Accueil > 2011 > août > A Madrid, une manifestation laïque contre la déferlante JMJ

A Madrid, une manifestation laïque contre la déferlante JMJ

Elodie Cuzin | rue89.com | jeudi 18 août 2011

jeudi 18 août 2011

"Je ne t'attends pas", proclame la pancarte de cet enfant (Elodie Cuzin).

(De Madrid) C’est sur la Puerta del Sol, rendue célèbre par les « indignés », qu’une charge policière a mis fin violemment mercredi soir à Madrid à la manifestation laïque convoquée pour protester contre les dépenses publiques encourues pour la visite du pape à l’occasion des 26e JMJ.

La tension était montée plus tôt lorsque les 5 000 manifestants, arrivant d’une rue adjacente, s’étaient retrouvés face à plusieurs centaines de jeunes « pèlerins » catholiques sur la fameuse place.

« Habemus Papa », hurlaient en cœur une demi-douzaine de pèlerins français retranchés en hauteur sur le bord de la fontaine de la Puerta del Sol face à des centaines de manifestants laïcs vers 21 heures.

« Dieu non plus ne nous représente pas », criaient en réponse des centaines de manifestants en référence aux fameux slogan des « indignés », « No nos representan ».

« Moi je suis homo, je suis homo, je suis homo », chantait en riant un petit groupe non loin de là alors que d’autres phrases bien plus salées – « Le pape est un nazi », « Benedicto [pour Benoît XVI, ndlr] : pédophile » –, fusaient aussi.

« Vive le Christ roi », le cri d’une volontaire espagnole des JMJ s’est lui perdu dans les bras des policiers qui l’éloignaient des manifestants. Les agents ont tenté pendant plusieurs heures de séparer laïques et jeunes des JMJ.

Une menace d’attentat

L’arrestation la veille d’un étudiant mexicain en chimie et volontaire des JMJ parce qu’il s’était vanté sur Internet de préparer un attentat contre la manifestation laïque n’inquiétait pas les milliers de manifestants qui se rassemblaient joyeusement à 19h30, dans le cœur historique de Madrid.

Mais l’ambiance bonhomme, animée par la présence d’une fausse Papamobile, a rapidement disparu avec ce face-à-face explosif que ni le service d’ordre hésitant ni les agents n’ont su éviter.

Les affrontements entre policiers et manifestants qui restaient sur Sol vers 22 heures ont fait onze blessés. Six personnes ont été détenues.

« Pas un centime de mes impôts pour le pape »

Le passage du cortège par Sol était justement l’un des points chauds de la polémique qui a accompagné l’organisation de la manifestation laïque soutenue par 140 associations unissant catholiques progressistes, écolos, gays et lesbiennes, féministes, etc. autour du mot d’ordre « Pas un centime de mes impôts pour le pape » (« De mis impuestos, al papa 0 »).

La Papamobile du diable (Elodie Cuzin).

Les JMJ se tiennent à Madrid jusqu’au 21 août et devraient réunir entre 460 000 et 1,5 million de jeunes qui recevront le pape à partir de ce jeudi. C’est la deuxième fois en moins d’un an que Benoît XVI se rend en Espagne.

La présidente conservatrice de la région, Esperanza Aguirre, avait d’abord publiquement demandé à ce que la manifestation, qu’elle qualifie d’« antipape », soit tout simplement interdite par le ministère espagnol de l’Intérieur.

La déléguée à Madrid du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapataro, Dolores Carrion, avait finalement autorisé les organisateurs à passer par la Puerta del Sol mais sans en faire le lieu symbolique d’arrivée du cortège.

« Nous respectons complètement ces jeunes qui viennent à Madrid », avait pris soin de souligner Francisco Delgado, un représentant de l’une des trois associations organisatrices, Europa Laica, avant la manifestation :

« C’est contre l’implication de l’Etat dans l’organisation des JMJ que nous protestons. »

« Le message antigay, c’est passé »

Aucun acte officiel des Journées n’était convoqué à cette heure dans le centre de Madrid mais des milliers de jeunes pèlerins en goguette s’y promenaient.

Certains, entendant de la musique sur la Puerta del Sol, s’étaient approchés en marquant le rythme des slogans de la tête avant de réaliser qu’ils étaient dirigés contre eux. Nicolas, 22 ans, tenant haut le drapeau corse, est médusé :

« C’est dommage, le message du Christ n’encourage pas ce type de confrontation. »

Lui et ses deux amies, Chloé, 21 ans et Eloïse, 22 ans, ont été surpris par la manifestation alors qu’ils passaient sur la place. « On est jeunes et les esprits ont changé : le message antigay, c’est passé », avait lancé Chloé, surprise par la tension, en désignant un drapeau multicolore de l’orgueil gay agité par les manifestants face aux drapeaux irakiens, espagnols, français des pèlerins.

Debout, éventail à la main, Rosa, une élégante retraitée de 63 ans vivant à Madrid, observait calmement de loin les petits nœuds de tension qui se formaient chaque fois que de nouveaux pèlerins sortaient, désorientés, de la bouche de métro. Elle conclut, se déclarant en faveur « d’un Etat laïque » :

« Ce n’est pas contre eux que l’on manifeste mais contre le gouvernement qui nous prend pour la propriété du Vatican.

Tout ce déploiement de foi qui nous est imposé est une véritable provocation. »

Quelques 10 000 policiers ont été déployés et deux axes du centre seront bloqués pendant six jours pour assurer le déroulement fluide des Journées. Des écoles et des gymnases publics ont été habilités pour loger des milliers de jeunes.

Certains Madrilènes ont surtout été choqués de constater que les pèlerins disposaient de réduction allant jusqu’à 80% sur leurs titres de transport, qu’ils reçoivent avec des Tickets-Restaurant dans le kit des JMJ en s’acquittant d’une forfait de 210 euros (moins cher pour les bourses plus modestes). Le ticket normal de métro vient justement d’augmenter de 50% (1,50 euros).

L’organisation privée des festivités catholiques coûtera entre 55 et 62 millions d’euros, selon la direction des JMJ. Le budget sera couvert à 70% par les deniers des pèlerins. Les 30% restants sont assurés par des entreprises sponsors qui bénéficieront en échange d’exonérations fiscales.

Des croyants contre la débauche de moyens

L’Espagne est un Etat « aconfessionnel ». Mais la Constitution évoque la possibilité d’une « coopération » plus étroite avec « l’Eglise catholique et les autres confessions » qui fait débat.

La controverse liée aux dépenses publiques encourues pour l’organisation des JMJ y résonne donc avec d’autant plus de force que la question de la laïcité fait déjà polémique.

Les murs de certaines classes d’écoles publiques sont ainsi ornés de crucifix et les ministres prennent possession de leurs maroquins devant le Christ.

« En tant que croyant, c’est le caractère ostentatoire des JMJ qui m’a fait réagir car ce que prêchait Jésus était beaucoup plus modeste », a souligné Ernesto Villar, curé de quartier et porte-parole de la plateforme Redes Cristianas, l’un des organisateurs, lors de la présentation de la manifestation.

Il espérait alors qu’elle représenterait une « marche de plus gravie dans la construction d’un Etat laïque ».

Des contremanifestants antilaicité (Elodie Cuzin).

Photos : « Je ne t’attends pas », proclame la pancarte de cet enfant ; la Papamobile du diable ; des contremanifestants antilaicité (Elodie Cuzin)


Voir en ligne : A Madrid, une manifestation laïque contre la déferlante JMJ

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.