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« Désormais, les Etats-Unis ne sont plus une république »

Gore Vidal - Tehran Times - 30 juin 2008

samedi 9 août 2008

Truc 000

Téhéran (Press TV) : Une interview du légendaire essayiste, écrivain,
critique politique et social Gore Vidal

par Afshin Rattansi
in Tehran Times, 30 juin 2008
http://www.tehrantimes.com

traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier


Press TV : Nous entendons dire que Michael Mukasey est le dernier en date
des Procureurs Généraux du Président (Bush) à être mis en examen… Cette
fois-ci, il est question de ses conversations avec Bush et Cheney. Cela
démontre-t-il que le Congrès parle sérieusement, lorsqu’il envisage de
demander des comptes à l’exécutif ?

Gore Vidal : Non, le Congrès n’a jamais été aussi pleutre, ni aussi
corrompu qu’à l’heure actuelle. Tout ce que Bush a à faire, c’est de
s’assurer que certaines sommes d’argent vont bien dans les poches de
certains membres importants du Congrès, et que cela mettra un terme
définitif à toute enquête sérieuse. Certes, il y a bien un Congressistes
extrêmement courageux (l’exception confirmant la règle), Denis Kucinich,
qui a déposé un projet de loi d’ « impeachment » [une procédure permettant
de déclarer le président des Etats-Unis inepte (oups : inapte) à
poursuivre l’exercice de ses fonctions, ndt] devant la Chambre des
Représentants. Mais ladite Chambre devrait en premier lieu exprimer sa
défiance envers le président, et ce n’est qu’en second lieu que la
procédure serait le cas échéant transmise au Sénat, en vue d’un procès.
Toutefois, rien de tout cela n’adviendra, parce qu’il n’y a pas d’abonné
au numéro que vous avez demandé, mis à part M. Kucinich, qui a le courage
de s’attaquer à un président en exercice qui n’est rien d’autre qu’un
mafioso.

Press TV : Comment peut-on concevoir qu’il n’y ait qu’une seule
individualité, parmi des centaines de membres du Congrès, qui veuille que
George W. Bush soit écarté de ses fonctions, dans les circonstances
présentes ?

Gore Vidal : Eh bien, c’est parce que nous n’avons désormais plus de pays.
Nous n’avons plus de République. Durant les sept ou huit dernières années
du régime Bush, ils se sont débarrassés du Bill of Rights [la Charte des
Droits Fondamentaux], ils ont jeté l’habeas corpus aux orties [il s’agit
d’un principe juridique anglais très ancien, qui protège une personne
accusée, qui reste innocente tant que sa culpabilité n’a pas été
démontrée, ndt]. Ils ont mis à la décharge un des plus beaux cadeaux que
l’Angleterre ne nous ait jamais faits, quand les Anglais sont partis et
quand nous avons cessé d’être leur colonie : la Magna Carta, qui remonte
au XIIème siècle. Toutes nos lois et toutes nos procédures judiciaires
sont fondées sur ce document. Et la bande à Bush en a fait des confettis.
Le président et le petit môssieur Gonzales, qui, durant quelques minutes,
fut son Avocat Général. Ils se sont arrangés pour se débarrasser de tous
les garde-fous constitutionnels qui avaient fait de nous les citoyens
d’une authentique république…

Press TV : Vous avez souvent écrit au sujet du statut de superpuissance
des Etats-Unis, en faisant la comparaison avec l’histoire d’autres
superpuissances antérieures. Pensez-vous que nous sommes en train
d’assister à la fin de la puissance américaine, comme d’aucuns le
suggèrent ? Devrait-on voir, dans la Maison Blanche, une sorte de
Persépolis ? (Ancienne capitale impériale des Achéménides ; une dynastie
de l’antiquité iranienne, dont les ruines sont majestueuses, certes, mais
sont bel et bien des ruines ‘de chez ruines’ ! ndt)

Gore Vidal : Oh non, trois fois hélas non : cela ne fera pas des ruines
aussi magnifiques, non… Cela ressemblera plutôt au terne tombeau de Cyrus,
pas très loin de Persépolis, d’ailleurs. Ils ont réussi le tour de force
de détruire les Etats-Unis… Pourquoi ? Mais parce que ce sont des gens du
pétrole et du gaz ; leur principale « qualité », c’est d’être des
criminels ! Je répète que nous sommes confrontés à une bande de criminels
qui s’est emparé du contrôle du pays, au moyen de ce qui avait les
apparences (mais seulement les apparences) d’élections démocratiques
normales. Mais il y a des documentaires, très intéressants, sur ce qui
s’est passé, en 2000, quand Albert Gore avait remporté les élections
présidentielles, après quoi ils ont décrété qu’il ne pourrait pas être le
président. Ils ont obtenu que la Cour Suprême – qui est normalement le
Saint des Saints, dans notre système politique – enquête, puis accuse les
voleurs d’être blancs comme neige, et les vainqueurs – M. Gore et les
Démocrates – d’être les tricheurs. C’est la première loi énoncée par
Machiavel : quelles que soient les fautes de votre adversaire,
concentrez-vous sur ses vertus, afin de les nier. C’est ce qu’ils ont
fait, quand le Sénateur Kerry s’est présenté à l’élection présidentielle,
voici quelques années. Il s’agit d’un héros célèbre de la guerre du
Vietnam. Ils ont affirmé qu’il s’agissait d’un couard, et absolument pas
d’un héros. C’est comme ça que cela marche. Quand vous avez une bande de
menteurs au gouvernement, vous ne pouvez pas espérer en retirer de
hauts-faits historiques… Mais plus tard, nous creuserons, nous creuserons…
et nous exhumerons Persépolis !

