe de travail sur l’Examen périodique universel. Honduras. Publié précédemment sous la cote A/HRC/WG.6/9/L.8, (Original : anglais), para. 82.

[3] Acuerdo de Cartagena de Indias. "Acuerdo para la Reconciliación Nacional y la Consolidación del Sistema Democrático en la República de Honduras (22-5-2011).

[4] LA PRENSA, “Retorno a la OEA será por consenso, dice Lobo Sosa”. En : diario La prensa (26-5-2011), edición digital, página posición.

[5] ROUQUIE, Alain. Guerres et paix en Amérique centrale. Editions du Seuil, Paris, 1992, p. 23.

[6] Constitución política de la República de Honduras. Voir le texte en : http://www.honduras.net/honduras_co... (espagnol)

[7] FIDH et al., doc. (11-7-2011) : Honduras : Violaciones de Derechos Humanos en el Bajo Aguán. Informe de la Misión de Verificación Internacional, Julio 2011 (Original : espagnol), pp. 55 et ss.

[8] COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, Affaire Nicaragua c/ Etats-Unis, Arrêt, 27 juin 1986.


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