Press TV : Le Sénateur Obama parle beaucoup de changement, mais, comme de
juste, il vient de courtiser Wall Street et le lobby sioniste… :
entrevoyez-vous une quelconque perspective de changement, s’il accède au
pouvoir ?

Gore Vidal : Non, pas vraiment. Je ne doute pas de sa bonne foi,
exactement de la même manière que je ne doute pas de la mauvaise foi de
Cheney et de Bush. Ce sont des types tellement effrayants ; nous n’en
avons jamais eu d’aussi pires au gouvernement, par le passé… Ils n’y
auraient jamais accédé s’ils n’eussent acheté des voix comme ils le firent
en Floride, en 2000, et comme ils l’ont fait dans l’Etat de l’Ohio, en
2004. Ce sont deux cas patents de vol de la Présidence. Quand j’ai
découvert que cela n’intéressait absolument pas ni le New York Times ni le
Washington Post, ni d’ailleurs aucun grand journal du pays, j’ai compris
que nous étions cuits. Nous ne sommes plus un pays ; nous sommes un
poulailler d’escrocs qui n’ont d’autre motivation dans la vie que de voler
du fric. Tout en étant conscient qu’ils ne se feront jamais pincer et
qu’ils seront même, au contraire, admirés pour leurs méfaits. Les
Américains jugent en permanence quelqu’un selon l’évaluation qu’il se fait
de lui-même… Vous dites : « Je suis un chef d’Etat », et les Américains de
dire : « Oh, oui, oui, oui ; c’est un homme d’Etat ! Impressionnant,
n’est-ce pas ? » Et vous accuser d’autres de vos crimes, avant même de les
commettre. C’est un vieux truc, que Machiavel connaissait tellement bien
qu’il en a fait un manuel, qu’il a intitulé Le Prince…

Press TV : En définitive, c’est le problème qui obsède tellement de gens,
au Moyen-Orient et ailleurs. Vous-mêmes, vous avez tellement écrit au
sujet des guerres impériales des Etats-Unis… Pensez-vous que Bush et
Cheney seraient prêts à prendre le risque d’une nouvelle guerre,
provoquant ce que le directeur de l’Agence Internationale de l’Energie
Atomique, Mohammad El-Baradei, a qualifié de « boule de feu » ?

Gore Vidal : C’est leur rêve le plus fou. Mais ils n’ont plus de fric :
ils ont tout dépensé. Ils se sont payé leurs propres entreprises privées,
comme le Vice-Président. De plus, c’est une entreprise, du nom
d’Halliburton, qui ne cesse de voler du fric, et qui devrait se retrouver
devant une commission d’enquête du Sénat, tôt ou tard. Mais peut-être que
cela n’arrivera jamais, après tout : qui sait ? Mais tout le monde est au
courant, à Washington : ces gens sont en train de placer en lieu sûr à
l’étranger la richesse du pays. A un tel point que, bon : y’a pus d’fric !
Ils aspirent à une guerre contre l’Iran. L’Iran n’est pas plus une menace
pour nous que ne l’étaient l’Irak ou l’Afghanistan. Nos « ennemis », ce
sont eux, qui les inventent. Ils ne cessent de dire des mensonges, encore
des mensonges, et toujours des mensonges…

Le New York Times les croit, bobard après bobard. Alors eux, bien entendu,
ils ne s’arrêtent pas d’en pondre : pourquoi s’arrêteraient-ils ?

Quand on a une opinion publique à laquelle on ment trente fois par jour
est encore capable de gober les bobards, on n’a aucune raison de se gêner,
n’est-ce pas ?

Mardi 01 Juillet 2008


à popos de Gore Vidal :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gore_Vidal
http://www.lemonde.fr/livres/article/2006/05/04/gore-vidal-le-dernier-des-titans_768035_3260.html#ens_id=754074


Voir en ligne : « Désormais, les Etats-Unis ne sont plus une république »

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